216. A L'ÉLECTRICE MARIE-ANTONIE DE SAXE.

Breslau, 27 décembre 1778.



Madame ma sœur,

Je viens de recevoir avec beaucoup de satisfaction la lettre de Votre Altesse Royale, qui me marque la continuation de sa bonne santé, à laquelle je prends tant d'intérêt. V. A. É. paraît scandalisée de ce que j'admets le fatum des anciens, qui influe sur la conduite des hommes; mais je la prie de considérer que l'Être suprême, qui a établi des lois immuables pour toute la nature, en a établi de même pour toutes les espèces des animaux. Nous naissons chacun avec un caractère indélébile que la nature, ou Dieu plutôt, nous a donné; nos passions, nos préjugés, et le degré d'esprit que nous avons reçu, influent dans toutes nos actions; ce sont les ressorts invisibles dont se sert la Providence pour diriger nos actions. Le père Malebranche était persuadé que nous voyons tout en Dieu; qu'aucune connaissance, aucune idée ne pouvait nous venir que par une espèce d'inspiration de<352> l'auteur de la nature; que nous tenons tout de lui; et que par conséquent l'homme n'est qu'une marionnette mue par des mains divines. Le sentiment des Pères de l'Église est en tout conforme au mien; ils ont tous cru que l'homme ne pouvait être porté au bien que par un effet d'une grâce céleste, et qu'il ne pouvait rien arriver dans un monde que l'éternel géomètre avait formé, sans que ce qui arrivait ne fût conforme à sa volonté. De là V. A. R. doit conclure, avec l'Église catholique, apostolique et romaine, que, la providence divine ayant tout prévu, rien ne peut arriver contre ses décrets éternels; et vous voudrez bien convenir, madame, que, en ce point au moins, je suis très-orthodoxe. De quelque façon que l'on envisage cette matière, on est toujours obligé de convenir que rien ne peut arriver contre la volonté de Dieu, et par conséquent c'est lui qui dirige tout; et en conséquence de cette vérité évidente, l'homme ne devient qu'un vil instrument entre les mains d'une puissance suprême qui s'en sert, selon sa sagesse infinie, à l'accomplissement de ses desseins.

J'espère que V. A. R. recevra avec quelque indulgence l'apologie de mon opinion, appuyée du sentiment des Pères de l'Église, et du peu de notions que nous pouvons puiser dans la philosophie. Elle voudra bien que je lui réponde de même au sujet d'une princesse de Gallean qui suppose que j'ai des relations avec la cour palatine dans le moment qu'il n'en existe aucune. S'il s'agissait du prince de Deux-Ponts, je pourrais peut-être lui être de quelque utilité. Mais après tout ce qui s'est passé cette année, tout, jusqu'à la moindre correspondance, est rompu avec un prince qui s'est dégradé à jamais aux yeux de l'Allemagne et de toute l'Europe.352-a

Recevez, madame, avec votre bonté ordinaire les assurances de la haute considération et de tous les sentiments avec lesquels je suis, etc.


352-a Voyez t. VI, p. 153 et 154.