<129>Sa famille s'est accommodée avec un libraire étranger pour ses manuscrits; mais comme ils sont encore sous le scellé, à Ferney, on ne sait s'il y en a beaucoup. On en doute, car il faisait imprimer à mesure qu'il composait; il aimait à jouir, et ne mettait rien à fonds perdu.

L impératrice de Russie vient d'acheter sa bibliothèque, qui est d'environ dix mille volumes, dont un grand nombre, dit-on, a des notes de sa main.a Cette princesse se propose de mettre cette bibliothèque dans un petit temple qu'elle fera construire exprès, et au milieu duquel elle fera construire un monument en son honneur.

Ce monument, Sire, ne vaudra pas l'Éloge que V. M. doit faire de ce grand homme. Cet Éloge rappellera un beau vers de Voltaire :b

Le grand Condé pleurant aux vers du grand Corneille.

Cet Éloge, Sire, sera le signal de beaucoup d'autres qui ne le vaudront pas, mais auxquels il servira de modèle; et les gens de lettres apporteront après vous le denier de la veuve. L'Académie française ne pense point encore à lui choisir un successeur; elle y est trop embarrassée, elle tardera le plus qu'elle pourra; et ce qu'il y a de fâcheux, c'est que le successeur de Voltaire sera reçu par un prêtre, qui était directeur lorsque ce grand homme est mort. Ses confrères suppléeront de leur mieux à ce que ce capelan ne dira pas. Pourquoi faut-il qu'ils aient la langue et les mains liées? Nous voulons toujours lui faire un service, et nous n'espérons guère de l'obtenir; et chacun de nous peut dire, en parodiant un vers de l'opéra :

Ah! j'attendrai longtemps, la messe est loin encore.

Je ne sais si j'ai eu l'honneur de mander à V. M. qu'un très-habile


a Voyez t. XXIV, p. 27.

b Voyez Le Russe à Paris, 1760, Œuvres de Voltaire, édit. Beuchot, t. XIV, p. 181. Condé, âgé de vingt ans, versa des larmes à la première représentation de Cinna.