<186> plus commune de mettre en fuite des gens qui ont déjà peur, je crois que, en pesant les voix, les travaux du philosophe seraient jugés supérieurs à ceux du militaire, si nous envisageons ces choses du côté de l'utilité. Des connaissances bien détaillées et appréciées se conservent pour toujours, les livres les transmettent à la postérité la plus reculée; au lieu que les succès passagers d'une guerre qui n'intéresse que quelques peuples dans un petit coin de l'Europe s'oublient aussitôt qu'ils sont passés. Et voilà pour le philosophe et pour le guerrier.
J'en viens présentement aux nerfs, et pour qu'on juge par comparaison des miens et des vôtres, je propose que quelque habile chirurgien nous dissèque tous deux; mais attendons, et avec un peu de patience ces messieurs pourront disserter profondément sur les nerfs du philosophe français et du soldat tudesque. Je prévois qu'ils diront que les nerfs les plus fins, les plus faciles à ébranler font des tempéraments faibles et des esprits déliés, et que les nerfs plus robustes ne conviennent qu'aux portefaix, aux gladiateurs et aux manants. Consolez-vous donc, mon cher Anaxagoras, de votre petite santé; la meilleure portion vous est échue, car les avantages de l'esprit sont en tout sens préférables aux avantages du corps; il ne vous reste qu'à faire un généreux effort pour bannir de vos idées toutes les sensations tristes qui l'offusquent. Quand même on perdrait ce premier feu de la jeunesse, souvent impétueux, il faut conserver précieusement un certain fonds de gaîté qui, joint à l'espérance, nous sert à supporter le fardeau de la vie.
Si des têtes tonsurées et mitrées font de nouveaux efforts pour étendre leur tyrannie sur les esprits, vous avez les armes du ridicule; et les traits de la satire, acérés par la gaîté, renverseront le pontife et l'idole du fanatisme du même coup. Vos ennemis les cagots veulent que les philosophes pleurent; riez, et vous les confondrez. Si vous voulez m'enrôler parmi vos troupes légères, je vous offre mes très-humbles services; j'attaquerai gaîment la Sorbonne rassemblée en