<187> corps, votre Beaumont, archevêque par la colère de Dieu, votre Braschi,a au Monte Cavallo, et mieux encore, si les intérêts de l'association militaire l'exigent. Voilà tout ce qui dépend de moi : et comme nos armes sont des plumes, et que dans nos contrées personne ne nous empêche de les manier, que, de plus, les presses gémissent pour ceux qui les occupent, vous n'avez qu'à m'assigner ma tâche, et je m'efforcerai de la remplir.

Ce que vous m'apprenez au sujet de l'indigne traitement que vos moines ont fait au cadavre de Voltaire m'excite à le venger de ces scélérats, qui osent exercer leur vengeance impuissante sur les restes éteints du plus beau génie que la France ait produit. Je vous prie de m'envoyer le buste de cet homme rare et unique; je placerai son effigie dans notre sanctuaire des sciences, où il pourra rester à demeure;b au lieu que si on le mettait dans une église, son ombre en serait indignée, sans compter les hasards que cette statue aurait à courir après ma mort, où peut-être le faux zèle porterait quelque prêtre, dans la rage de son fanatisme, à mutiler ou à briser le simulacre de l'apôtre de la tolérance.

Je retourne maintenant au commencement de votre lettre, où il était question de nos nerfs, pour vous apprendre que j'ai eu la goutte quatre semaines de suite, que j'ai beaucoup souffert, et qu'à force de régime j'ai chassé le marasme et la maladie; mes doigts ne sont point engourdis, et s'il est question de prêtres, je répandrai avec mon encre sur eux les flots de ma bile et de mon fiel hérétique. Allons, mon cher Anaxagoras, recueillez vos forces, ranimez ou ressuscitez votre belle humeur. Sur ce, etc.


a Pie VI (Braschi) occupa le trône pontifical de 1774 à 1799. Voyez t. XXIV, p. 308.

b Voyez J.-D.-E. Preuss, Urkundenbuch zu der Lebensgeschichte Friedrichs des Grossen, t. III, p. 128, no 26.