<391> correspondance soit soustraite à l'empressement de la postérité, et qu'elle ne jouisse de ce trésor avec toute la publicité possible. N'ai-je donc pas fait un beau chef-d'œuvre de me la soustraire, à moi et à mes contemporains, c'est-à-dire, à tout ce qui m'intéresse, pour la conserver soigneusement à une postérité à laquelle je ne m'intéresse en aucune façon? Aussi j'avoue à mon honneur et gloire que, tout en obéissant, j'ai formé et je forme encore le vœu secret qu'il plaise à la divine providence de rendre toutes mes démarches inutiles, et de gratifier le monde de ce que j'ai travaillé à lui dérober.
Je doute bien fort que je fatigue jamais les yeux de V. M. avec ce que la littérature française produit d'intéressant. Depuis la mort de Voltaire, un vaste silence règne dans ces contrées, et nous rappelle à chaque instant nos pertes et notre pauvreté. Il a paru un petit roman de M. de Montesquieu,a que son fils s'est enfin déterminé à publier trente ans après sa mort. Le plan de ce petit ouvrage n'est pas un chef-d'œuvre de sagesse; mais la touche en est brillante et pleine de grâce, les détails ingénieux, piquants et philosophiques, et l'on reconnaît partout la plume de l'illustre auteur des Lettres persanes. Nous ne sommes actuellement occupés que de globes aérostatiques,b et M. le marquis de Condorcet, secrétaire perpétuel de notre Académie royale des sciences, m'a chargé, Sire, de porter aux pieds de V. M. deux exemplaires du rapport qui lui a été fait de ces machines, dont il est tant question depuis trois mois. L'un de ces exemplaires est pour le monarque protecteur à qui l'Académie de Paris ose présenter cet hommage; l'autre est pour son Académie royale de Berlin.
Je suis avec le plus profond respect, etc.
a Arsace et Isménie, histoire orientale. Paris, 1788.
b Allusion au premier essai d'Étienne et de Joseph Montgolfier, qui eut lieu le 5 juin 1783.