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19. DU BARON DE GRIMM.

Le 12 juin 1785.



Sire,

Il faut respecter le repos des dieux et les travaux des rois. En vertu de cet axiome irrévocable, je ne me suis pas permis de répondre tout de suite à la lettre dont V. M. m'a honoré le 11 du mois dernier, et j'ai même un peu retardé la lettre que le marquis de Condorcet avait confiée à mes soins. Mais je calcule, Sire, que V. M. va être de retour aujourd'hui au château de Sans-Souci, et, après avoir réglé les affaires de ses divers départements, goûter un instant de repos dans le sein de la philosophie et de l'amitié; c'est le moment où les élus du paradis terrestre peuvent se montrer avec un peu plus de confiance aux pieds de Mars en repos. Mon commettant, le marquis de Condorcet, m'avait remis avec sa lettre un gros volume in-quartoa qu'il vient de publier, et dont il ose faire hommage à V. M. Comme je ne pouvais enfermer ce volume dans une lettre, je l'ai fait remettre à M. de Rougemont, qui m'a promis de le faire parvenir à sa glorieuse destination. Un profane comme moi, étranger à tous les mystères de la géométrie, n'a pas même le droit d'ouvrir, encore moins de feuilleter un ouvrage de la nature de celui de M. de Condorcet; tout ce qu'il peut se permettre, c'est de parcourir le discours préliminaire, assez étendu, et qu'on peut se flatter de comprendre à peu près, sans être initié dans les mystères de la haute science.

Le grand géomètre de l'univers, suivant ce que m'a appris un grand roi, nous a tous placés dans ce monde avec notre chapelet de sottises à la main. Ce tableau est à la fois moral, lumineux et pittoresque. Il y a des chapelets bien lourds et bien chargés; et cependant il y a parmi les membres de cette immense confrérie des dévideurs


a Voyez, ci-dessous, p. 4-12, la lettre du marquis de Condorcet à Frédéric, du 2 mai 1785.