<502>vit pour cet effet de la prudence et probité d'un des plus affidés serviteurs du Duc Cet honnête homme, par un trait de loyauté également sensé et hardi, sauva le connétable, et en même temps les Etats et peut-être la vie de son maître.
Le jour même de l'arrêt de Clisson, le Duc, après avoir porté ses fureurs contre lui à toutes sortes d'excès, ayant appelé sur le soir le sire de Bavalen, commandant du château de l'Hermine, il lui commanda sur peine de la vie d'aller le minuit à la prison du connétable, de l'enfermer dans un sac, et de le jeter dans la mer. Bavalen prit d'abord la liberté de lui représenter l'infamie et le danger qui suivraient de près l'exécution de ce commandement. Mais rien ne le put fléchir, et Bavalen se retira, en lui promettant d'exécuter ses ordres. Le Duc ne fut pas longtemps sans se repentir de les avoir donnés. Le repos de la nuit avant calmé sa fureur, et l'ayant mis en état de mieux réfléchir aux sages représentations de Bavalen, il commença à envisager toutes les suites de tant d'inconsidérations et de cruautés. Bavalen étant venu à son lever, le Duc fit retirer ses gens, et lui demanda s'il avait exécuté ses ordres. L'autre ayant répondu que oui, le Duc se mit à pleurer, à gémir, à plaindre son malheur, à reprocher à Bavalen la déférence trop prompte et trop aveugle qu'il avait eue pour un commandement dont l'imprudence était visible.
Bavalen, sans trop s'excuser, le laisse quelque temps dans cette agitation. Mais voyant qu'il reconnaissait tout de bon sa faute, il lui dit : « Monseigneur, consolez-vous, le connétable est en vie. J'ai prévu ce qui est arrivé, et qu'un ordre que votre colère m'avait donné serait condamné par votre prudence. » Le Duc, là-dessus, ravi de joie, se jette au cou de Bavalen, loue sa prudente désobéissance, en l'assurant d'une reconnaissance éternelle. « Exemple mémorable, ajoute le père Daniel, dont les grands et les serviteurs des grands peuvent également profiter, les uns, pour ne pas prendre conseil de leurs passions, et les autres, pour n'en être pas les ministres aveugles, car, en pareilles occasions, c'est servir son maître que de lui désobéir. »
4o Qu'il me soit permis d'ajouter quelques exemples à l'article de Catinat. Je ne sais si la sagesse qu'il montra dans l'occasion en question peut être comparée à celle d'Aristide. Ce grand homme, témoin Plutarque et Rollin, avait été injustement maltraité par ses citoyens, qui l'avaient exilé, et lui avaient préféré dans le commandement en chef Thémistocle, son ennemi juré. Voyant cependant que Thémistocle s'y prenait mal, Aristide l'alla trouver dans sa tente, lui parla avec affection et franchise, et s'offrit à servir sous lui et à lui servir de conseil, afin que le bien public ne souffrît pas de leur inimitié particulière. Touché d'une magnanimité si rare, Thémistocle le prit au mot, se réconcilia avec lui, quoique en gardant le commandement, et fit des merveilles en suivant les avis d'Aristide.