<52> sentiments que je lui dois à tant de titres, si cette expression n'avait dû entraîner malgré moi un nouvel épanchement de douleur, que V. M., sans doute, eût bien voulu pardonner à ma situation, mais qui peut-être aurait troublé un moment par une image affligeante la satisfaction si douce et si juste dont V. M. vient de jouir. Toutes les nouvelles publiques ont annoncé le voyage du grand-duc de Russie à Berlin, et l'union que va contracter avec vous ce jeune prince, digne, à ce qu'on assure, de s'unir à vous par ses rares qualités. J'ai attendu le moment de son départ pour répandre encore une fois mon âme dans celle de V. M., et pour lui rendre surtout les plus sensibles actions de grâces de cette lettre qui est si peu celle d'un roi, et qui n'en est pour moi que plus précieuse et plus chère. V. M. n'a pas besoin de dire qu'elle n'a que trop éprouvé, pour son malheur, ce qu'on souffre en perdant ce qu'on aimait. On voit bien, Sire, que vous avez éprouvé ce cruel malheur, à la manière si sensible et si vraie dont vous savez parler à un cœur affligé, et lui dire ce qui convient le mieux à sa déplorable situation. Tous mes amis cherchent comme vous à me consoler; tous me disent, comme vous, qu'il faut chercher à me distraire; mais aucun ne sait ajouter, comme vous, ces mots si dignes d'un ami et d'un sage, que notre raison est trop faible pour vaincre la douleur d'une blessure mortelle, qu'il faut donner quelque chose à la nature, et se dire surtout que, à l'âge où nous sommes l'un et l'autre, nous ne tarderons guère à nous rejoindre aux objets de nos regrets. Hélas! Sire, c'est aussi le seul espoir qui me console, ou plutôt qui me fera supporter le peu de jours qui me restent à vivre. Je ne désire plus de les voir prolongés que pour me mettre encore aux pieds de V. M., et il faudra que ma santé soit bien mauvaise au printemps prochain, si je ne vais pas avec le plus grand empressement m'acquitter d'un devoir si précieux et si sacré pour moi. J'écrivais il y a quelques annéesa à V. M., dans un moment où ma frêle ma-
a Le 12 août 1770. Voyez t. XXIV, p. 551.