<73> les calculs demandent accoutume insensiblement l'esprit à s'occuper d'autres sujets que de ceux qui causent la douleur, et le temps achèvera le reste. Je me flatte que le voyage que vous ferez dans nos contrées obotrites sera avantageux à votre santé; c'est une diversion de plus, qui pourra affaiblir les profondes impressions que le chagrin avait laissées dans votre âme. Pour moi, ce me sera un plaisir sensible de vous voir. Nous philosopherons, nous métaphysiquerons ensemble; mais en même temps vous devez vous attendre que nous bannirons de la conversation toutes les idées lugubres qui faneraient les roses et les fleurs de nos amusements.
Des lettres d'Espagne avaient annoncé, il y a quelques mois, des marques d'aliénation d'esprit qu'avait données le roi d'Espagne; c'est bien la plus grande marque de folie qu'un homme puisse donner que de s'abandonner à son confesseur. On croit que le prince des Asturies n'attend que le moment où son père aura fait quelque fausse démarche, pour l'enfermer et régner en sa place. On frémit d'indignation en voyant cette inquisition rétablie en Espagne. Hélas! mon cher Anaxagoras, le bon sens est plus rare qu'on ne pense. Pour expier ses amours avec la vache blanche,a Sa Majesté Catholique se livre avec ses fidèles sujets aux mains de bourreaux tonsurés qui font plus de mal dans ce monde-ci que jamais les diables n'en feront dans ces enfers imaginaires empruntés des Égyptiens.
Messieurs vos conseillers au parlement seront bien gens à protéger l'inquisition; le zèle qui les anime contre Voltaire me paraît fort suspect; ce pourrait bien être la suite du ressentiment qu'ils lui conservent d'avoir célébré en beaux vers leur expulsion; ils devraient rougir de honte. Quel honneur ont-ils à persécuter un pauvre vieillard qui est au bord de sa tombe? Et à bien examiner la chose, Voltaire n'a fait que recueillir les sentiments de quelques Anglais et leurs
a Voyez t. II, p. 36, et t. XIII, p. 50.