189. DE D'ALEMBERT.
Paris, 22 septembre 1777.
Sire,
En revenant de la campagne, où j'avais été passer quelques semaines pour rétablir ma santé, qui ne se rétablit guère, j'ai trouvé à Paris la nouvelle lettre dont V. M. a daigné m'honorer, et le Rêve très-philosophique qu'elle y a joint.a Je ne perds pas un moment pour avoir l'honneur de lui répondre sur l'un et sur l'autre objet.
Je remercie très-humblement V. M. du conseil quelle me donne, avec Chaulieu, de semer de fleurs le peu de chemin qui me reste. Vous en parlez, Sire, bien à votre aise, couvert, comme vous l'êtes, de tous les genres de gloire, et à portée de faire tous les jours des heureux. Pour moi, qui n'ai pas ces avantages, ma triste vie ne sera plus semée que de chardons, ou tout au plus de barbeaux, comme les pièces de blé, qui se passeraient bien d'eux.
J'ai été aussi surpris que V. M. du peu d'empressement que le comte de Falkenstein a témoigné pour voir le Patriarche de Ferney, et je ne doute nullement que V. M. n'ait deviné juste sur la cause de cette indifférence apparente; car je veux croire, pour l'honneur du prince, qu'elle n'est pas réelle. On est au moins bien persuadé que le conseil ne vient pas de sa sœur, qui est, dit-on, remplie d'estime pour le patriarche, et qui plus d'une fois l'en a fait assurer.
Malgré la prise de Ticondéroga et les nouveaux avantages que les Anglais s'en promettent, je pense avec V. M. (dont je prendrai toujours les almanachs en cette matière comme en beaucoup d'autres) que ces insulaires très-insolents ne viendront pas à bout de leurs colonies; et j'avoue que je ne serais pas fâché de leur voir subir cette humiliation, qu'ils ont bien méritée par leurs sottises. Il ne paraît
a Voyez t. XV, p. IV, no IV, et p. 29-34; t. XXIII, p. 452.