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194. DU MÊME.

Paris, 28 novembre 1777.



Sire,

Je dois à Votre Majesté de nouveaux remercîments des ordres qu'elle veut bien donner pour me procurer la réponse aux demandes que j'ai pris la liberté de lui faire.

Mais, Sire, un plus pressant intérêt m'occupe en ce moment, et ne me permet pas de différer la réponse à l'affligeante lettre que je viens de recevoir de V. M.

Elle se plaint qu'on a imprimé quelques-unes des lettres qu'elle m'a fait l'honneur de m'écrire, et que d'autres courent manuscrites à Paris.

Voici mon apologie et l'exacte vérité des faits.

Dans la douleur que m'inspirait la perte que je fis l'année dernière, j'ouvris mon cœur à V. M., dont les bontés me sont si connues. Elle eut la bonté de me répondre par deux lettres si pleines de raison, de sensibilité, de sagesse, que je crus soulager ma douleur en faisant part de ces lettres à mes amis. Cette lecture produisit en eux, je n'exagère point, Sire, la plus tendre vénération pour V. M., et quelques-uns en furent touchés jusqu'aux larmes. Ils m'en demandèrent des copies, bien sûrs de produire dans tous ceux qui les liraient les mêmes sentiments dont ils étaient pénétrés eux-mêmes. Je leur refusai ces copies, et je donnai seulement à deux ou trois d'entre eux un extrait de ce qu'il y avait dans ces lettres de plus intéressant, de plus moral, de plus sensible, de plus propre enfin à faire chérir et respecter l'auguste auteur de ces lettres.

Ces extraits ont été imprimés dans un journal sans ma participation; et à vous dire le vrai, Sire, je n'ai pu m'en repentir, par l'effet général qu'ils ont produit sur tous ceux qui les ont lus. Si je suis<105> coupable, c'est d'avoir donné à V. M., s'il est possible, un plus grand nombre d'admirateurs; et je ne puis croire qu'une telle faute me rende criminel à ses yeux. L'intention doit au moins faire excuser l'action.

Quant à toutes les autres lettres que V. M. m'a fait l'honneur de m écrire, je puis l'assurer que je n'en ai donné de copie à qui que ce soit au monde, ni en entier, ni par extrait; que je ne les ai même lues qu'à un très-petit nombre de sages, à qui tout ce qui vient de V. M. est cher et précieux. Je n'ai point ouï dire qu'il en coure à Paris des copies manuscrites, et, s'il en courait, j'ose assurer, Sire, que ce seraient des copies factices et supposées.

Ce n'est pas la première fois qu'on a imprimé de prétendues lettres que V. M. m'avait, dit-on, adressées. J'ai donné deux ou trois fois un démenti public à ces faussaires, et à la fin je m'en suis lassé, en priant ceux qui les liraient à l'avenir de les regarder comme des imposteurs.

Il se peut qu'on ait fait courir dans le public quelques phrases tronquées et infidèles de ces lettres; c'est ce que j'ignore. Mais V. M. peut se rappeler que, à l'occasion de quelques phrases qu'on fit courir ainsi il y a quelques années, elle soupçonna qu'elles étaient répandues par ceux qui de Berlin à Paris ouvrent, comme l'on sait, toutes les lettres aux postes. Elle me fit l'honneur de me le mander, et si le fait dont elle se plaint est vrai, il se pourrait qu'il eût la même cause.

Soyez donc persuadé, Sire, que s'il a couru, par ma faute ou par mon zèle, quelques extraits des lettres de V. M., ce ne sont que des extraits qui ne peuvent blesser personne, et dont l'effet unique a été de faire chérir et respecter V. M. par ceux qui ne connaissaient en elle que le roi, et qui ne connaissaient pas l'homme et le sage.

Platon n'avait garde de publier les lettres du tyran Denys; elles ne ressemblaient pas à celles du philosophe Frédéric. Aristote nous a transmis une lettre de Philippe, père d'Alexandre; et cette lettre<106> honore plus la mémoire de Philippe que toutes ses victoires sur les Athéniens.106-a

Telle est, Sire, je vous le répète, l'exacte et pure vérité. Puisse-t-elle convaincre et toucher V. M., et me rendre ses bontés, que je ne mérite pas d'avoir perdues! Dans la triste situation où je suis, dans la douleur des pertes que j'ai faites, et qui n'est point affaiblie, il ne me manquerait plus que ce malheur. Je n'aurais pas, Sire, le courage d'y survivre, et vous n'aurez pas celui d'aggraver si profondément mes maux.

Je suis avec la plus grande désolation, et la vénération la plus tendre, etc.


106-a Il existe des doutes sur l'authenticité de cette lettre, par laquelle Philippe annonce à Aristote la naissance d'Alexandre. Elle se trouve dans les Nuits attiques d'Aulu-Gelle, liv. IX. chap. 3.