202. DU MÊME.

Paris, 9 octobre 1778.



Sire,

J'ai reçu avec la plus vive reconnaissance, et pour la mémoire de mon illustre ami, et pour l'honneur des lettres, les expressions si douces<131> et si consolantes des sentiments de V. M. pour ce grand homme, et de son amour pour les talents et le génie. Je voudrais pouvoir faire lire à toute l'Europe littéraire ce que V. M. me fait l'honneur de m'écrire à ce sujet, et qui est si propre à encourager et à consoler ceux qui cherchent comme elle, quoique avec des talents bien inférieurs, à adoucir par la méditation et par l'étude les maux de la vie, les infirmités de la nature humaine, les traverses causées par la persécution et la calomnie. J'attends avec la plus vive impatience le monument immortel que V. M. se propose d'ériger à la gloire de celui que nous pleurons. L'Académie française vient de lui rendre des honneurs qu'elle n'avait encore rendus à personne. Sur la proposition que je lui en ai faite, et qui a été acceptée de tous mes confrères avec acclamation, elle a proposé l'éloge de M. de Voltaire pour le sujet du prix de poésie qu'elle doit donner l'année prochaine; pour rendre ce prix plus considérable, j'ai prié l'Académie d'accepter une somme de six cents livres, qui doublera le prix, et qui est pour moi le denier de la veuve; et j'ai, de plus, donné à l'Académie le buste très-beau et très-ressemblant de M. de Voltaire, le seul que nous ayons encore dans notre salle d'assemblée. Ce buste, à la vérité, n'est qu'en terre, car je ne suis pas assez riche pour le donner en marbre; mais j'ai eu le plaisir de le voir exposé dans la salle d'assemblée à la séance publique du 25 août, et honoré des applaudissements et des larmes de toute l'assemblée. Je lus, à la même séance, l'Éloge de Crébillon, où je trouvai plusieurs occasions de parler de son illustre vainqueur, en rendant d'ailleurs justice au vaincu. Le public me parut satisfait de tout ce qui s'était passé dans cette séance, et j'espère que le prix proposé aura l'approbation de V. M. Nous ne recevrons les pièces qu'au mois d'août de l'année prochaine; mais ces pièces, Sire, ne vaudront pas votre prose.

Je fais des vœux pour la fin de cette campagne si fatigante, à ce qu'on m'écrit, pour V. M.; je fais plus de vœux encore pour voir<132> finir cette guerre, qu'il n'a pas tenu à elle d'éviter, et dont le motif la couvre de gloire. Puisse l'hiver prochain inspirer à vos ennemis des dispositions plus raisonnables et plus pacifiques!

M. de Catt remettra à V. M. un Éloge de La Motte qu'on m'a demandé pour un journal, et qui contient, à ce que je crois, un jugement sain sur les ouvrages de cet auteur. Je serais très-flatté que ce petit morceau méritât le suffrage de V. M.

Elle a dû recevoir ou elle recevra bientôt un ouvrage très-savant de médecine, que l'auteur, M. Barthès, m'a prié de mettre aux pieds de V. M., et de lui demander le titre d'académicien de Berlin, dont il est digne par ses talents et par ses travaux.

M. de Rougemont132-a est en peine si V. M. a reçu la dernière lettre qu'il a eu l'honneur de lui écrire, et désirerait que V. M. voulût bien l'honorer d'un mot de réponse. C'est un homme fort honnête, fort attaché à V. M., et très-digne de ses bontés.

Je n'entretiendrai pas V. M. de toutes les sottises qui se font et qui se disent, et qui se lisent ou ne se lisent pas, dans le séjour que j'habite. Je lui apprendrai seulement qu'il y a des hommes assez vils, et par malheur pour eux en assez grand nombre, pour jeter les hauts cris sur le sujet de prix que l'Académie a proposé; que les curés de Paris ont voulu sur cela présenter requête au gouvernement, et que le gouvernement leur a imposé silence.

Je suis avec la plus vive reconnaissance et le plus profond respect, etc.


132-a Banquier du Roi, à Paris.