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11. DU MÊME.

Berlin, 12 février 1736.

Ayant été suffisamment fatigué par la lecture de ma lettre d'hier, V. A. R. ne s'attendait pas apparemment à me voir revenir à la charge aujourd'hui. Mais voici ce qui m'engage à tant de témérité.

J'ai relu ce matin l'Imitation que j'eus l'honneur de lui envoyer hier, et j'ai trouvé que j'y ai assez mal réussi, mais qu'il me serait trop difficile de faire mieux. Ayant cherché la raison de cette difficulté, je crois qu'elle consiste uniquement en ce que j'ai une espèce d'aversion naturelle pour tout ce qui peut s'appeler compliments. J'aimerais mieux coucher six lettres sur d'autres matières qu'une seule de pure cérémonie, où le cœur ordinairement a peu de part, et, s'il m'est permis de le dire, il me semble que V. A. R. en est pareillement logée là; tant il est vrai que l'esprit de l'homme ne réussit presque jamais quand il est obligé de travailler malgré Minerve, c'est-à-dire, à des choses contraires à son génie. Aussi me suis-je fait une loi de complimenter le moins que je puis, et de m'en acquitter avec toute la brièveté possible dans les occasions où je ne puis honnêtement m'en dispenser.

J'avais ces réflexions sur le cœur. Je serais mort, je crois, d'inquiétude, si je n'avais pris la liberté d'en faire part à V. A. R., me flattant qu'elles contribueront à la rendre d'autant plus facile à excuser les défauts qu'elle ne saurait manquer d'avoir remarqués dans la susdite Imitation.

Ces réflexions ne sont cependant pas le seul motif qui me porte à importuner de nouveau V. A. R. J'en ai encore deux autres. Voici l'un. J'avais la conscience chargée d'avoir tant maltraité hier certain Épithalame, sans en avoir donné aucune raison. Je me crois obligé de<462> réparer ce défaut, quoique je sois persuadé que ceux de ce poëme n'auront pas échappé à la pénétration et au bon goût de V. A. R. Je les exposerai le plus laconiquement que faire se pourra.

1o Considérant cette ode en gros, il me semble que son auteur n'a jamais lu l'Art poétique de Boileau, ou qu'il a oublié la salutaire leçon par laquelle ce maître poëte en commence le premier chant, et la description qu'il nous donne d'une ode sans défauts, dans le deuxième chant. V. A. R. sachant presque tout son Boileau par cœur, je crois me pouvoir dispenser de rapporter ces deux passages.

2o Cette ode a un défaut que n'eut jamais aucune pièce raisonnable : c'est qu'on a beau la lire et relire, à moins que d'être sorcier, on ne saurait deviner pour qui elle est faite, sans regarder au titre. On comprend, à la vérité, par la dernière strophe, qu'il s'agit d'un jour de noces qui finit comme finissent toutes les noces du monde (idée qui serait excusable tout au plus dans quelque poëme badin, mais qui devient une sottise dans une pièce si grave); mais, à cela près, il n'y a pas de syllabe dans toute l'ode qui ne puisse s'appliquer aux noces de tous les grands princes de l'univers.

3o Les trois quarts des strophes sont prosaïques, remplies de chevilles inutiles, de pensées froides et triviales; tout le reste est du galimatias où je trouve à peine un sens.

4o Les expressions de nobles amants, de noble choix, et tant d'autres, vaudraient mieux, ce me semble, et seraient plus convenables à la description d'un bon mariage bourgeois qu'à l'hyménée de la fille d'un empereur romain.

5o Ce qui me semble mettre le comble à l'ignorance crasse de l'auteur de l'ode, ce sont les saintes déités du Parnasse. V. A. R. a-t-elle jamais lu ou entendu dire que les Muses, que les divinités païennes aient été appelées des déités, et qu'on leur ait appliqué l'épithète de saintes? Cette seule incongruité empoisonnerait toute la pièce, fût-elle d'ailleurs aussi bonne qu'elle me paraît détestable. Aussi finirai-<463>je par là cette courte critique, pour venir à la dernière raison qui me remet aujourd'hui la plume à la main.

C'est le petit imprimé ci-joint, que je viens de recevoir de la poste. Il contient trois lettres, et surtout une de Voltaire, où je trouve autant d'esprit qu'il y en a peu dans l'ode susmentionnée. On prétend qu'elle est effectivement de Voltaire, à qui elle ne peut que faire honneur. Mais pour celle des comédiens, trop pleine de traits vifs et mordants, on la croit de la façon de quelque ennemi jaloux du sieur Lefranc.

Mais je n'y pense pas, c'est trop ennuyer V. A. R. par tant de balivernes, qui ne sauraient manquer de la faire bâiller. Qu'elle fasse grâce à mon impertinence en faveur de ses sources, qui sont l'envie de vous amuser, monseigneur, et celle de saisir jusqu'aux moindres occasions dont je me crois permis de profiter pour renouveler les humbles assurances de la dévotion sans égale avec laquelle je suis, etc.