176. DU PRINCE HENRI.
Rheinsberg, 10 novembre 1763.
Les fruits que vous avez daigné m'envoyer m'ont causé la satisfaction la plus grande, comme tout ce qui me sert de preuve de votre gracieux souvenir sera toujours un objet de bonheur pour moi.
Vous aurez à cette heure terminé la journée où vous avez été assujetti au cérémonial, et le Turc aura été vu et contemplé de tout Berlin. Je crois que Pöllnitz, pendant tous ces jours, a été l'homme le plus heureux du royaume; il respire dans les fêtes et les cérémonies, comme la salamandre au feu. Il se sera rappelé l'ambassade circoncise du temps de Louis XIV, quoique je pense qu'il était trop jeune pour être alors à Paris.a Vous avez aussi la générosité de vous intéresser à ma santé; elle serait passable, si je n'avais des crampes aux nerfs, qui m'incommodent excessivement.
Le temps est des plus beaux; il semble que les saisons ne tiennent plus l'ordre accoutumé. Nous avons eu des jours, au mois d'août, où il faisait moins chaud qu'il ne fait depuis deux jours. Le Turc croira être à Constantinople. J'ai une haute opinion de cette nation depuis que j'ai lu les lettres de milady Montague,b laquelle était ambassadrice à la Porte. Si tout ce qu'elle décrit est vrai, il faut que la magnificence orientale surpasse infiniment l'idée qu'on s'en forme vulgairement. Ces lettres sont assez amusantes; il y en a quelques-unes qui sont intéressantes, et toutes font connaître que celle qui les a écrites doit avoir joint de grandes connaissances à beaucoup d'esprit.
a Le baron de Pöllnitz alla pour la première fois à Paris au commencement de l'année 1712. Pendant l'hiver de 1715, il y fut témoin de l'entrée de l'ambassadeur de Perse, et de l'audience qu'il eut de Louis XIV. Voyez Lettres et Mémoires du baron de Pöllnitz, troisième édition, Amsterdam, 1737, t. IV, p. 229, 342 et suivantes.
b Letters of Lady Mary Wortley Montague, written during her travels in Europe, Asia and Africa. Londres, 1763-1767, trois volumes in-12.