184. AU MÊME.
Potsdam, 27 (avril 1764).
Mon cher frère,
Je suis bien aise que vous approuviez l'idée que j'ai de faire faire une édition des endroits philosophiques de Bayle. Comme l'édition se fera in-octavo, tout le monde pourra l'acheter, et par conséquent les choses qui y sont deviendront comme une monnaie courante qui se répand partout dans le public. Vous avez grande raison de dire, mon cher frère, qu'on ne fera pas de grands progrès dans la métaphysique; c'est une région où il faudrait voler, et nous manquons d'ailes. Notre raisonnement ne suffit certainement pas pour découvrir des vérités que la nature a voulu nous cacher; mais il est suffisant pour nous faire apercevoir les erreurs et les absurdités qu'on a substituées, faute de connaissances, aux choses que nous ignorons. Il est toujours bon d'en savoir assez pour n'être pas grossièrement la dupe du premier imposteur qui prétend nous tromper, et voilà à quoi nous pouvons parvenir quand nous avons cultivé notre raison, et que nous formons avec soin notre jugement. Il est certain que l'étude de la dialectique est la seule qui mène là, et que la lecture fréquente des ouvrages de Bayle donne à l'esprit une certaine volubilité sur cette matière, qu'il ne tiendra jamais uniquement des avantages de la nature. Bayle et Cicéron étaient sceptiques; c'est pourquoi ils proposaient tous les systèmes, sans en adopter aucun. C'était le parti le plus sûr qu'ils pouvaient prendre pour ne se point tromper. Ils agissaient comme les avocats, qui rapportent la cause sans en décider; et voilà à peu près où tout homme sage doit s'en tenir, car de tous les systèmes, il n'en est aucun qui n'ait des obscurités, et qui n'implique contradiction dans de certains endroits. Toutefois il est agréable de connaître et de suivre toutes les routes que l'esprit humain s'est