23. AU MÊME.
Parchwitz, 30 novembre 1757.
Mon très-cher frère,
Vous ne sauriez croire en quel état d'horreur et de confusion j'ai trouvé les affaires de ce pays-ci quand j'y suis entré. A mon arrivée, je vous faisais part des bruits qui couraient le pays d'une victoire complète que le prince de Bevern avait eue sur l'armée ennemie près de Breslau; quoique je n'eusse encore aucune nouvelle directe de ce prince, ces bruits n'étaient pas sans fondement. L'armée autrichienne avait attaqué le prince de Bevern dans son poste; les troupes s'étaient bien défendues; on avait repoussé à différentes fois l'ennemi avec une perte immense. Le général Zieten avait battu entièrement l'aile droite de l'ennemi sous les ordres de Nadasdy; l'aile gauche de l'ennemi tint de Baireuth, du 17 septembre 1757. Si l'on veut se faire une juste idée de la résolution que Frédéric avait formée de ne pas survivre à la ruine de sa patrie, il faut lire, dans notre t. XXV, p. 353 et suivantes, l'Instruction secrète pour le comte Finck de Finckenstein, Berlin, 10 janvier 1757.<187> mieux. Celle de l'armée du prince de Bevern, sons les ordres de Lestwitz, plia; l'ennemi se replia sur Neumarkt, tandis qu'en même temps le prince de Bevern se retira, et passa, la nuit, avec toute l'armée par Breslau et l'Oder, en sorte que l'ennemi, voyant le champ de bataille vide, prit la résolution d'y retourner et de s'attribuer une victoire qui était au prince de Bevern, s'il avait osé rester campé en deçà de Breslau et de l'Oder. Le 24, ce prince sort à quatre heures du matin, accompagné d'aucun officier ni escorte, mais d'un seul palefrenier, hors de son camp, pour aller reconnaître, à ce qu'il marque, au clair de la lune, la position de l'ennemi, qui n'était pas là, hormis quelques détachements de pandours sous les ordres du général Bekil Seyare, et vient à un des avant-postes de celui-ci, consistant d'un bas-officier et quelques Croates, qui le font prisonnier. Le général Kyau se charge du commandement de l'armée, marche, en abandonnant Breslau, où, par mon ordre, le général Lestwitz s'était jeté, qui trouva les désordres et les horreurs dans la ville au point qu'il la rend à l'ennemi sans coup férir, croyant avoir tout fait en faisant une capitulation pour en faire sortir la garnison à condition de ne plus servir durant cette guerre contre la reine de Hongrie.
Voilà, mon cher frère, un précis de la situation dans laquelle j'ai trouvé, après la perte de Schweidnitz, et en entrant dans ce pays-ci, les affaires. Tous ces malheurs ne m'ont point abattu. Je marche mon droit chemin vers ici, selon le plan que je m'étais formé. Je joindrai demain le corps d'armée ci-devant sous les ordres du prince de Bevern, à présent sous ceux du général Zieten; quand cela sera ensemble, cela composera une armée au delà de trente-six mille hommes combattants, avec laquelle j'irai droit à l'armée autrichienne pour la combattre, qui, après ses pertes au siége de Schweidnitz, qui vont au delà de huit mille hommes, et surtout par celle de la bataille susdite, qu'on compte au delà de vingt-quatre mille hommes, et après d'autres pertes considérables qu'elle a eues par une campagne<188> extrêmement rude, ne doit plus être composée que de trente-neuf mille hommes. Si la fortune seconde mon entreprise, ce qu'il faut qu'il se déclare entre ci et le 6 de décembre, et à quelle fin je me munirai d'une grosse forte artillerie de Glogau, outre celle que j'ai avec moi et celle que Zieten m'amène, je reprendrai Breslau et Schweidnitz, et redresserai tout dans ce pays-ci; mais ce sera aussi tout ce que je pourrai faire pour finir une fois la campagne. Ayez la bonté d'informer le maréchal de Keith de ce que dessus, afin qu'il puisse s'en orienter et prendre ses mesures.188-a
S'il plaît au ciel, tout se redressera, mais avec grand' peine.188-b
188-a En chiffre.
188-b De la main du Roi.