141. AU PRINCE HENRI.

Leipzig, 14 janvier 1763.



Mon cher frère,

Je me suis bien douté que vous ne trouveriez pas Berlin comme autrefois. La suite de nos calamités doit à la fin se faire ressentir à un pays pauvre, naturellement stérile, et dont on force la fécondité à force d'industrie et de travaux. Cependant je ferai ce que je pourrai pour remédier à la disette autant que mes petits moyens me le permettent. D'ailleurs, mon cher frère, vous n'avez aucun lieu de vous inquiéter de tous les bruits qu'on publie au sujet de Wésel et<303> de Gueldre; quand même les Autrichiens s'en mettraient en possession, cela ne dérangerait en rien nos affaires. Nous aurons la paix à la fin de février ou au commencement de mars, et au commencement d'avril chacun se trouvera chez soi comme en 56. Les cercles vont se séparer incessamment des Autrichiens; cela devient indifférent à présent, vu la tournure que les choses ont prise. Quoi qu'il en soit, il est toujours bon qu'on sorte les tisons du brasier pour en amortir la flamme. Je souhaite que vous vous amusiez bien à Berlin; pour moi, qui n'apprends que par mes neveux comme on se divertit à Leipzig, je n'entends parler que de bals et redoutes, et, pour vous en donner une idée, une madame Frideric, ci-devant jardinière à Seidlitz, à présent femme d'un officier de hussards francs, est une des principales héroïnes de ces fêtes. Faites prier dans les églises de Berlin que le ciel préserve nos jeunes gens du danger qu'ils y courent. Adieu, mon cher frère; n'oubliez pas un vieux frère que la guerre, la politique et les finances font donner au diable, et qui, tant qu'il végétera dans ce monde-ci, sera avec la plus tendre amitié et la plus parfaite estime, etc.