216. AU MÊME.
Potsdam, 11 novembre 1770.
Mon cher frère,
J'espère qu'on ne passera pas le Rubicon. Les Turcs demandent la paix à cor et à cri; vous l'aurez vu par la dépêche originale que je vous ai envoyée; mais trop de gens veulent se mêler de cette paix, de sorte que le meilleur parti et le plus court est que l'Impératrice la fasse négocier à la tête de ses troupes. Les conditions qu'elle demande sont tolérables; elles ne peuvent point donner lieu à rompre la négociation, et pourvu qu'entre eux ils terminent au plus vite ces différends, c'est tout ce que nous pouvons désirer de mieux. Les Turcs veulent relâcher Obreskoff dès qu'ils sauront sûrement que les Russes veulent faire la paix. Je m'étonne de cette lenteur qu'on marque pour les affaires de la Pologne. Dans le fond, on cède sur tous les articles innovés à la dernière diète, et l'on s'en tient à conserver le Roi, comme de raison; cela est si modéré et si raisonnable, que personne n'y peut trouver à redire. Si l'on m'envoie un plan, je tâcherai de<381> le faire valoir à la cour de Vienne de mon mieux; mais je ne dois pas vous dissimuler que la France a gagné là-bas du terrain depuis mon retour, et que ce Durand qui se trouve envoyé là-bas intrigue sans cesse avec les confédérés. Si les Russes passaient le Rubicon, il n'y aurait plus moyen d'arrêter les Autrichiens, et vous pouvez compter qu'une guerre générale s'ensuivrait infailliblement. Ayez la bonté de faire valoir là-bas les mortiers et les munitions de guerre que j'ai prêtés à Drewitz381-a pour mettre les confédérés à la raison. Je suis, etc.
381-a Colonel russe, commandant un corps en Pologne. Voyez t. XIV, p. 231.