273. AU MÊME.
Le 3 décembre 1776.
Mon très-cher frère,
La confiance que j'ai, mon cher frère, en vos lumières m'a rassuré des appréhensions que Solms m'avait données. Cependant je vous avoue que je ne me fie pas beaucoup à la politique russe, assujettie à l'esprit léger et peu conséquent de cette nation. Leur monarchie est si puissante, qu'elle n'a besoin d'aucun allié, et que c'est plutôt<443> par air de grandeur qu'ils entrent en liaison avec d'autres peuples que pour leur défense. Cela fait qu'ils seront toujours recherchés, et ne feront des avances envers personne. Repnin443-a est de retour à Pétersbourg. Autant que j'en apprends, la cour n'est pas trop contente de lui, parce qu'il n'a rien terminé à la Porte; mais la Porte est si épuisée et si peu en état d'agir à présent, qu'elle a emprunté neuf cent mille piastres pour avoir de quoi payer les janissaires, ce qui est sans exemple depuis la fondation de cette monarchie. J'ai envoyé ces nouvelles à Pétersbourg, telles que je les ai reçues de Pétersbourg,443-b pour rassurer l'Impératrice.
On commence déjà à parler à Paris des desseins que l'Empereur forme contre nous. Ainsi vous voyez, mon cher frère, que je reçois de tous les côtés la confirmation de l'orage qui s'élève contre nous; mais je n'ai point peur, au contraire, grande envie de donner bien dru sur les oreilles des plus perfides des hommes, et de les punir de toutes leurs méchancetés. Tous mes arrangements sont achevés dans les provinces pour accélérer la marche et l'assemblée de l'armée. Ma plaie sera guérie dans sept ou huit jours; ainsi ils n'ont qu'à venir lorsqu'ils le voudront. Voici encore un bulletin où sont jointes des nouvelles de Ferney; on y a joint un dessin de Voltaire, en caricature, qui ressemble plutôt à un vieux singe qu'à une figure humaine.
C'est dans l'espérance de vous voir bientôt que je vous prie de me croire avec la plus parfaite estime, etc.
443-a Voyez t. VI, p. 133.
443-b Il faut évidemment lire de Constantinople.