« <XIX> Un mûr examen sur moi-même m'a convaincue que dans tout le cours de ma vie je n'avais été coupable qu'à l'égard d'un frère que mille raisons devaient me rendre cher, et auquel mon cœur avait été lié depuis ma tendre jeunesse par l'amitié la plus parfaite et la plus indissoluble. Votre générosité vous a fait oublier mes fautes passées, mais ne m'empêche pas d'y penser à toutes les heures du jour. » La réponse de Frédéric (notre no 202) est un vrai monument de sa générosité. On voit que le franc aveu de la princesse suffit pour effacer de l'âme du monarque les dernières traces qu'un juste mécontentement y avait laissées; et la correspondance montre que, à partir de l'époque où cette lettre fut écrite, rien ne vint plus troubler les bons rapports entre la Margrave et son auguste frère, auquel elle témoigna dès lors un attachement à toute épreuve. Cependant elle conserva son ouvrage, même après l'éclatant exemple de piété filiale que Frédéric lui avait donné en publiant, en 1751, ses Mémoires de Brandebourg, où il parle de son père avec tout le respect et toute l'affection imaginables.
La princesse avait bien pressenti le scandale que causerait son livre, s'il voyait le jour. Elle dit, t. II, p. 268 : « J'écris pour me divertir, et ne compte pas que ces Mémoires seront jamais imprimés; peut-être même que j'en ferai un jour un sacrifice à Vulcain; peut-être les donnerai-je à ma fille; enfin je suis pyrrhonienne là-dessus. Je le répète encore, je n'écris que pour m'amuser, et je me fais un plaisir de ne rien cacher de tout ce qui m'est arrivé, pas même mes plus secrètes pensées. » Nous présumons que la Margrave, après avoir confié son ouvrage à M. de Superville, le perdit entièrement de vue. Il semble aussi qu'elle n'en ait fait aucune mention dans sa disposition testamentaire. En effet, on lit dans l'Éloge historique du marquis d'Adhémar que, après avoir reçu la nouvelle de la mort du Prince de Prusse, vers la mi-juin 1768, la Margrave scella son testament en présence de son mari, de sa fille, et de quelques autres témoins.a Si elle avait encore eu les Mémoires en sa possession, ou qu'ils eussent été présents à son souvenir, elle en aurait sans doute disposé plus convenablement, ou le Margrave, dont les intrigues galantes y sont exposées en détail, aurait mis l'ouvrage aux Archives secrètes de sa maison, ou pris quelque autre mesure pour empêcher qu'il ne fût publié. Le marquis
a Ce fut le 6 août 1758 que la Margrave fit son testament.