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34. DE LA MARGRAVE DE BAIREUTH.

(Baireuth) 20 décembre 1735.



Mon très-cher frère,

Je profite toujours avec plaisir de toutes les occasions qui me procurent celui de vous assurer de mon parfait attachement, espérant que cette lettre vous trouvera en parfaite santé. Je me suis repentie mille fois, mon très-cher frère, de vous avoir promis mon système touchant l'existence de Dieu; cependant, n'ayant point de sujet digne de remplir ma lettre, je tâcherai du moins de vous divertir par ma philosophie, que je soumets entièrement à votre critique, répétant encore une fois que je me reconnais très-indigne philosophe. Voici donc mes principes. Tout est composé d'atomes, les uns crochus, les autres pointus et de figures différentes. Ces atomes, ayant un mouvement perpétuel, viennent à se rencontrer, et, se poussant les uns les autres, s'accrochent, se réunissent, et c'est ce qui forme les corps. Or, ils ne peuvent avoir le mouvement d'eux-mêmes, n'étant pas des êtres absolus, mais dépendants les uns des autres. Puisqu'ils ne peuvent être immobiles, selon les principes de la philosophie, il s'ensuit donc qu'il faut qu'il y ait un être absolu et indépendant qui leur donne le mouvement, et par conséquent cet être est Dieu; car, dites-moi, d'où vient que ces atomes, venant à se rencontrer, ne forment pas plutôt une personne qu'une fleur? Ce ne peut être le hasard, puisque celui-là aurait pu faire que tout eût été ou fleurs, ou bêtes, et qu'il n'y eût point eu de personnes; ainsi il faut admettre nécessairement un premier principe de toutes choses, qui, par sa pantocratie, dirige les seconds principes pour les employer à ses fins. Voilà mon système, mon très-cher frère. Vous priant d'avoir pitié de ma pauvre philosophie, qui retirera un grand avantage si vous voulez avoir quelquefois la bonté de l'éclairer, je finis tout ce gali<41>matias, en vous assurant de la tendresse et parfaite considération avec laquelle je suis à jamais, etc.