185. A LA MÊME.
(Potsdam) ce 19 (mars 1747).
Ma très-chère sœur,
Je suis très-fâché que vous souffriez toujours. J'espère à présent sur le printemps, et je me flatte que la bonne saison ramènera votre santé avec les fleurs et les feuilles. La visite de la cour de Würtemberg ne sera pas arrivée à propos, car on n'aime guère le grand monde lorsqu'on souffre, et la duchesse de Würtemberg est elle seule capable de donner la fièvre et de faire venir des transports au cerveau aux personnes les plus saines. Je vous plains de tout mon cœur de vous voir assaillie par cette furie. Il est étonnant que ce monstre féminin ait pu engendrer quelque chose d'aussi passable que ses fils. Quant à l'aîné, je ne me flatte point qu'il filera un amour parfait avec ma nièce, et je crois que tout le temps que vous gagnez par le renvoi de leur noce est autant de temps de pris sur sa constance. Pour ce qui regarde son caractère, il m'est assez connu. J'ai espéré qu'il se changerait peut-être; mais il est devenu son maître dans un âge où proprement commence l'éducation des jeunes gens.1_177-a Il a trouvé toute une cour de flatteurs et de complaisants, séducteurs dangereux et capables de corrompre des cœurs plus affermis dans la vertu que le sien ne pouvait être. Enfin toutes les circonstances ont conspiré ensemble pour contribuer à ses égarements. Je ne sais com<178>ment je retombe toujours dans ces moralités ennuyeuses, et que vous condamnez avec justice. Plus nous faisons des réflexions, plus nous devenons malheureux; la raison et la prévoyance ne sont utiles que pour la société, et les hommes qui en font usage sont comme le phénix,1_178-a qui se blesse pour nourrir ses petits. Les Français font fort bien de s'amuser avec leurs pantins; tout un détachement en est arrivé à Berlin; mais ces frivoles bagatelles n'ont pas encore fait une impression assez vive sur le public, et j'avoue, à la grande confusion de ma patrie, que le goût des belles choses n'y est pas cultivé au point d'accorder aux pantins l'estime qui leur est due. Peut-être parviendrons-nous à ce goût raffiné, à force d'y réfléchir avec toute la profondeur qu'exige la gravité de cette matière.
En vérité, ma chère sœur, je suis confus des pauvretés dont je vous entretiens; je m'égare, en vous écrivant, par le plaisir que j'ai à m'entretenir avec vous, et comme les plus courtes sottises sont les meilleures, je finis ma lettre en vous priant de me croire avec tendresse et estime, ma très-chère sœur, etc.
1_177-a Voyez t. IX, p. 140 et 141.
1_178-a Ou plutôt le pélican.