197. A LA MÊME.
Potsdam, 20 novembre 1747.
Ma très-chère sœur,
Votre lettre vient fort à propos pour me tirer de peine. Je suis enfin tranquille sur votre santé. Vous ne sauriez croire, ma chère sœur, quelles nouvelles s'ébruitent et parviennent ici; à tout moment vous êtes à l'agonie ou morte. Je ne conçois pas quelle maligne joie des gens peuvent trouver à semer de pareilles nouvelles dans le monde, qui ne peuvent qu'inquiéter beaucoup ceux qui vous sont attachés comme je le suis. Voilà la vieille duchesse de Blankenbourg trépassée tout de bon.1_190-a Je crois que tout le monde s'en console à Brunswic; les uns étaient las de lui payer sa pension, les autres d'attendre son héritage, et d'autres encore de la voir. On devient isolé dans le<191> monde lorsqu'on y reste le dernier de son siècle; on ne contracte guère de nouvelles liaisons, et la mort tranche les anciennes; c'est pourquoi c'est prudence de quitter le monde avant qu'il nous quitte. L'espèce humaine s'ennuie trop aisément de la même physionomie; le désir de la nouveauté l'entraîne toujours vers de nouveaux objets; il est bon de prévenir le public, et de ne lui pas donner le temps de s'ennuyer. Ma morale ne plaira pas aux gens en place; mais j'y suis moi-même, et, de plus, tout résigné à ce qui arrivera de moi. Divertissez-vous, en attendant, ma chère sœur; quand nous serons morts, personne ne nous saura gré de notre abstinence et de notre ennui. Nous sommes maîtres du moment présent; peut-être ne le serons-nous pas du lendemain. Cueillons les fleurs qui naissent sous nos pas, et ne nous embarrassons point du chemin que nous avons à faire. Je suis avec tendresse et estime, ma très-chère sœur, etc.
1_190-a Christine-Louise, veuve depuis 1735 du duc Louis-Rodolphe de Brunswic-Blankenbourg, était née le 20 mars 1671, et mourut le 12 novembre 1747.