201. DE LA MARGRAVE DE BAIREUTH.
Le 21 février 1748.
Mon très-cher frère,
Toutes les bontés dont vous m'avez comblée jusqu'à présent m'encouragent, mon très-cher frère, d'entrer avec vous dans des détails que j'ai toujours espéré de pouvoir éviter. Permettez-moi que je vous ouvre mon cœur, et que je vous parle avec confiance et sincérité sur un sujet qui m'a causé depuis quelques années le plus mortel<195> chagrin. Combien de fois ne me suis-je pas reproché l'irrégularité de ma façon d'agir envers vous! Ma dernière maladie, une mort prochaine, ont augmenté mes réflexions. Un mûr examen sur moi-même m'a convaincue que dans tout le cours de ma vie je n'avais été coupable qu'à l'égard d'un frère que mille raisons devaient me rendre cher, et auquel mon cœur avait été lié depuis ma tendre jeunesse par l'amitié la plus parfaite et la plus indissoluble. Votre générosité vous a fait oublier mes fautes passées, mais ne m'empêche pas d'y penser à toutes les heures du jour. Une compassion mal placée, et une trop grande faiblesse pour une personne que je me croyais entièrement attachée, m'ont fait faillir. Je n'ai d'autre plaidoyer à faire en ma faveur, et si je n'avais une confiance entière en vos bontés, je ne me hasarderais pas à vous supplier de me tirer du labyrinthe où je me suis si ridiculement précipitée. J'ai eu le sort de bien des grands seigneurs : je croyais avoir trouvé une véritable amie, trésor sans prix pour les princes; j'en ai été payée de toute l'ingratitude imaginable, et mon amour-propre gémit de s'être vu dupé, et le cœur pâtit de se voir privé de la seule chose qui peut contribuer au bonheur de la vie. J'ai fait le fatal mariage de la Burghauss, cause de tant de regrets. Elle a perdu tout son bien. Elle se trouve actuellement dans la plus affreuse misère, son mari ne tirant depuis deux ans aucuns revenus de son régiment, et n'ayant rien de lui-même. Le peu que je puis lui donner ne suffit pas à beaucoup près pour l'entretenir hors d'ici. Nos humeurs ne compatissent plus ensemble. Jugez, mon très-cher frère, si je puis l'abandonner dans l'état où elle est et la renvoyer, pour ainsi dire, à la besace, après l'éclat que j'ai fait. Je laisse ceci à votre décision comme à un frère chéri, à un véritable ami, et comme à un juge éclairé. Je remets mon honneur et ma réputation entre vos mains. Il n'y a que vous, mon très-cher frère, qui puissiez mettre mon esprit et mon cœur en repos sur ce sujet, en lui rendant ce que son père lui a légué. Elle est résolue, à cette condition,<196> de quitter pour jamais ce pays. Je vous conjure à mains jointes de m'accorder cette grâce. J'ajouterai cette obligation à tant d'autres que je vous dois; je ne cesserai de la reconnaître ma vie durant, ni d'être jusqu'au tombeau avec la plus vive tendresse et le plus parfait respect, mon très-cher frère, etc.