239. DE LA MARGRAVE DE BAIREUTH.
Le 14 mars 1752.
Mon très-cher frère,
Je regrette toujours le temps que je passe sans vous écrire; il me semble qu'il est perdu. Je voudrais pouvoir vous témoigner, mon très-cher frère, tous les instants de ma vie mes sentiments pour vous, et pouvoir vous en convaincre. J'en ai été privée pendant une semaine entière, ayant eu grand mal aux dents. Je m'en suis guérie<238> assez comiquement. On m'a conseillé de fumer de certaines herbes, ce qui m'a d'abord soulagée; mais comme j'ai été obligée de réitérer le même remède plusieurs fois, mes dames m'ont tenu compagnie, et nous avons toutes fumé comme des dragons. Vous voyez, mon très-cher frère, qu'avec mon courage naturel, mon génie pour la guerre et ce nouveau talent que je viens d'acquérir, je pourrais devenir grand général. Il me reste pourtant un doute, car je n'ai jamais trouvé dans l'histoire qu'Alexandre ni César aient fumé. Quoi qu'il en soit, on m'a pronostiqué que je commanderais une armée dans le cours de cette année. Je suis si fière de cette prophétie et si crédule, que je ne lis plus que des livres qui traitent du métier; et pour bien apprendre la tactique, j'arrange des pompons et des fanfreluches pour l'Opéra. Pardonnez-moi toutes ces folies; la morale et le sérieux sont des matières rebattues pour vous; il faut bien que j'en cherche qui vous soient inconnues, pour vous éviter l'ennui de mes lettres. Je suis avec tout le respect et la tendresse imaginable, mon très-cher frère, etc.