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289. A LA MÊME.

Le 24 février 1754 (1755).



Ma très-chère sœur,

Je me flatte que votre indisposition n'aura pas été aussi forte que de coutume; toutefois suis-je charmé qu'elle se soit passée. Vous avez véritablement joué de malheur, ma chère sœur, d'être allée en Provence dans une année aussi généralement froide que celle-ci. J'ai bien cru que, malgré votre incognito, ce voyage vous coûterait beaucoup, et je prends la liberté de vous avertir d'avance que celui d'Italie ne vous coûtera pas moins. Pourvu qu'il soit salutaire à votre santé, c'est tout ce que je souhaite, et je me réjouirai toujours de ce qui vous sera agréable et vous fera plaisir. Je dois cependant vous avertir que des gens malintentionnés ont répandu le bruit dans toute l'Allemagne que vous et le Margrave étiez devenus catholiques; j'ai d'abord fait contredire ce bruit par tous mes ministres dans les cours étrangères.1_293-a Cependant, comme il est essentiel de le faire tomber tout à fait, je vous supplie de faire quelque momerie calviniste, et de la faire insérer dans les gazettes, surtout si vous allez à Marseille, où il y a un marchand qui a une église catholique1_293-b chez lui, ou si vous passez par quelque ville protestante; les malintentionnés se verront par là réduits au silence. Vous avez trop de bonté de vous souvenir de moi et de Sans-Souci à toutes les occasions. La table que vous avez la bonté de m'envoyer tiendra sûrement une place honorable dans ma maison, et me sera plus précieuse venant de vous que par sa rareté. Nous avons célébré aujourd'hui en grande pompe le jour de naissance de Pöllnitz, qui a soixante-cinq ans; le vieux baron s'est<294> curé et pavané comme un jeune paon, et ce soir il verra son nom illuminé.

Je m'amuse à toutes sortes de pauvretés, faute de pouvoir faire mieux. Nous n'avons pas un chat d'étranger, et je ne me plains point de ma solitude; j'étudie, je lis, et je fais un peu de musique; avec cela, si l'on est raisonnable, on doit se contenter d'une vie douce, qui est ce qu'il y a de plus réel dans le monde. J'ai reçu de Dresde l'opéra d'Ezio, qui me paraît d'une musique fort travaillée, et où les instruments font beaucoup de bruit, sans que les voix y brillent à proportion.

Vous me mandez que Mandrin1_294-a s'est retiré en Suisse; il pourra y faire un triumvirat avec Voltaire et madame de Bentinck. Si les proscriptions y ont lieu, ma tête sera perdue. Je me recommande, ma très-chère sœur, à votre précieux souvenir, me bornant de faire des vœux pour votre chère personne jusqu'à l'heureux jour où je pourrai vous assurer de vive voix de la tendresse infinie avec laquelle je suis, ma très-chère sœur, etc.


1_293-a Voyez (J.-H.-F. Ulrich) Ueber den Religionszustand in den preussischen Staaten seit der Regierung Friedrichs des Grossen, Leipzig, 1780, t. V, p. 258-260.

1_293-b Ou plutôt protestante.

1_294-a Voyez t. IV, p. 34; t. IX, p. 175; t. XIV, p. 253; t. XV, p. 20; et t. XXIII, p. 181.