297. A LA MÊME.
Potsdam, 28 juin 1755.
Ma très-chère sœur,
J'ai eu le plaisir de recevoir de vous une lettre datée de Rome. Je suis charmé d'apprendre que votre santé est assez bonne pour fournir aux fatigues d'un long et pénible voyage. J'ai bien cru que les antiquités de Rome vous feraient plaisir : ces monuments des vainqueurs du monde semblent nous rapprocher de leur temps; il semble même que l'on participe à leur gloire et à leurs sentiments lorsqu'on se trouve sur les lieux qu'ils ont habités, et où ils ont fait de si grandes choses. Rome chrétienne vous fournit des preuves de ce que peut la superstition sur l'esprit des peuples; la basilique de Saint-Pierre est élevée par des indulgences, la plupart des palais des cardinaux népotes ont été construits des tributs que l'Europe ignorante payait au souverain pontife. Si la France, l'Allemagne, si l'Espagne, l'Angleterre, la Pologne revendiquaient les biens que leurs ancêtres ont envoyés là-bas, et qui servent à la somptuosité de cette capitale du monde chrétien, croyez, ma chère sœur, que le saint-père et le<303> sacré collége n'habiteraient que les ruines du Campo-Vaccino, que leurs églises seraient couvertes de chaume, et qu'une vielle et peut-être une mauvaise saquebute1_303-a seraient les seuls instruments qui retentiraient les jours de fête. Je vous rends grâce des marbres et des belles choses que vous m'indiquez là-bas; la difficulté est de trouver un commissionnaire éclairé qui ne soit pas la dupe de la sagacité italienne. Quant aux marbres, c'est la guerre des Barbaresques qui en rend le transport très-difficile et coûteux; on en paye le double qu'ordinairement. Si j'avais à désirer des marbres là-bas, ce ne serait pas du porphyre,1_303-b ce serait du jal1_303-c antique ou du jal1_303-c de Capoue, qui est presque aussi beau; le porphyre est trop dur à travailler, et ne prend jamais un beau poli. Pour les tableaux, les Italiens vendent tant de postichi, que si l'on n'est pas un très-bon connaisseur, on y est trompé, sans quoi il y a longtemps que j'aurais donné commission de me faire venir des Guides, des Titiens et des Solimènes pour ma galerie; mais la crainte d'être trompé m'a arrêté jusqu'à présent.
J'ai été en Hollande,1_303-d où je n'ai vu que des colifichets; je me suis débité musicien du roi de Pologne, et j'ai été inconnu pendant tout mon voyage. Il m'est arrivé des aventures assez plaisantes, que je réserve pour vous amuser la première fois que j'aurai le bonheur de vous revoir. Je fais des vœux que ce soit bientôt, vous assurant, ma chère sœur, qu'on ne peut être avec une plus parfaite tendresse que je suis, etc.
1_303-a La saquebute était un ancien instrument à vent analogue à celui que nous appelons trombone.
1_303-b Les mots du porphyre manquent dans l'autographe.
1_303-c Au lieu de j'ai, il faut probablement lire jade.
1_303-d Voyez t. XX, p. 66; t. XXIV, p. I et II; et t. XXVI, p. 357.