313. A LA MARGRAVE DE BAIREUTH.
(Potsdam) ce 21 (février 1756).
Ma très-chère sœur,
Votre lettre, ma très-chère sœur, a achevé de rétablir le calme de mon âme, qui avait été troublée par l'appréhension où j'ai été pour votre précieuse santé. Je vous avoue que je suis tombé de mon haut en recevant une couronne de laurier de vos mains. S'il y avait quelque chose de capable de renverser ma chétive cervelle, c'aurait été les choses obligeantes que vous y ajoutez. Mais je me suis bien vite remis dans mon assiette naturelle, en pensant que l'ombre de Virgile était assez vieille pour radoter, et que dans la cuisine française on fait l'honneur aux jambons de leur donner le laurier comme aux héros. Il n'y a que l'excès d'indulgence que vous daignez avoir pour moi qui puisse vous faire illusion sur mon sujet; mais, ma chère sœur, en faisant un retour sur moi-même, je n'y trouve qu'un pauvre individu composé d'un mélange de bien et de mal, souvent très-mécontent de soi-même, et qui voudrait fort avoir plus de mérite qu'il n'en a, fait pour vivre en particulier, obligé de représenter, philosophe par inclination, politique par devoir, enfin qui est obligé d'être tout ce qu'il n'est pas, et qui n'a d'autre mérite qu'un attachement religieux à ses devoirs. Voilà, ma chère sœur, une confession générale après laquelle je me flatte de votre absolution.
Le duc de Nivernois vient aujourd'hui ici; si je pouvais jouir de<326> l'homme aimable, j'en serais charmé; mais jusqu'à présent je n'ai vu que l'ambassadeur. Je vous laisse à penser si je suis occupé ou non; obligé de me mêler d'une infinité d'affaires qui, dans le fond, ne me regardent pas, et plongé dans des négociations très-délicates et épineuses, je crains, en vérité, de vous communiquer mon ennui, si j'entrais plus avant en matière. Je me contente de vous embrasser de tout mon cœur, et de vous assurer de la tendresse parfaite avec laquelle je suis jusqu'au dernier soupir de ma vie, ma très-chère sœur, etc.