337. DE LA MARGRAVE DE BAIREUTH.
(Baireuth) 10 mai (1758).
Je serais au désespoir, mon cher frère, si vous négligiez le moindre de vos intérêts pour l'amour de nous; notre situation est telle, que notre ruine est inévitable, de quelque façon que cela tourne. S'ils entrent en Saxe, ils seront plottés, et tout cet essaim s'enfuira ici; s'ils vont en Bohême, ils se débanderont et se soulèveront. Ils se sont liés par un serment affreux qu'ils en agiraient ainsi, et tueraient généraux et officiers, s'ils ne pouvaient faire autrement; en ce cas, nous les aurons encore. Je vous supplie de ne pas négliger vos intérêts, qui me sont plus chers que les miens. Ce serait un véritable chagrin pour moi, si les espèces monastiques vous échappaient; elles engraisseraient votre trésor, qui peut-être a besoin de nourriture.1_354-a J'ai parlé à quelqu'un qui m'a confirmé ce que j'ai déjà eu l'honneur de vous mander des Français. La personne est bien au fait des affaires de cette cour. Elle dit que l'on n'enverra les vingt-quatre mille hommes en Bohême que le plus tard possible, afin de vous donner le temps d'agir et d'obliger l'Impératrice d'avoir recours à eux pour la paix, dont ils veulent être les médiateurs. Le Hanovre doit indemniser la Saxe, et rendre les terres qui lui sont engagées. La Prusse doit être médiateur entre la France et l'Angleterre pour l'Amérique. Tel est leur projet. Veuille le ciel accomplir les vôtres et exaucer mes vœux! On est ici sur le point de marcher. Le prince de Stolberg<355> est à Münchberg avec le corps qui était à Culmbach. Nous savons pour sûr que l'armée va marcher, mais jusqu'à présent on ignore sa destination; elle est postée sur la route de Saxe, mais sous main on dit qu'elle prendra celle de Bohême. Je vous supplie, mon cher frère, de me pardonner si je n'écris que ce grimoire; le temps presse pour avertir mon frère; on part après-demain.
1_354-a Allusion à l'expédition que le prince Henri fit en Franconie et dans le pays de Bamberg, et dont Frédéric parle dans une lettre inédite à son frère, du 7 mai 1738, en ces termes : « Je pense d'ailleurs qu'à cette occasion vous ne ménagerez point du tout l'évêque de Bamberg avec les autres malintentionnés, et les ferez revenir à la neutralité. Quand vous aurez dispersé entièrement l'armée des cercles, ce qui, je pense, sera une expédition de huit jours de temps à peu près, et que vous aurez tiré de grosses contributions du Bamberg et des autres malintentionnés, vous saurez vous tourner d'abord vers la Bohème et marcher tout droit à Prague. » Voyez t. XXVI, p. 222.