II. CORRESPONDANCE DE FRÉDÉRIC AVEC SA SŒUR FRÉDÉRIQUE, MARGRAVE D'ANSBACH. (7 JUIN 1740-22 DÉCEMBRE 1745.)[Titelblatt]
<368><369>1. DE LA MARGRAVE D'ANSBACH.
Triesdorf, 7 juin 1740.
Mon très-cher frère,
Quoique j'aie été bien prévenue que la maladie du Roi était dangereuse, néanmoins la triste nouvelle que vous avez eu la bonté de me donner, mon cher frère, par écrit, m'a extrêmement frappée, puisque je ne m'étais pas attendue que sa mort était si prochaine. L'affliction que j'ai de cette perte n'est que très-naturelle, ayant perdu un père de qui j'étais assurée de ses grâces; mais j'ose espérer que, selon les gracieuses promesses qu'il vous a plu de me faire, je retrouverai toujours un appui dans votre personne. Permettez-moi en même temps que j'aie l'honneur de vous féliciter à l'avénement de cette couronne. Veuille le ciel que vous la portiez en parfaite santé! Qu'il bénisse toutes vos entreprises, et vous comble de mille bénédictions, afin que dans bien des années aucun fâcheux accident ne vous arrive. Je me recommande de nouveau dans la continuation de vos grâces, et je ferai tout mon possible de me les conserver, étant avec un zèle le plus dévoué,
Mon très-cher frère,
la très-humble sœur et servante,
Friderique.
2. A LA MARGRAVE D'ANSBACH.
Charlottenbourg, 14 juin 1740.
Madame ma chère sœur,
Votre lettre vient de m'apporter une espèce de consolation dont j'avais besoin dans l'extrême tristesse où la perte de notre digne père m'a jeté. Je partage la vôtre, qui n'est pas moins sensible que la mienne; mais tout ce que je pourrai faire, c'est de vous offrir mes amitiés et mes soins fraternels dans la situation où vous vous trouvez, en travaillant autant qu'il me sera possible pour votre repos et pour le rétablissement d'une bonne et solide réunion avec le Margrave votre époux.1_370-a Je me flatte que vous voudrez y apporter toutes les facilités requises, par les manières douces et touchantes dont votre sexe sait gagner les cœurs. Vos dissensions ont infiniment chagriné feu notre père; je souhaite ardemment qu'elles puissent s'éclipser à jamais, et je ferai tout au monde pour obtenir un but si raisonnable. Je suis avec une très-sincère amitié, etc.
3. A LA MÊME.
Charlottenbourg, 4 octobre 1740.
Madame ma sœur,
J'ai bien reçu vos deux lettres, et je suis fort sensible aux assurances de votre tendre amitié. Je me réjouis de ce que vous me paraissez plus contente qu'auparavant, et j'espère que tout ira bien. Quant<371> à la dame qu'on vous donnera, il me semble qu'il vous conviendrait de ne pas faire la difficile; en cas que le Margrave vous en offre une, vous l'obligerez en l'acceptant avec plaisir, et il vaut mieux faire de bonne grâce ce qu'on prévoit être nécessaire. Comme je me trouve encore accablé de la fièvre, vous excuserez que je me sers d'une autre main pour vous dire, etc.
4. A LA MÊME.
Berlin, 18 octobre 1740.
Madame ma sœur,
C'est pour accuser la vôtre du 7 de ce mois que je vous écris ces lignes, et vous excuserez, s'il vous plaît, que je me sers d'une autre main pour vous remercier de ces marques de votre souvenir, ce que vous attribuerez à mon indisposition, qui ne veut pas encore cesser. Cependant j'ai été charmé de voir que vos affaires vont mieux qu'auparavant, et que vous jouissez de plus de repos et de satisfaction. Personne n'y saurait prendre plus de part que moi, qui ne fais que redoubler mes vœux pour votre bonheur et tranquillité, étant avec une très-tendre amitié, etc.
<372>5. A LA MÊME.
Rheinsberg, 1er novembre 1740.
Madame ma sœur,
J'ai eu la satisfaction de voir par votre lettre que vous rendez justice aux sentiments de tendresse que j'ai pour votre chère personne. Vous excuserez, s'il vous plaît, que je ne me trouve pas en état d'y faire réponse moi-même, me tenant au lit à cause de ma fièvre. Pour en être quitte, il ne me faut pas moins que les vœux sincères et ardents d'une sœur que j'aime au delà des expressions. La compagnie de la margrave de Baireuth1_372-a y aura aussi quelque part, et si on y joint le quinquina,1_372-a je ne désespère point d'une prompte convalescence. Au reste, j'ai été charmé d'apprendre que votre époux se comporte envers vous comme il faut, et j'espère que votre douceur et prudence achèvera de le regagner. Je suis plus que jamais, avec une amitié du monde la plus sincère, etc.
6. A LA MÊME.
Rheinsberg, 25 novembre 1740.
Votre chère lettre me prouve trop clairement votre souvenir et la confiance que vous avez en moi, pour ne vous en pas marquer ma satisfaction. Vous savez combien je vous aime; ainsi vous pouvez toujours compter sur mon assistance et être assurée que je ferai en<373> l'affaire en question tout ce qu'il me sera possible. Je me flatte que votre conduite sage et prudente répondra à mes vues, et que vous ferez tout au monde pour regagner votre époux. Je suis échappé de la fièvre, et je me porte fort bien. Votre affection pour moi vous y fera prendre part, et je vous proteste que je suis, etc.
7. DE LA MARGRAVE D'ANSBACH.
Triesdorf, 17 août 1741.
Mon très-cher frère,
Votre gracieuse lettre, que j'ai eu l'honneur de recevoir, me rend si téméraire de vous incommoder par celle-ci, en vous remerciant de toutes les grâces que vous me témoignez. J'en suis si persuadée, qu'il ne me reste rien de plus que de vous supplier de me les continuer. Les nouvelles d'ici ne regardent que le passage des troupes françaises qui sont intentionnées de frayer avec une de leurs colonnes le cercle de Franconie, ce qui ne laisse pas de beaucoup inquiéter le Margrave, qui se ressentira le premier de leur marche; cependant il espère que les bontés avec lesquelles vous l'avez comblé le préserveront de suites fâcheuses. C'est pourquoi il aura l'honneur de vous écrire pour implorer, dans un cas si délicat, votre protection. Vous voudrez bien, mon cher frère, la lui accorder en égard de sa dévotion, qui ne finira jamais. A ce sujet, il a aussi voulu témoigner son respect en levant un régiment d'infanterie, ce qu'il aurait assurément fait; mais l'impossibilité, pour le présent, lui en ôte tous les moyens, ce que vous aurez la bonté de voir par la route que je vous remets<374> en mon particulier. Je vous supplie d'être propice à cette prière, étant avec une soumission la plus profonde, etc.
8. A LA MARGRAVE D'ANSBACH.
Camp de Friedland, 9 octobre 1741.
Je viens de recevoir votre chère lettre, qui m'a été d'autant plus agréable, qu'elle m'assure de la continuation de votre sincère amitié et de la justice que vous voulez bien rendre aux effets de celle que j'ai pour vous et pour le Margrave mon frère. Vous y ajouterez, s'il vous plaît, celle de croire que ces sentiments ne finiront qu'avec ma vie, et. qu'ils me feront toujours embrasser avec chaleur vos intérêts et ceux de votre pays, que je protégerai dans toutes les occasions qui se présenteront. Cependant je me flatte que vous me conserverez toujours votre tendre souvenir, en vous protestant que rien au monde ne saurait égaler la parfaite amitié avec laquelle je suis, etc.1_374-a
Pourrais-je me flatter, ma très-chère sœur, d'avoir un jour le bonheur de vous voir avec le Margrave chez nous? Ceux de Brunswic y viennent au mois de novembre. Je ne sais si les troubles de la Bavière le permettront au Margrave, sans quoi ce me sera toujours un grand plaisir.1_374-b
<375>9. DE LA MARGRAVE D'ANSBACH.
Triesdorf, 21 juin 1743.
Mon très-cher frère,
Les expressions les plus vives que je pourrais faire par écrit ne suffisent pas pour vous témoigner la reconnaissance que je vous dois, mon cher frère, de la grâce que vous avez bien voulu me faire en m'envoyant le docteur Eller.1_375-a La bonté et le soin que vous avez pris pour ma santé m'obligent de vous rendre mes très-humbles remercîments. En vérité, je ne mérite pas cette peine que vous vous êtes donnée, et quoique je sois très-sensible à cette nouvelle preuve de votre bienveillance, je suis cependant mortifiée de vous être privé d'une pareille absence, qui est toujours si nécessaire. Il m'a rendu la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire, de même que les bienfaits de votre générosité, que je regarde comme un beau présent de votre part, dont je vous rends mille grâces, parce que je ne puis prétendre à aucun intérêt. Le ressouvenir qu'il vous plaît de me faire, mon cher frère, du capital en question est aussi un effet de votre bonne volonté, ayant bien voulu accomplir par là l'intention du feu roi à mon égard;1_375-b c'est pourquoi j'ai doublement sujet de vous supplier de ne vous point incommoder en aucune manière, étant toujours contente avec ce que vous jugerez à propos de faire;<376> c'est ce que je vous supplie d'être persuadé, étant avec un profond respect, etc.
10. A LA MARGRAVE D'ANSBACH.
Camp de Borzitz (Porschitsch), 15 juin 1745.
Madame ma sœur,
Je vous suis infiniment obligé des tendres inquiétudes que vous voulez bien témoigner avoir eues pour ma personne, par la lettre que vous m'avez écrite le 4 de ce mois. Grâce à Dieu, je me suis ressenti des vœux ardents que vous avez faits pour moi, puisque c'a été le même jour où le ciel a béni mes armes de la manière que j'ai eu déjà l'honneur de vous le mander. Je vous fais mes excuses de ce que mes occupations présentes ne veulent pas encore permettre de vous écrire de ma main propre, et vous prie d'être persuadée qu'on ne saurait rien ajouter aux sentiments d'estime et de tendresse avec lesquels je suis à jamais, madame ma sœur, etc.
<377>11. A LA MÊME.
Camp de Semonitz, 24 août 1745.
Madame ma sœur,
Je vous rends mille grâces de tout ce que vous me dites d'obligeant sur la lettre précédente que je vous ai faite. Je n'aurais pas manqué de vous le marquer de ma main propre, si des affaires pressantes que j'ai actuellement me l'avaient voulu permettre; c'est ce dont je vous fais des excuses. Permettez que je vous charge d'assurer M. le Margrave de mon estime infinie, de même que mon cher neveu des sentiments que j'ai pour lui, et soyez persuadée qu'on ne saurait être avec plus de passion que je suis, madame ma sœur, etc.
12. A LA MÊME.
Dresde, 22 décembre 1745.
Madame ma sœur,
Si je ne vous ai pas écrit depuis quelque temps, ni ne vous écris pas encore de ma main propre, je vous prie de ne l'imputer à autre chose, sinon qu'aux occupations continuelles où j'ai été pendant quelques semaines pour humilier mes amis,1_377-a qui ne visaient à autre chose qu'à la ruine totale de tout mon pays. Grâce au ciel, qui a fait tant prospérer mes armes, que non seulement l'armée saxonne avec les troupes autrichiennes qui s'y étaient jointes ont été battues et presque défaites totalement le 15 de ce mois, ainsi que, outre les<378> morts et blessés qu'elles ont laissés en place, nous leur avons pris quarante-huit canons et plus de cinq mille prisonniers, mais que cette victoire a été suivie de la reddition de la capitale, où je suis entré le 17 de ce mois. Aussi espéré-je que le fruit de tout cela sera une bonne paix, que mes ennemis, si opiniâtres jusqu'ici, seront à la fin obligés d'accepter telle que je la leur offre. Je connais trop les sentiments que vous avez pour moi, que je ne dusse être persuadé de la satisfaction que toutes ces nouvelles vous donneront; aussi serez-vous persuadée du parfait retour de mon amitié vers vous, de même que de l'estime et de la tendresse avec laquelle je suis à jamais, madame ma sœur, etc.
1_370-a Voyez t. XVI, p. 44.
1_372-a Voyez ci-dessus, p. 105, 106, 107 et 108, nos 96, 97, 98 et 99.
1_374-a De la main d'un secrétaire.
1_374-b De la main du Roi.
1_375-a Voyez t. XVI, p. XII, art. XI, et p. 197-201; t. XXVI, p. 136; et ci-dessus, p. 201.
1_375-b Il s'agit ici des trente mille écus que Frédéric-Guillaume Ier avait légués à la margrave d'Ansbach, comme à chacune de ses cinq autres filles, par son testament du 1er septembre 1733. Frédéric, n'ayant ouvert ce testament qu'au mois de décembre 1741, ne pouvait payer les legs du feu roi pendant la guerre. Plus tard, il paya à ses sœurs les intérêts annuels du capital, c'est-à-dire, chaque année la somme de mille cinq cents écus, par exemple, à la margrave d'Ansbach le 10 mars 1752 et le 11 mars 1753; le 27 avril 1760, il lui paya trois mille écus pour deux ans. Voyez t. XXVI, p. 632.
1_377-a Voyez t. III, p. 164 et suivantes, et t. XXVI, p. 83-86.