19. A LA MÊME.
Schönberg (Schönfeld), 19 (septembre 1758).
Ma très-chère sœur,
Pardon si je me moque un peu de vos prophètes; en vérité, c'est ce que l'on peut faire de mieux. Voici bien des choses qu'ils n'ont pas prévues, et qui cependant sont très-vraies. Les Turcs vont se déclarer; ils feront sûrement la guerre à la Reine et à la Russie. Les derniers se retirent de la Nouvelle-Marche, et Daun n'entreprendra rien, car les nouvelles de Constantinople opèrent déjà. Cette campagne finira ici doucement, et la prise de Pirna en fera la clôture.
Cet oracle est plus sûr que celui de Calchas.1_454-aQuand les Suédois seront partis, je vous supplierai de me donner des nouvelles du café; en revanche, je vous envoie de mauvais vers pour vous amuser un moment. Je commence à me tranquilliser; ce n'est pas encore un repos bien assuré, mais je suis dans la situation<455> de la mer après une forte tempête : les vagues sont encore émues, quoique les grands mouvements se soient calmés. J'ai trouvé mon frère Henri très-bien; je n'ai parlé d'aucune matière fâcheuse. Vous me comprenez. La plaie est trop nouvelle pour qu'on n'en réveille pas la douleur en y touchant.1_455-a Nous avons battu ici un certain Loudon, au nez de Fabius Maximus, qui, pour bien mériter ce titre, l'a laissé battre sans s'en embarrasser.1_455-b Voilà, direz-vous, un bel exploit! Que voulez-vous, ma chère sœur? c'est la farce après la tragédie. Je ne puis vous parler que d'événements. L'on s'en occupe toute la journée, et les choses qui frappent les sens y laissent plus d'impression que les réflexions. Je crains de ne vous avoir déjà que trop ennuyée. Daignez me le pardonner, et que l'amitié que vous me témoignez vous fasse supporter mon radotage en faveur des sentiments et de la tendresse avec laquelle je suis, ma très-chère sœur, etc.
1_454-a Racine, Iphigénie, acte III, scène VII. Voyez, de plus, notre t. XXV, p. 100.
1_455-a Voyez t. XXVI, p. 199 et suivantes, et p. 203-205.
1_455-b Voyez t. IV, p. 236 et 237.