<330> à Dieu lorsqu'il eut fait l'homme;a j'ai honte de mon ouvrage, et je me repentirais comme lui de l'avoir fait, si je pouvais me repentir d'avoir obéi à vos ordres.
La calomnie, lasse du silence et du mépris que je lui ai opposés, a pris enfin le parti de se taire, et moi celui de n'y plus penser; j'ai senti, comme l'ami du Misanthrope de Molière, qu'on ne doit pas plus s'étonner de voir des hommes fourbes et méchants
Que de voir des vautours affamés de carnage,
Des singes malfaisants, et des loups pleins de rage.
Continuez, Sire, à rendre heureux (autant qu'ils peuvent l'être) ces hommes qui ne le méritent guère, à les apprécier ce qu'ils valent, et surtout à leur apprendre par vos écrits et par votre exemple à être sages et justes. On m'assure que V. M. se porte bien, que ses Mémoires sont achevés,b et qu'ils sont dignes de leur auteur. Faites, Sire, comme César, avec lequel vous avez déjà tant d'autres traits de ressemblance; souffrez que ces Mémoires précieux, monument de votre modestie et de votre gloire, servent à l'instruction des guerriers, des héros et des philosophes.
M. Euler m'écrit que V. M. se propose d'assurer incessamment le sort de M. son fils, et m'en paraît pénétré de reconnaissance. Il est digne, Sire, de vos bontés par la supériorité de ses talents, par l'honneur qu'il fait depuis plus de vingt ans à l'Académie, et par son dévouement pour V. M., dont la gloire, j'ose le dire, est intéressée à conserver et à distinguer un homme d'un si rare mérite.
Si V. M. a besoin de jésuites pour dire la messe, nous en aurons vraisemblablement bientôt à lui envoyer quelques-uns, qui ne vaudront pas à la vérité M. Euler. Ils viennent de faire paraître pour leur défense un ouvrage violent qui a pour titre : Il est temps de par-
a Genèse, chap. VI, v. 6.
b Voyez t. IV, p. II, et t. XX, p. 329 et 330.