<340> loin en mathématiques que M. Euler et qu'aucun de nous. Il a déjà remporté avec la plus grande distinction deux prix dans l'Académie des sciences de Paris, et vraisemblablement ce ne seront pas les derniers. Je crois qu'il ne serait pas éloigné d'aller s'établir à Berlin, si on lui faisait un sort plus heureux que celui qu'il a dans sa patrie; car il n'est pas mieux traité à Turin que je le suis en France. Si V. M., comme je le présume, juge nécessaire de remplacer le grand vide que le départ de M. Euler va laisser dans l'Académie, j'exécuterai les ordres qu'elle voudra bien me donner à ce sujet, et, sans la compromettre, je pressentirai M. de la Grange sur ses dispositions et sur ce qu'il pourrait désirer.
La dernière lettre que V. M. m'a fait l'honneur de m'écrire au sujet de ma situation et des injustices que j'ai essuyées m'a pénétré de la plus vive reconnaissance; j'y ai trouvé les sentiments d'un philosophe, et permettez-moi d'ajouter, Sire, les bontés d'un père. Pourquoi ne donnerais-je pas à V. M. le plus doux et le plus respectable de tous les noms qui attachent entre eux les hommes? J'ai suivi ses conseils, j'ai fait à un homme en place injuste les remercîments que je lui devais suivant l'usage; mais j'espère n'être pas dans le cas de lui en faire souvent de pareils, étant bien déterminé à ne plus m'exposer à de pareils refus. En lisant, Sire, et relisant vos dernières lettres, et en admirant la sagesse de vos leçons, dont j'ai profité, je me suis rappelé un mot bien vrai du respectable mylord que V. M. aime et estime à si juste titre : « Voilà, me disait-il un jour en me montrant V. M., voilà le véritable philosophe. » Je sens tous les jours de plus en plus combien mylord Marischal avait raison. Conservez, Sire, ce philosophe au monde, qui a besoin de pareils exemples; conservez-vous pour le bonheur de vos sujets, et j'ose ajouter, pour la consolation d'un de vos disciples en philosophie, qui a du moins le mérite de bien sentir tout le prix d'un tel maître et d'un tel modèle, et de lui être inviolablement dévoué.