III. LETTRES DE DALEMBERT A FRÉDÉRIC (7 FÉVRIER 1764 - 29 MARS 1766.)[Titelblatt]
<328><329>1. DE D'ALEMBERT.3_329-a
Paris, 7 février 1764.
Sire,
La philosophie, accueillie et honorée dans vos États, méprisée ou persécutée presque partout ailleurs, et pénétrée, comme elle le doit, de la protection éclairée que Votre Majesté lui accorde, vient d'en recevoir de nouveaux témoignages. MM. Helvétius et de Jaucourt ont appris, il y a peu de jours, par une lettre du secrétaire de l'Académie des sciences, l'honneur que V. M. leur a fait à tous deux, et ils me chargent de mettre à vos pieds leur admiration, leur profond respect et leur reconnaissance. Permettez-moi, Sire, d'y joindre aussi la mienne. V. M. connaît mon estime et mon amitié pour eux, et en les rendant mes confrères dans une compagnie célèbre qu'elle honore de sa protection, elle a voulu me donner une nouvelle preuve de ses bontés, après toutes celles que j'en ai déjà reçues.
Plein du désir le plus vif de témoigner à V. M. mon attachement inviolable pour elle et l'ambition que j'ai de lui plaire, j'ai travaillé, autant que le dérangement de ma santé a pu me le permettre, aux augmentations qu'elle a désiré que je fisse à mes Eléments de philosophie, et je me suis attaché surtout aux objets que V. M. a bien voulu m'indiquer elle-même comme ayant besoin d'être éclaircis. J'ai fait de mon mieux, en pensant que j'aurais le grand Frédéric pour lecteur; mais quand je pense que je l'aurai aussi pour juge, je ressemble<330> à Dieu lorsqu'il eut fait l'homme;3_330-a j'ai honte de mon ouvrage, et je me repentirais comme lui de l'avoir fait, si je pouvais me repentir d'avoir obéi à vos ordres.
La calomnie, lasse du silence et du mépris que je lui ai opposés, a pris enfin le parti de se taire, et moi celui de n'y plus penser; j'ai senti, comme l'ami du Misanthrope de Molière, qu'on ne doit pas plus s'étonner de voir des hommes fourbes et méchants
Que de voir des vautours affamés de carnage,
Des singes malfaisants, et des loups pleins de rage.
Continuez, Sire, à rendre heureux (autant qu'ils peuvent l'être) ces hommes qui ne le méritent guère, à les apprécier ce qu'ils valent, et surtout à leur apprendre par vos écrits et par votre exemple à être sages et justes. On m'assure que V. M. se porte bien, que ses Mémoires sont achevés,3_330-b et qu'ils sont dignes de leur auteur. Faites, Sire, comme César, avec lequel vous avez déjà tant d'autres traits de ressemblance; souffrez que ces Mémoires précieux, monument de votre modestie et de votre gloire, servent à l'instruction des guerriers, des héros et des philosophes.
M. Euler m'écrit que V. M. se propose d'assurer incessamment le sort de M. son fils, et m'en paraît pénétré de reconnaissance. Il est digne, Sire, de vos bontés par la supériorité de ses talents, par l'honneur qu'il fait depuis plus de vingt ans à l'Académie, et par son dévouement pour V. M., dont la gloire, j'ose le dire, est intéressée à conserver et à distinguer un homme d'un si rare mérite.
Si V. M. a besoin de jésuites pour dire la messe, nous en aurons vraisemblablement bientôt à lui envoyer quelques-uns, qui ne vaudront pas à la vérité M. Euler. Ils viennent de faire paraître pour leur défense un ouvrage violent qui a pour titre : Il est temps de par<331>ler; on croit que les parlements leur diront pour réponse : Il est temps de partir. La philosophie prend la liberté de recommander très-humblement à V. M. leurs confrères de Silésie, qui ont donné de si bons repas aux généraux autrichiens. Elle supplierait aussi V. M., si elle l'osait, de s'intéresser auprès d'un puissant prince de ses amis pour la réédification très-peu édifiante d'un certain temple; mais elle craindrai, d'exposer les constructeurs à être engloutis une seconde fois, et elle ne veut la mort de personne.
M. de Voltaire vient de faire un ouvrage sur la Tolérance,3_331-a où il s'efforce de persuader aux chrétiens d'être tolérants, parce que leur religion est intolérable. Je doute que cette manière de les convaincre les rende fort bénévoles. Il faut traiter les dévots comme la sibylle fait Cerbère dans l'Énéide,3_331-b leur jeter du gâteau, et non pas des pierres, pour les empêcher d'aboyer. Puisse la philosophie, pour ses intérêts, être bien avec tout le monde, depuis le Grand Turc votre allié jusqu'aux évêques in partibus! Ceux qui la cultivent, et moi en particulier, ont encore quelque chose de mieux à désirer, c'est d'être bien avec leur estomac; il est encore plus difficile de digérer ce qu'on mange que ce qu'on entend dire et ce qu'on voit faire.
Je m'aperçois, Sire, un peu tard, que j'abuse étrangement des bontés et du temps de V. M.; je lui en demande pardon, et je la supplie de recevoir les assurances du profond respect avec lequel je serai toute ma vie,
Sire,
de Votre Majesté
le très-humble et très-obéissant serviteur,
d'Alembert.
2. DU MÊME.3_332-a
Paris, 3 mai 1765.
Sire,
Avant que de répondre aux différents articles de la lettre dont Votre Majesté m'a honoré, il en est un qui m'intéresse sans comparaison plus que tous les autres : c'est celui de sa santé et de son état. Le peu qu'elle veut bien m'en dire me donne une inquiétude qui a été augmentée par les nouvelles publiques. Que deviendraient, Sire, la philosophie et les lettres, si elles perdaient un protecteur et un modèle tel que vous? Pour ce qui me regarde en particulier, j'oserais dire à V. M. ce que disait Horace à Mécène dans l'ode XVII du IIe livre, avec cette différence que Mécène se plaignait de ses maux, et que V. M. souffre patiemment les siens; que Mécène désirait mille fois plus de vivre que ne le désire V. M.; et que sa vie m'est plus précieuse mille fois que celle de Mécène ne l'était à Horace.
Les règlements de V. M. pour son Académie sont également dignes et d'une si belle institution, et de son auguste fondateur. C'est un excellent plan d'éducation, dressé par un prince philosophe. Après avoir lu et relu ces règlements avec toute l'attention possible, je n'y ai rien trouvé, Sire, ni à réformer, ni à ajouter. Je prie seulement V. M. de recommander au professeur de rhétorique de bien faire sentir à ses élèves, ce qu'on ne dit pas assez aux jeunes gens, combien la déclamation, l'enflure, l'exagération, sont opposées à la véritable éloquence. J'espère aussi que le professeur de philosophie leur inspirera pour la métaphysique obscure et contentieuse le mépris qu'elle mérite. Horatius Coclès est vraisemblablement une faute de copie; c'est Curtius, chevalier romain, qui se jeta dans l'abîme, ou plutôt<333> qu'on prétend s'y être jeté.3_333-a V. M. a fait la part du prêtre bien petite : deux heures par semaine, et un seul sermon pour le dimanche; je pense comme elle que cela est suffisant; je désirerais, de plus, que le sermon roulât uniquement sur la morale, et que la religion leur fût enseignée séparément, sans mêler mal à propos, comme on fait, l'une avec l'autre, parce qu'il arrive trop souvent de ce mélange mal entendu que, en devenant incrédules, ils deviennent malhonnêtes gens; c'est un des grands inconvénients de l'éducation ordinaire.
M. Helvétius m'a appris lui-même son arrivée et l'accueil que V. M. lui a fait. Il ne connaissait que le héros et le grand roi, il connaît à présent le philosophe digne d'être aimé; il a trouvé V. M. au-dessus de sa renommée, et c'est assurément beaucoup dire.
Je ne sais pourquoi V. M. paraît presque honteuse de la poésie dont elle fait son délassement. Elle soupçonne, je le sais, ma philosophie de ne pas aimer les vers. Mais ma philosophie mériterait bien peu ce nom, si elle pensait de la sorte; elle ne connaît point d'écrivains préférables aux excellents poëtes; elle ne méprise que les vers dont l'auteur ne sait ni penser, ni peindre, ni sentir; et c'est assurément, Sire, ce qu'on ne saurait reprocher aux vôtres. Tout est hochet d'ailleurs en ce monde, à commencer par la philosophie; il n'y a de dangereux que les hochets des théologiens, parce qu'ils en font des massues pour assommer les sages; pour ces hochets-là, il faut les arracher, si on peut, à ceux qui s'en servent, les mettre en pièces, et les leur jeter à la tête. C'est ce qu'on a tâché de faire, quoique tout en douceur, dans l'Histoire de la destruction des jésuites, que sans doute V. M. aura reçue; aussi les fanatiques des deux partis, les jansénistes surtout, jettent les hauts cris contre l'auteur; ces animaux-là, qui se font assommer dans leurs greniers pour la gloire de Dieu, trouvent mauvais qu'on leur donne sur les oreilles des coups de plume pour l'honneur de la raison.
<334>Le détail où V. M. veut bien entrer sur ma santé me pénètre de la plus vive reconnaissance. Mon estomac est enfin rélabli, grâce au régime que je suis après l'avoir cherché longtemps et avoir chassé les médecins; mais il y a succédé une faiblesse de tête qui vient de la diminution de nourriture, et qui, m'interdisant souvent toute application, a retardé, à mon très-grand regret, la réponse que je devais à V. M.
On dit que l'Attila, l'Alaric, le Tamerlan du Gévaudan, contre lequel tant de bras ont été si longtemps armés en vain, vient enfin de succomber au nombre de ses ennemis.3_334-a Je commence presque à le plaindre, depuis que V. M. soupçonne que ce pourrait être le marquis. Si cet ennemi redoutable fût demeuré victorieux, s'il n'avait pas été un être malfaisant, s'il n'avait fait la guerre que malgré lui, et n'eût voulu que la paix, je sais bien, Sire, à qui on pourrait le comparer avec plus de justice.
Je prends la liberté de recommander M. Thiébault, le professeur de grammaire, aux bontés de V. M.; j'espère qu'il continuera à s'en rendre digne.
Je suis avec le plus profond respect et les plus vifs sentiments d'admiration, d'attachement et de reconnaissance, Sire, etc.
<335>3. DU MÊME.3_335-a
Paris, 19 juillet 1765.
Sire,
M. de Catt me mande qu'il a fait part à Votre Majesté de l'injustice criante que j'éprouve, et à laquelle je n'aurais pas dû m'attendre après tant de travaux et de sacrifices faits à ma patrie. Il ajoute que V. M. l'a chargé de me dire que la place de président de l'Académie est toujours vacante, et qu'elle attend que je vienne la remplir. Je sais, Sire, tout ce que je dois à vos bontés, et la circonstance présente me les rend plus chères et plus précieuses que jamais; mais je prie V. M. de me permettre de lui parler avec franchise et d'entrer avec elle dans des détails que ma situation semble autoriser.
Sire, j'ai quarante-sept ans; ma santé est considérablement altérée et affaiblie; je ne suis presque plus capable de travail. Au dépérissement de mon estomac, qui n'est pas encore rétabli, a succédé une insomnie qui m'interdit toute application; je ne suis plus, grâce au travail et aux chagrins, que l'ombre de moi-même, et je ne dois plus avoir d'autre objet que de traîner avec le moins de douleur qu'il me sera possible le peu de temps peut-être qui me reste à vivre. Pendant le séjour que j'ai eu le bonheur de faire auprès de V. M., et dont le souvenir sera toujours présent à mon cœur, j'ai reconnu, à n'en pouvoir douter, que l'air du pays m'était contraire; j'en ai eu la preuve par des accidents que je n'avais pas connus jusque-là, des maux de tête accompagnés d'étourdissements et de faiblesse dans les jambes, des courbatures et des douleurs de rhumatisme, que j'attribue à la nature de l'air que je respirais, très-différent de celui où je suis né. La première moitié de ma vie a été assez triste et assez tourmentée; dois-je m'exposer à rendre la seconde languissante et douloureuse?<336> Je sais que j'ai peut-être bien des persécutions à craindre dans le pays que j'habite; celle que j'essuie aujourd'hui, et qui est sans exemple, semble me les annoncer; mais je n'écrirai plus, et peut-être me laissera-t-on vivre en paix. J'ai d'ailleurs deux ou trois amis dont la société fait toute ma consolation, et qui ne pourraient se transplanter avec moi. Je sais que je trouverais V. M.; mais qui me répondra que je ne lui survivrai pas? et alors que deviendrais-je? Car elle doit être bien persuadée que si j'allais m'établir dans ses États, ce serait uniquement pour elle, et non pour y occuper une place dont je cloute que je sois capable, et pour y jouir d'une fortune à laquelle je n'ai jamais aspiré. Je vais ménager avec le plus grand soin ce qui me reste de force, pour aller encore une fois, s'il m'est possible, au printemps prochain, mettre aux pieds de V. M. les sentiments que je lui dois, et que j'emporterai au tombeau. Sans ses bienfaits, je ne pourrais pas même vivre actuellement à Paris, et je serais obligé de me retirer à la campagne pour y attraper le bout de l'année, et pour satisfaire en même temps à des charges volontaires, mais indispensables, qui absorbent près de la moitié de mon très-petit revenu, et qui m'obligent de vivre avec la plus grande économie. Si j'avais le malheur de perdre V. M., je serais obligé d'aller vivre et mourir pauvre dans quelque solitude; Bayle et Spinoza ont vécu et sont morts ainsi, et je ne vaux pas mieux que ces deux philosophes.
Voilà, Sire, les liens qui m'attachent, je ne puis plus dire à ma patrie, car la France refuse de l'être, mais au sol que j'habite et à l'air que je respire. V. M. a trop d'humanité et de justice pour ne les pas approuver, et même pour ne pas me trouver à plaindre. Je ne doute point que les hommes qui me persécutent à l'insu du Roi mon souverain, pour lequel V. M. connaît mon respect et mon attachement, n'abusent de ma situation et des motifs qui me font rester en France, pour me refuser la justice qu'ils me doivent; mais l'estime de V. M., et les marques qu'elle veut bien m'en donner, me dédommageront<337> de leurs mauvais traitements; cette estime est le seul bien qui me reste, et celui que je désire le plus de conserver.
On m'assure que V. M. est contente du petit ouvrage sur la Destruction des jésuites; si elle avait quelques critiques à me faire,3_337-a j'en profiterais pour une seconde édition.
Je suis avec le plus profond respect, et avec une reconnaissance et un attachement plus vif que jamais, Sire, etc.
4. DU MÊME.
Paris, 31 décembre 1765.
Sire,
La lettre que Votre Majesté m'a fait l'honneur de m'écrire,3_337-b quoique pleine de bonté et d'intérêt, m'a mis dans une situation affligeante : elle m'a fait craindre d'avoir perdu, au moins à quelques égards, l'estime de V. M., le bien le plus précieux à mon cœur, et le seul qui mette quelque consolation dans ma vie. V. M. sait que depuis plus de deux ans ma santé a souffert des dérangements considérables; ils ont abouti à une maladie qui m'a mis aux portes du tombeau, et dont j'ai bien de la peine à me rétablir. Est-il surprenant, Sire, que cette situation me fasse regarder la vie avec indifférence? et V. M. peut-elle croire que ma maladie et ma disposition actuelle soient la suite du refus qu'on m'a fait d'une misérable pension, si modique qu'elle ne suffit pas même à de nouvelles charges que le devoir et l'humanité m'imposent? Il est vrai, Sire, que j'ai été quelque temps<338> blessé de ce refus, parce que je demandais justice et non grâce, et que jamais on n'avait fait un pareil outrage à aucun de mes confrères dans les mêmes circonstances; mais mon amour-propre a eu bientôt lieu de se consoler par les cris que ce refus a excités dans toute l'Europe littéraire, et qui ont enfin forcé le ministre à cesser d'être absurde et injuste. Ce qu'il y a de certain, Sire, c'est que depuis qu'on a enfin jugé à propos de me donner cette pension, ma santé n'en est pas meilleure, et qu'ainsi le dérangement de ma frêle machine tient apparemment à d'autres causes. Elle succomberait tout à fait, si je croyais avoir perdu quelque chose dans l'opinion de V. M., si elle n'était pas persuadée que le désintéressement qu'elle m'a connu est toujours le même, et qu'il n'y a rien que je ne sois prêt à faire pour l'en convaincre.
Recevez, Sire, avec votre bonté ordinaire, mes très-humbles compliments sur la perte récente que V. M. a faite,3_338-a et mes vœux sincères pour la durée et le bonheur de ses jours. C'est avec ces sentiments et avec le plus profond respect que je serai toute ma vie. Sire, etc.
Je prends la liberté, Sire, de demander à V. M. ses bontés pour M. Candi,3_338-b qui lui est adressé par M. Helvétius, et qui doit lui être présenté incessamment.
<339>5. DU MÊME.
Paris, 29 mars 1766.
Sire,
M. Bitaubé,3_339-a qui retourne à Berlin, s'est chargé de mettre aux pieds de V. M. les sentiments de respect et de reconnaissance que je lui dois à tant de litres, et dont j'ose croire qu'elle est bien persuadée. Ces sentiments, Sire, prendraient, s'il était possible, une nouvelle force par l'impuissance où ma faible santé me met en ce moment d'aller moi-même les renouveler à V. M. C'est le plus grand chagrin que me cause mon état, sur lequel j'ai d'ailleurs pris mon parti, et qui finira quand il plaira à la destinée ou à la nature. J'envie à M. Bitaubé l'honneur qu'il aura d'approcher V. M., si elle veut bien le lui permettre. Je crois qu'elle le trouvera digne de ses bontés; il a bien mis à profit le temps qu'il a passé en France, et il en est parti avec les regrets et l'estime de tous ceux qui l'ont connu.
On m'écrit, Sire, que M. Euler quitte Berlin pour Pétersbourg.3_339-b J'avais cru que les bontés de V. M. le fixeraient à jamais dans ses États, et je ne puis, comme je le lui ai écrit à lui-même, que désapprouver beaucoup à tous égards le parti qu'il veut prendre, ou qu'il a peut-être déjà pris, et dont j'ignore encore les vrais motifs. Quelles que soient ses raisons, je dois avouer, Sire, que cette perte me paraît presque irréparable pour l'Académie. Je ne connais qu'un seul homme qui pût y remplacer dignement M. Euler; c'est un géomètre de Turin, nommé M. de la Grange,3_339-c qui est encore jeune, aussi estimable par son caractère que par ses talents, et destiné, je crois, à aller plus<340> loin en mathématiques que M. Euler et qu'aucun de nous. Il a déjà remporté avec la plus grande distinction deux prix dans l'Académie des sciences de Paris, et vraisemblablement ce ne seront pas les derniers. Je crois qu'il ne serait pas éloigné d'aller s'établir à Berlin, si on lui faisait un sort plus heureux que celui qu'il a dans sa patrie; car il n'est pas mieux traité à Turin que je le suis en France. Si V. M., comme je le présume, juge nécessaire de remplacer le grand vide que le départ de M. Euler va laisser dans l'Académie, j'exécuterai les ordres qu'elle voudra bien me donner à ce sujet, et, sans la compromettre, je pressentirai M. de la Grange sur ses dispositions et sur ce qu'il pourrait désirer.
La dernière lettre que V. M. m'a fait l'honneur de m'écrire au sujet de ma situation et des injustices que j'ai essuyées m'a pénétré de la plus vive reconnaissance; j'y ai trouvé les sentiments d'un philosophe, et permettez-moi d'ajouter, Sire, les bontés d'un père. Pourquoi ne donnerais-je pas à V. M. le plus doux et le plus respectable de tous les noms qui attachent entre eux les hommes? J'ai suivi ses conseils, j'ai fait à un homme en place injuste les remercîments que je lui devais suivant l'usage; mais j'espère n'être pas dans le cas de lui en faire souvent de pareils, étant bien déterminé à ne plus m'exposer à de pareils refus. En lisant, Sire, et relisant vos dernières lettres, et en admirant la sagesse de vos leçons, dont j'ai profité, je me suis rappelé un mot bien vrai du respectable mylord que V. M. aime et estime à si juste titre : « Voilà, me disait-il un jour en me montrant V. M., voilà le véritable philosophe. » Je sens tous les jours de plus en plus combien mylord Marischal avait raison. Conservez, Sire, ce philosophe au monde, qui a besoin de pareils exemples; conservez-vous pour le bonheur de vos sujets, et j'ose ajouter, pour la consolation d'un de vos disciples en philosophie, qui a du moins le mérite de bien sentir tout le prix d'un tel maître et d'un tel modèle, et de lui être inviolablement dévoué.
<341>J'ai lu les Lettres sur les miracles3_341-a dont V. M. m'a fait l'honneur de me parler. Il y en a de bien raisonnées; il y en a de plaisantes; il y en a que l'auteur aurait pu retrancher. L'auguste parlement de Paris ne leur a point encore fait la grâce de les brûler suivant son usage; il a pour le présent d'autres affaires, et l'embarras où il se trouve laisse respirer un peu la philosophie, dont nos pédants en robe n'ont pas moins juré la perte que des jésuites, mais qui ne périra pas comme eux.
Continuez, Sire, à faire de votre vivant des miracles que la raison ne contredira point, et qui valent bien ceux que tant d'hommes inutiles et méprisés pendant leur vie ont prétendu faire après leur mort. Un grand roi est fait pour l'histoire, et non pour le calendrier.
Mais je m'aperçois un peu tard que j'abuse du temps et de l'indulgence de V. M. par une trop longue lettre; je termine donc celle-ci en la priant de me conserver ses bontés, et d'être bien persuadée du profond respect, de l'attachement inviolable et de l'admiration avec laquelle je serai toute ma vie, Sire, etc.
3_329-a Ces lettres servent à compléter la correspondance de Frédéric avec d'Alembert, que l'on trouve dans notre t. XXIV. Nous les imprimons d'après les autographes, que M. Maercker. conseiller intime des Archives, a eu la bonté de nous communiquer.
3_330-a Genèse, chap. VI, v. 6.
3_330-b Voyez t. IV, p. II, et t. XX, p. 329 et 330.
3_331-a Œuvres de Voltaire, t. XLI, p. 213 et suivantes.
3_331-b Livre VI, v. 419 et suivants.
3_332-a Réponse à la lettre de Frédéric, du 24 mars 1765, t. XXIV, p. 435-438.
3_333-a Voyez t. IX, p. 92.
3_334-a Voyez t. XIX, p. 444 et 445; t. XXIV, p. 437.
3_335-a La réponse de Frédéric à cette lettre est datée du 20 août, et se trouve t. XXIV, p. 438-440.
3_337-a Voyez t. XXIV, p. 439 et 440.
3_337-b Lettre du 23 novembre, t. XXIV, p. 443 et 444.
3_338-a Voyez t. XXVI, p. 630, 631 et 632.
3_338-b L'un des cinq Français mis par le Roi, en 1766, à la tête de la régie dont il parle t. VI, p. 85, et t. XIX, p. 446 et 447. M. Candi fut tué en duel, au mois de décembre de la même année, par M. de Lattre, un de ses collègues.
3_339-a Voyez t. XXIII, p. 463.
3_339-b Voyez t. XX, p. XIV-XVI, 233 et 234, nos 21 et 22.
3_339-c Voyez t. XXIV. p. 444 et suivantes.
3_341-a Questions sur les miracles, par Voltaire. Voyez ses Œuvres, t. XLII, p. 143 et suivantes.