<136>quent se mettent hors d'état d'obéir au commandement de ceux qui pourraient les conduire. Autant respectable que se rend un général par son habileté avant que son armée soit mise en confusion, autant se réduit-il à rien, avec toute sa science, dès le moment que la confusion se met dans ses troupes; il peut aussi peu donner des preuves de son habileté qu'un violon peut jouer, quelque grand maître qu'il soit, si ses quatre cordes se cassent sous son archet.a C'est donc ce moment de confusion où tout l'ordre se détruit, où tout commandement cesse, où l'habileté devient inutile, dont un bon général doit profiter; car toute bataille qui ne se donne pas pour terminer la guerre devient une effusion de sang inutile à l'État. Si vous avez donc travaillé pendant toute une campagne à trouver le moment où vous pourrez mettre l'ennemi en confusion, il faut en profiter quand il est arrivé. Pour cela, 1o il faut mener avec soi du pain pour quelques jours; 2o il faut poursuivre l'ennemi quelques jours, surtout celui de la bataille; s'il ne peut trouver le moment de se recueillir, il fuira toujours plus loin; s'il fait même mine de s'arrêter quelque part, il faut le brusquer où il paraît vouloir faire ferme, ne point épargner les troupes alors, soit par des fatigues ou des attaques nouvelles, puisqu'il s'agit, par ces fatigues-là, de leur procurer par la suite un long repos. Chaque jour de poursuite diminuera l'armée ennemie de quelques milliers d'hommes, et bientôt il ne lui restera plus de corps assemblé, surtout si l'on fait tous les efforts possibles pour leur enlever le bagage. C'est par ces sortes d'actions que, dans peu de campagnes, on fait plus de chemin que d'autres généraux dans beaucoup d'années; mais cela n'est pas facile, car beaucoup d'officiers se tiennent quittes pour avoir fait leur devoir à la rigueur; la plupart sont si aises que la bataille soit finie, qu'on a bien de la peine à leur inspirer cette nouvelle ardeur de poursuivre. Il faut surtout bien choisir les officiers détachés pour hâter la fuite des ennemis, et
a Voyez t. XII, p. 233 et 234; t. XIX, p. 311.