<183> même temps, elles auraient écrasé nos corps les uns après les autres, et qu'en poussant et pressant par les extrémités vers le centre, ils auraient pu forcer nos troupes à se réduire à la seule défense de la capitale? Mais leur puissance même leur a été nuisible; ils ont mis leur confiance les uns dans les autres, le général de l'Empire dans l'Autrichien, celui-là dans le Russe, celui-là dans le Suédois, et enfin celui-là dans le Français. De là cette indolence dans leurs mouvements et cette lenteur dans l'exécution de leurs projets. S'endormant aux flatteuses idées de leurs espérances et dans la sécurité de leurs succès futurs, ils ont regardé le temps comme à eux. Combien de moments favorables ont-ils laissés échapper! que de bonnes occasions n'ont-ils pas manquées! en un mot, que de fautes énormes n'ont-ils pas faites, auxquelles nous devons notre salut!a
Voilà les spéculations que m'a fournies la campagne passée, seul fruit que j'en aie retiré. L'empreinte encore vive et récente de ces images m'est devenue une matière à réflexions. Tout n'est pas épuisé; il reste beaucoup de choses à dire, dont chacune mérite un examen particulier. Mais malheureux celui qui ne sait pas s'arrêter en écrivant! J'aime mieux ouvrir la carrière des méditations que de la remplir seul, et donner à ceux qui liront ceci lieu à penser des choses qui, s'ils y appliquent les facultés de leur esprit, vaudront mieux que ces idées tracées légèrement et à la hâte.
Breslau, 27 décembre 1758.
a Le jugement que le Roi porte ici sur l'armée autrichienne est reconnu tout à fait juste par le colonel de Cogniazo dans son ouvrage (anonyme), Geständnisse eines Oestreichischen Veterans, Breslau, 1790, t. III, p. 65 et suivantes.