I. LETTRE DE M. LE COMTE DE PODEWILS, MINISTRE DU CABINET DE SA MAJESTÉ LE ROI DE PRUSSE, A M. DE VILLIERS, MINISTRE PLÉNIPOTENTIAIRE DE SA MAJESTÉ BRITANNIQUE A LA COUR DE SAXE.
De Berlin, le 28 novembre 1745.
Monsieur,
C'est par un ordre exprès du roi mon maître, que j'ai l'honneur de vous écrire celle-ci.
Sa Majesté est persuadée que vous êtes pleinement informé, monsieur, de tous les soins infatigables que Sa Majesté Britannique s'est bien voulu donner jusqu'ici pour rétablir la paix en Allemagne, et une bonne harmonie entre le roi mon maître et les cours de Vienne et de Dresde, par la convention conclue et signée à Hanovre le 26 août (nouv. style) de l'année courante, entre le roi mon maître et Sa Majesté Britannique, et ratifiée de part et d'autre.
Vous ne sauriez ignorer non plus, monsieur, la modération que le roi mon maître a témoignée immédiatement après la signature de cette convention, puisque, sans attendre que les cours de Vienne et de Dresde eussent déclaré qu'elles la voulaient accepter, Sa Majesté,<206> dans le dessein de montrer ses grands égards et son attention infinie pour Sa Majesté Britannique, a bien voulu suspendre les effets de son juste ressentiment contre l'invasion hostile des troupes saxonnes en Silésie, en ordonnant à S. A. Mgr. le prince d'Anhalt, dès que la nouvelle de la signature de la convention de Hanovre nous fut parvenue, de ne point entrer en Saxe, quoiqu'il se trouvât sur le point de le faire avec une armée bien supérieure à celle que la cour de Dresde lui pouvait alors opposer.
C'est dans les mêmes sentiments de modération, et pour témoigner d'autant plus les dispositions pacifiques du Roi, que Sa Majesté, nonobstant le refus des cours de Vienne et de Dresde d'acquiescer à un accommodement aussi juste et équitable que celui qui est stipulé dans la convention de Hanovre, a bien voulu surseoir constamment toutes les hostilités contre la Saxe, auxquelles l'invasion de la Silésie l'avait assez autorisée. Et le Roi, pour convaincre encore plus Sa Majesté Britannique, et toutes les puissances bien intentionnées, de son désir pour la paix et le prompt rétablissement d'une bonne union et harmonie avec la cour de Dresde, est allé plus loin; et, pour ne plus donner d'ombrage à la Saxe, il a fait retirer la plus grande partie de l'armée de S. A. le prince d'Anhalt des frontières de la Saxe, ayant fait déclarer à votre cour, monsieur, aussi bien qu'à celle de Russie, qu'il ne tiendrait jamais à Sa Majesté de donner les mains à un prompt accommodement avec Sa Majesté le roi de Pologne, et d'accepter les bons offices que Sa Majesté l'Impératrice y voulait employer de concert avec Sa Majesté Britannique.
Mais comme, malgré toutes ces démarches les plus amiables et les plus pacifiques du roi mon maître, la cour de Dresde, bien loin d'y répondre en aucune façon, avait pris la funeste résolution d'appeler deux armées autrichiennes dans le cœur de la Saxe, pour traverser d'un côté avec leurs forces réunies la Lusace, et pénétrer de là non seulement en Silésie, mais aussi dans les anciens États héréditaires de<207> Sa Majesté, tandis que l'armée saxonne, proche de Leipzig, était destinée à faire, de concert avec le corps de troupes autrichiennes qui est sous les ordres du général comte de Grünne, une invasion dans le pays de Magdebourg, et même tout droit vers cette capitale : le Roi s'est vu forcé à regret, et bien malgré lui, de prendre les mesures les plus vigoureuses que les lois divines et humaines permettent et ordonnent même, pour détruire des desseins si dangereux, et pour ne point attendre dans le cœur de ses États des ennemis acharnés à sa perte et qui s'avançaient de tous côtés pour l'écraser. C'est dans cette fâcheuse nécessité que Sa Majesté s'est trouvée obligée d'aller au-devant de l'armée combinée autrichienne et saxonne en Lusace, pour lui couper le chemin, et l'empêcher de percer dans le cœur des États héréditaires du Roi. La Providence, qui jusqu'ici a donné des marques de sa protection si visibles au Roi contre tant d'ennemis conjurés contre lui, a bien voulu bénir encore cette fois les justes armes de Sa Majesté; et elle a non seulement eu le bonheur de défaire entièrement, à son entrée en Lusace, le corps de troupes auxiliaires saxonnes qui faisaient l'avant-garde de l'armée autrichienne, après avoir fait plus de mille prisonniers, parmi lesquels se trouvent une trentaine d'officiers avec le général de Buchner, le colonel O'Byrn et d'autres officiers de marque, outre quatre pièces de canon, trois drapeaux, deux étendards et deux paires de timbales : mais de plus Sa Majesté ayant marché ensuite du côté de Görlitz pour attaquer l'armée autrichienne, celle-ci n'a pas trouvé à propos de l'attendre; mais, après avoir abandonné son corps de troupes auxiliaires saxonnes, et un grand magasin à Görlitz, dont nos troupes se sont emparées en y faisant encore deux cents hommes et plusieurs officiers du régiment des gardes saxonnes prisonniers, le prince Charles s'est retiré avec tant de diligence et de désordre vers Zittau et les frontières de la Bohême, que ses troupes ont même pillé tous les villages saxons où elles avaient cantonné.
<208>Cependant, et malgré tous ces avantages qui rendent le Roi maître de toute la Haute-Lusace, et qui seront, s'il plaît à Dieu, suivis bientôt de plus considérables encore, Sa Majesté est toujours prête à se réconcilier sincèrement avec Sa Majesté le roi de Pologne, à oublier tout le passé, et à retirer incessamment toutes ses troupes des États de Saxe, aussitôt qu'il aura plu à ce prince d'accéder formellement à la convention de Hanovre, de renvoyer les troupes autrichiennes, et de ne leur plus accorder jamais aucun passage par ses États pour faire la guerre au roi mon maître, ni en Silésie, ni dans aucune autre province de la domination du Roi.
Sa Majesté, dans les termes où elle en est avec le roi votre auguste maître, croit pouvoir s'adresser hardiment à un ministre aussi éclairé et aussi bien intentionné que vous l'êtes, monsieur, pour vous prier, ainsi qu'il m'a expressément ordonné de le faire de sa part, de vouloir bien informer, sans perte de temps, de ces sentiments de modération et de ces dispositions pacifiques Son Excellence M. le comte de Brühl, et même Sa Majesté le roi de Pologne, et de nous faire savoir au plus tôt les résolutions et la réponse de la cour où vous êtes, sur tout cela.
Le Roi m'enjoint expressément de vous dire, monsieur, que vous pouvez compter sur sa parole, et que vous n'aurez jamais aucun démenti à craindre sur tout ce que je viens de vous mander de la part de Sa Majesté et par ses ordres exprès.
Mais vous pouvez bien juger aussi, monsieur, que le Roi ne saurait discontinuer de profiter de ses avantages, et de les pousser aussi loin qu'il est possible pour prévenir les dangereux desseins de ses ennemis, jusqu'à ce qu'il aura plu à la cour où vous êtes, d'accéder purement et simplement à la convention de Hanovre du 26 du mois d'août de l'année présente.
Au reste, comme jusqu'à présent on a fait un assez mauvais usage à Dresde de toutes les ouvertures qui ont été faites de notre côté pour un accommodement, j'ose me flatter que vous ne donnerez point de<209> copie de ma lettre au ministère de Saxe. Il y aura d'autres moyens pour le rassurer sur la sincérité et la bonne foi du Roi, si l'on est disposé, autant que Sa Majesté l'est, à écouter la voix de la modération et de la réconciliation.
J'espère que vous voudrez bien m'honorer d'une prompte réponse par l'envoi d'une estafette, et je suis charmé que cette occasion me procure celle de vous assurer de la plus parfaite considération avec laquelle j'ai l'honneur d'être etc.
H. comte de Podewils.