<203>Le chevalier Keith, qui, pendant ces entrefaites, était arrivé à Pétersbourg, n'y trouva point la cour dans une disposition avantageuse aux commissions dont il était chargé; les ministres d'Autriche, de France, de Saxe, y étaient tout-puissants par le moyen de leurs intrigues et de leurs profusions; ils avaient gagné le comte Iwan Schuwaloff, favori d'Élisabeth, qui gouvernait alors l'Impératrice et par conséquent l'empire. Les ministres, mécontents du peu de progrès de l'armée russe, surtout de sa retraite à la fin de la campagne dernière, tâchaient de faire passer leur enthousiasme pour cette guerre dans l'esprit de l'Impératrice, et l'excitaient à faire, la campagne prochaine, de plus grands efforts que par le passé; ils s'aperçurent que leurs menées étaient secrètement traversées par le grand chancelier Bestusheff, et ils résolurent de le culbuter, comme en effet ils y réussirent. Nous avons dépeint dans cet ouvrage ce comte Bestusheff comme un homme qui, par passion, s'était fait un principe d'être l'ennemi juré des Prussiens. Deux raisons, ayant altéré ces sentiments de haine, avaient influé sur son changement de conduite : l'une était sa forte pension, que les Anglais continuaient de lui payer, et l'autre, la possession où le Roi se trouvait des archives de Dresde. On avait trouvé dans ces archives une lettre où il conseille au comte de Brühl de se défaire par le poison d'un résident russe à Varsovie, dont ces deux ministres étaient également mécontents, comme lui, disait-il, s'était défait du sieur de Castéras, dont il craignait l'esprit délié. M. de Bestusheff n'avait point de répugnance pour commettre des crimes, mais il ne voulait pas qu'on le sût; et la crainte que cette lettre odieuse ne fût publiée, l'engagea de promettre au Roi de lui rendre des services importants, pour qu'il consentît à la supprimer. C'était à quoi le Roi fut facile à disposer, et le ministre fut exact, de son côté, à remplir son engagement : car il dressa l'instruction du maréchal Apraxin d'une manière aussi favorable aux intérêts du Roi que les conjonctures le permettaient; ce fut l'unique cause de ce