<22> Brühl entretenait, tant avec le comte Bestusheff, que des dépêches du comte Flemming de Vienne. Le comte de Brühl se sentait humilié par la paix de Dresde; il était jaloux de la puissance du Roi, et il travaillait, de concert avec la cour de Vienne, à Pétersbourg, pour y communiquer la haine et l'envie dont il était dévoré. Ce ministre ne respirait que la guerre : il se flattait de profiter des premiers troubles de l'Europe, pour abaisser un voisin dangereux de la Saxe; il comprenait que cet électorat ne serait pas épargné, et que les premiers efforts des Prussiens s'y porteraient; et toutefois il laissait dépérir l'état militaire de la Saxe. Nous n'examinerons pas si sa conduite fut bien conséquente : il ne devait pas ignorer que tout État se trompe, qui au lieu de se reposer sur ses propres forces, se fie à celles de ses alliés. Ainsi par le ministère de ces deux hommes dont nous venons de parler, il n'y avait rien de caché pour le Roi, et leurs fréquentes nouvelles lui servaient comme de boussole pour se diriger entre les écueils qu'il avait à éviter, et l'empêchaient de prendre de pures démonstrations pour un dessein formé de lui déclarer incessamment la guerre.
Cependant l'ascendant de la cour de Vienne sur celle de Pétersbourg s'augmentait de jour en jour; il devait s'accroître rapidement, parce que l'esprit du ministre était préparé à recevoir favorablement les insinuations qu'on pouvait lui faire contre les Prussiens. Le comte de Bestusheff avait soupçonné M. de Mardefeld, ministre du Roi, d'être d'intelligence avec M. de La Chétardie pour lui faire perdre son poste. A ce sujet de haine s'en joignait un autre. L'an 1745, lorsqu'en automne le Roi entra en Saxe, avant que la bataille de Kesselsdorf se donnât, M. de Mardefeld eut ordre d'offrir quarante mille écus à M. de Bestusheff, pour que la Russie ne se mêlât point de cette guerre, et après la paix de Dresde, par une économie déplacée, ou soit par un effet d'inimitié personnelle, M. de Mardefeld se dispensa de payer cet argent au grand chancelier; ce qui fit que ce ministre