<8> cinquante-six mille quintaux, répartis dans les différentes places du royaume. Les magasins d'abondance étaient remplis de trente-six mille winspels de farine et de douze mille d'avoine; de sorte que par ces mesures et par ces arrangements préalables tout était préparé pour la guerre qu'on prévoyait, et qui ne paraissait pas éloignée.
Dans l'année 1755, le Roi fit même une augmentation dans les régiments de garnison : ceux de Silésie furent portés à huit bataillons, ceux de Prusse à trois, ceux de la Marche électorale à deux; ce qui fait en tout treize bataillons. Dans un pays pauvre, le souverain ne trouve pas de ressources dans la bourse de ses sujets, et son devoir est de suppléer par sa prudence et sa bonne économie aux dépenses extraordinaires qui deviennent nécessaires : les fourmis amassent en été ce qu'elles consomment en hiver; et il ménage durant la paix les sommes qu'il faut dépenser dans la guerre. Ce point, malheureusement si important, n'avait pas été oublié, et la Prusse se trouvait en état de faire quelques campagnes de ses propres fonds; en un mot, elle était prête à paraître dans l'arène au premier signal, et à se mesurer avec ses ennemis. Vous verrez dans la suite combien cette précaution fut utile, et la nécessité où se trouve un roi de Prusse, par la situation bizarre de ses provinces, d'être armé et préparé à tout événement, pour ne pas servir de jouet à ses voisins et à ses ennemis. Il aurait fallu au contraire en faire davantage, si les facultés de l'État l'avaient permis; car le Roi avait dans la personne de l'Impératrice-Reine une ennemie ambitieuse et vindicative, d'autant plus dangereuse qu'elle était femme, entêtée de ses opinions, et implacable.
Cela était si vrai, que dès lors l'Impératrice-Reine préparait dans le silence du cabinet les grands projets qui éclatèrent dans la suite. Cette femme superbe, dévorée d'ambition, voulait aller à la gloire par tous les chemins; elle mit dans ses finances un ordre inconnu à ses ancêtres, et non seulement répara par de bons arrangements ce