CHAPITRE VI.
Campagne de 1757.
Les troupes prussiennes entrèrent en cantonnement sur la fin de mars; elles étaient partagées en quatre corps différents : le prince Maurice commandait aux environs de Zwickau; le Roi avec le gros de l'armée se tenait entre Dresde, Pirna, Gieshübel et Dippoldiswalda; le prince de Bevern avait rassemblé aux environs de Zittau le corps qui avait hiverné en Lusace; et le maréchal de Schwerin s'était avancé avec son armée sur les frontières de la Bohême entre Glatz, Friedland et Landeshut. Le projet de campagne qu'on avait formé, consistait en ce que ces quatre corps devaient à la fois pénétrer en Bohême et arriver par différentes directions à Prague, qui leur servirait de point de ralliement. On pouvait se promettre que ce grand mouvement jetterait une confusion étonnante dans les différents corps des ennemis répandus dans leurs quartiers; on pouvait espérer d'en surprendre quelques-uns, et d'avoir occasion d'engager des affaires particulières avec les autres, qui en en faisant périr une partie en détail, donnerait un ascendant et une supériorité aux Prussiens pour le reste de la campagne; ce qui pouvait mener à une action décisive, dont le succès fixerait le sort de cette guerre. Rien n'était plus important<128> que de cacher ce projet : il ne pouvait réussir qu'en en dérobant la connaissance et le soupçon même aux ennemis et à la cour de Saxe, qui trahissait les Prussiens, et à l'armée, pour que l'imprudence ne le divulguât pas.
Afin d'en imposer également à tout le monde, on fit fortifier et palissader la ville de Dresde, pour la mettre en état de défense. Le Roi choisit en même temps un nombre de camps forts à l'entour de Dresde, comme s'il se préparait à faire une guerre défensive : ces camps furent marqués à Cotta, Maxen, Possendorf, au Windberg et à Mohorn. Les chasseurs saxons qu'on y employa, n'eurent rien de plus pressé que d'en avertir la cour, et la reine de Pologne ne manqua pas aussitôt d'en informer les généraux autrichiens. On ne s'en tint pas uniquement à ces fausses démonstrations, et pour endormir davantage les généraux ennemis, on fit quelques faibles incursions en Bohême, comme pour se venger par là des partis que les ennemis avaient, l'hiver, conduits en Lusace pour inquiéter les Prussiens. Dans cette intention, le prince Maurice fit une course vers Éger; le maréchal Keith entreprit à Schluckenau contre un détachement autrichien, qui ne l'attendit pas; le prince de Bevern surprit à Böhmisch-Friedland quatre cents fantassins et pandours, qui se rendirent prisonniers. Toutes ces petites entreprises entretinrent les Impériaux dans leur sécurité; ils se persuadèrent que le Roi se bornait à leur donner de petites alarmes, et ils ne le soupçonnèrent pas de plus grands desseins.
Les différents corps de l'armée prussienne se mirent en mouvement, les uns le 20, les autres le 21 d'avril. Le prince Maurice pénétra en Bohême par le Basberg, d'où il s'avança sur Kommotau. Le Roi se campa à Nollendorf; il poussa son avant-garde à Karbitz, d'où M. de Zastrow fut détaché avec sa brigade, pour occuper Aussig, et chasser les Autrichiens du château de Tetschen. Le lendemain l'armée se rendit à Linay, où le prince Maurice, qui venait de Brix, la joignit. Tous les quartiers autrichiens se replièrent en delà de l'Éger<129> à l'approche des Prussiens; le château de Tetschen ne se rendit que le 27; M. de Zastrow129-a eut le malheur d'y être tué.
L'armée passa ensuite le Paschkopole, et traversant les plaines de Lowositz, elle vint se camper à Trebnitz. On occupa le Hasenberg, et la droite s'appuya au Paschkopole. Cette position se trouva vis-à-vis de celle que le maréchal Browne venait de prendre à Budin : on savait que ce maréchal y attendait le lendemain une division de ses troupes, qui avait hiverné dans les cercles de Saatz et d'Éger; on voulut tenter de prévenir cette jonction; on voulut même essayer si l'on ne pourrait pas combattre ce corps avant qu'il fût à portée du camp de Budin. Pour cet effet, il fut résolu que la nuit même l'armée passerait l'Éger à un mille et demi au-dessus du camp de M. de Browne; et si l'occasion ne se présentait pas de battre cette division qui était en chemin, du moins résulterait-il de cette manœuvre qu'en tournant la position de M. de Browne on l'obligerait à l'abandonner. On établit en conséquence deux ponts à Koschtitz; ils ne furent achevés que le lendemain matin, que les troupes passèrent l'Éger. Les hussards qu'on envoya aussitôt à la découverte, rencontrèrent près de Penich129-b la division qui devait joindre M. de Browne. Cette division, étant informée du passage des Prussiens, se replia sur Welwarn, sans qu'il fût possible de l'entamer, parce que la moitié de l'armée avait à peine passé la rivière. Le maréchal Browne ne tarda pas à s'apercevoir que son poste était tourné : il comprit qu'il ne pouvait se joindre avec les troupes qui lui venaient qu'en se retirant à Welwarn, et il se mit aussitôt en marche pour y arriver; les hussards<130> prussiens harcelèrent son arrière-garde, et lui prirent quelques prisonniers.
L'armée du Roi se campa à Budin, et employa le lendemain à réparer les ponts de l'Éger, pour assurer la communication de la Saxe; les magasins importants que les ennemis avaient à Martinowes, à Budin et à Charwatetz, tombèrent entre les mains des Prussiens; ce qui facilita considérablement la subsistance des troupes. De Budin l'armée s'avança sur Welwarn, que l'ennemi venait d'abandonner, et l'on poussa jusqu'à Tuchomierzitz une avant-garde composée de quarante escadrons et de tous les grenadiers de l'armée; le Roi, qui s'y trouvait, vit l'armée de M. de Browne, qui était encore en marche; derrière ces colonnes qui défilaient, suivait une arrière-garde dont la contenance mal assurée fit naître l'envie de l'attaquer : M. de Zieten donna dessus, et fit trois cents prisonniers. Les ennemis, du commencement, s'étaient postés au Weissenberg; ils l'abandonnèrent le 2 de mai; l'avant-garde prussienne s'en saisit, et elle vit l'ennemi qui passait la ville de Prague, et prenait un camp à l'autre bord de la Moldau. L'armée du Roi occupa le même jour tous les environs de la ville, dont elle formait une espèce de circonvallation : sa droite s'appuyait à la haute Moldau, d'où le camp allait, en embrassant Saint-Roch, le couvent de la Victoire et Weleslawin, s'appuyer à Podbaba à la basse Moldau.
Durant cette marche de l'armée du Roi, le prince de Bevern avait poussé de son côté les opérations avec vigueur; il était entré le 20 d'avril en Bohême, en s'avançant par Krottau et Kratzau sur Machendorf; sa cavalerie battit en marche un détachement autrichien qui s'avançait pour faire une reconnaissance. L'ennemi avait pris à Reichenberg une position avantageuse; le comte de Königsegg commandait ce corps, dont on évaluait la force à vingt-huit mille combattants. Ce fut le 21 d'avril que le prince de Bevern se mit en mouvement pour l'attaquer : il s'avança sur deux colonnes, prenant<131> le chemin de Habendorf, vers l'armée ennemie; il fallait passer une chaussée pour y arriver. Ce défilé, que les ennemis ne pouvaient défendre avec la mousqueterie, n'arrêta guère les Prussiens. Au delà de ce passage se trouvait le corps de M. de Königsegg, auquel il avait donné la forme d'un cercle concave. La cavalerie autrichienne occupait le centre de ce cercle, et se trouvait rangée en trois lignes sur une petite plaine, enchâssée entre les deux ailes d'infanterie qui allaient en avançant, le dos appuyé à d'épaisses forêts, ayant en quelques endroits des abatis devant elle, et des redoutes garnies d'artillerie, dont le feu protégeait la cavalerie. La droite du prince de Bevern attaqua la gauche de l'ennemi; quinze escadrons prussiens chargèrent en même temps cette cavalerie impériale dans la plaine, et la mirent en déroute. Le prince de Würtemberg131-a y fit des prodiges de valeur. Alors M. de Lestwitz attaqua la droite de l'ennemi et les redoutes qui couvraient Reichenberg, et quoiqu'il traversât différents défilés avant que d'y arriver, néanmoins le régiment de Darmstadt131-b força ces redoutes, et obligea l'ennemi à prendre la fuite; on le poursuivit de hauteur en hauteur jusqu'à Röchlitz et à Dörfel; la difficulté de ce terrain montueux, et l'impossibilité qu'il y a que des troupes qui veulent demeurer en ordre, puissent atteindre un ennemi qui fuit à la débandade, empêchèrent le prince de Bevern de ruiner entièrement ce corps. Les Autrichiens perdirent environ dix-huit cents hommes à cette action, dont huit cents furent pris par le prince de Bevern. La perte des Prussiens ne passa pas trois cents hommes, parce que l'ennemi ne leur avait pas opposé une résistance opiniâtre.<132> Le prince de Bevern suivit à Liebenau M. de Königsegg, où un défilé impraticable, derrière lequel ce général avait formé son monde, l'empêcha de tenter de nouvelles entreprises.
De ce côté, les Prussiens n'auraient pu pénétrer plus avant en Bohême, si le maréchal de Schwerin en survenant ne les eût secondés à propos. L'armée de Silésie fut la première qui entra en Bohême, le 18 d'avril; elle déboucha dans ce royaume par cinq différents chemins : une de ces colonnes qui se dirigeait sur Schatzlar, pensa y surprendre les princes de Saxe, qui s'y trouvaient; celle qui prenait la route de Golden-Oelse, rencontra trois cents pandours qui d'un rocher escarpé défendaient le passage aux Prussiens : M. de Winterfeldt trouva le moyen de faire gravir sur ces rocs quelques troupes qui prirent ces pandours à revers et les passèrent au fil de l'épée; les trois autres colonnes, qui débouchèrent par le comté de Glatz, n'ayant point rencontré d'ennemis sur leur chemin, joignirent toutes le maréchal de Schwerin à Königinhof. Ce maréchal, ayant des nouvelles de ce qui s'était passé du côté du prince de Bevern, se porta à dos de M. de Königsegg, qu'il pensa surprendre dans son camp de Liebenau; les Autrichiens décampèrent en hâte, et voulurent diriger leur marche sur Jung-Bunzlau; M. de Schwerin les y prévint encore, et il s'empara en même temps du magasin considérable que les ennemis avaient formé à Kosmanos. Ce fut à cet endroit que le corps de la Lusace joignit l'armée de la Silésie.
Cependant M. de Königsegg s'avançait à grandes journées vers Prague; le maréchal le suivit à Bénatek, d'où il détacha, pour talonner l'ennemi de plus près, M. de Wartenberg, qui défit près d'Alt-Bunzlau l'arrière-garde autrichienne, forte de quinze cents hommes, dont le plus grand nombre fut tué ou pris. Ce brave général, un des meilleurs officiers de cavalerie de l'armée, y perdit la vie,132-a et fut universelle<133>ment regretté. M. de Fouqué marcha sur cela avec l'avant-garde du maréchal à Bunzlau, et il s'y arrêta jusqu'au 4 de mai, pour rétablir les ponts de l'Elbe, que l'ennemi avait rompus pour assurer sa retraite. Le même jour, le maréchal fit passer la rivière à son armée, et se campa à un mille et demi de Prague.
Une partie des troupes que M. de Piccolomini avait commandées l'année précédente, n'était pas encore assemblée; le maréchal Daun en avait reçu le commandement après la mort du premier. Sur le bruit de ces différentes invasions des Prussiens, ce maréchal reçut ordre de rassembler son armée, et de la mener droit à Prague; M. de Browne l'attendait avec d'autant plus d'impatience, qu'il voyait que toutes les forces des Prussiens allaient incessamment fondre sur lui. Le Roi était instruit de la marche du maréchal Daun; son armée ne pouvait rien entreprendre contre M. de Browne, qui était couvert par la Moldau et par la ville de Prague; d'ailleurs les choses en étaient venues au point que le sort des deux armées devait nécessairement se décider par une bataille; et puisqu'on ne pouvait l'engager qu'à l'autre rive de la Moldau, le Roi résolut d'attaquer M. de Browne avant sa jonction avec M. Daun. Pour cet effet, on construisit un pont sur la Moldau près de Seltz, et le Roi le passa à la tête d'un détachement de vingt bataillons et de quarante escadrons; c'était le 5 de mai. Ce prince eut le temps de reconnaître la position des ennemis : il trouva le front de M. de Browne d'un trop difficile abord pour l'attaquer, et il s'aperçut qu'en tournant la droite des ennemis, le terrain présentait un aspect plus avantageux pour un engagement.
Le lendemain, de grand matin, les deux armées prussiennes se joignirent à la portée du canon des ennemis, et l'on résolut de les attaquer tout de suite. La gauche des Autrichiens s'appuyait sur la montagne de Ziska, et se trouvait protégée par les ouvrages de Prague; un ravin de plus de cent pieds de profondeur couvrait son front; la droite se terminait sur une hauteur au pied de laquelle se<134> trouve le village de Sterboholy. Pour rendre plus égal le combat qu'on méditait, il fallait contraindre M. de Browne d'abandonner une partie de ces montagnes et de longer dans la plaine. A cette fin, le Roi changea son ordre de bataille : l'armée avait défilé en colonnes rompues; on la mit sur deux lignes, et on la fit marcher par la gauche, en prenant le chemin de Potschernitz. Dès que M. de Browne s'aperçut de ce mouvement, il prit sa réserve de grenadiers, sa cavalerie de la gauche et sa seconde ligne d'infanterie, avec lesquelles il côtoya les Prussiens, en tenant une ligne parallèle; c'était précisément ce qu'on voulait. L'armée du Roi poussa à Piechowitz par des défilés et des marais qui séparèrent un peu les troupes; la cavalerie prussienne fila au travers de ce village, où elle trouva une plaine bornée par un étang, qui lui présentait précisément la distance qu'il lui fallait pour se former, et, emboîtée entre ce village et cet étang, ses flancs se trouvaient à l'abri d'insulte; elle attaqua vigoureusement la cavalerie autrichienne; après trois charges consécutives, elle l'enfonça et la mit entièrement en déroute. A peine dix bataillons de la gauche étaient formés, avant que la seconde ligne pût les joindre, qu'ils attaquèrent l'ennemi avec plus de précipitation et de courage que de prudence; ils essuyèrent un feu d'artillerie prodigieux, et furent repoussés, mais certainement pas avec honte; car les plus braves officiers et la moitié des bataillons étaient couchés sur le carreau. Le maréchal de Schwerin, qui malgré son grand âge conservait encore tout le feu de sa jeunesse, voyant avec indignation des Prussiens repoussés, se mit à la tête de son régiment, et prenant un drapeau à la main, il le conduisit à la charge et y fit des efforts de valeur extraordinaires; mais comme il n'y avait point encore de troupes pour le soutenir, il y succomba et y fut tué, en terminant une vie glorieuse par une mort qui y ajoutait un nouveau lustre. La seconde ligne arriva dans ces entrefaites; le Roi attira encore à lui le prince Ferdinand de Brunswic avec quelques régiments, et le combat<135> se redressa d'autant plus facilement, que M. de Treskow135-a avec sa brigade, qui était tant soit peu plus à droite, avait percé la ligne des ennemis. Le Roi fit alors avancer les régiments de Charles135-b et de Jeune-Brunswic;135-c il joignit M. de Treskow, et avec ce corps il poussa l'infanterie autrichienne au delà de ses tentes, qu'elle n'avait pas eu le temps d'abattre. Dès ce moment, la déroute devint générale à la droite des ennemis; on demanda de la cavalerie, pour profiter de ce désordre; le malheur voulut que les hussards et les dragons tombèrent sur du bagage ennemi qui s'enfuyait, et ils arrivèrent trop tard pour donner dans l'infanterie, qui sans cet accident aurait toute été prise ou passée au fil de l'épée. Cela n'empêcha pas que le Roi ne poursuivît vivement l'ennemi. On envoya M. de Puttkammer135-d avec des hussards vers la Sasawa, où s'était sauvée une partie des fuyards, et avec le gros des troupes on s'avança vers le Wyssehrad, de sorte que la gauche des Autrichiens était entièrement coupée de sa droite. La droite de l'armée du Roi n'était point destinée à combattre, à cause de ce profond ravin dont nous avons parlé, qui était devant elle, et du désavantage que le terrain lui donnait; elle fut cependant engagée par l'imprudence de M. de Manstein, qu'un courage trop bouillant emportait quelquefois. Cette valeur fougueuse, qui s'embrasait à la vue de l'ennemi, le fit avancer sans qu'il en eût reçu l'ordre; il attaqua l'ennemi tout de suite. Le prince Henri et le prince de Bevern, qui, en désapprouvant sa conduite, ne voulurent cependant pas l'abandonner, furent forcés de le soutenir; l'infanterie prussienne<136> gravit sur des rochers escarpés, défendus par toute la gauche des Autrichiens et par une nombreuse artillerie. Le prince Ferdinand de Brunswic, s'apercevant que le combat s'engageait de ce côté-là et devenant d'ailleurs inutile à la gauche, où il n'y avait plus d'ennemis vis-à-vis de lui, prit les Autrichiens en flanc et à dos : ce secours seconda si à propos les efforts du prince Henri, qu'il s'empara de trois batteries des ennemis, et qu'il les poursuivit de montagne en montagne. Les vaincus, qui se virent coupés de la Sasawa par le corps avec lequel le Roi leur était à dos au village de Saint-Michel,136-a ne virent d'autre salut pour eux que de se jeter dans la ville de Prague : ils tentèrent de se sauver du côté du Wyssehrad, où la cavalerie du Roi les repoussa à trois reprises; ils essayèrent encore de se sauver du côté de Königssaal, mais cela leur était interdit par le maréchal de Keith, dont l'armée occupait toutes les hauteurs au pied desquelles ils devaient passer. On savait à la vérité que des fuyards de l'armée impériale s'étaient jetés dans Prague; toutefois on en ignorait le nombre, de sorte que l'on se contenta d'investir la ville et de la bloquer le mieux que put le permettre l'obscurité et l'espèce de confusion qui suit les victoires.
Cette bataille, qui s'engagea vers les neuf heures du matin, dura, y compris la poursuite, jusqu'à huit heures du soir. Ce fut une des plus meurtrières de ce siècle : les ennemis y perdirent vingt-quatre mille hommes, dont trente officiers et cinq mille hommes furent faits prisonniers; on leur prit d'ailleurs onze étendards et soixante pièces de canon; la perte des Prussiens monta à dix-huit mille combattants, sans compter le maréchal de Schwerin, qui seul valait au delà de dix mille hommes. Sa mort flétrissait les lauriers de la victoire, qui avait été achetée par un sang trop précieux. Ce jour vit périr les colonnes de l'infanterie prussienne : MM. de Fouqué et de Winterfeldt furent dangereusement blessés; là périrent M. de Hautcharmoy, M. de Goltz,<137> le prince de Holstein, M. de Manstein d'Anhalt137-a et nombre de vaillants officiers et de vieux soldats, qu'une guerre sanglante et cruelle ne donna pas le temps de remplacer.
Le lendemain, le Roi envoya M. de Krockow à Prague, pour sommer la ville de se rendre; ce général fut bien étonné d'y trouver le prince Charles de Lorraine, et d'apprendre avec certitude que quarante mille Autrichiens, sauvés de la bataille, étaient enfermés dans ses murailles. Cette nouvelle obligea le Roi à prendre des mesures différentes; il s'empara de la montagne de Ziska, où se campa la droite de l'armée, d'où le front, allant en occupant toutes les vignes qui versent vers Prague, allait par Saint-Michel aboutir à Podoly à la Moldau. On y construisit un pont, pour avoir la communication assurée de ce côté-là avec le maréchal Keith, et on en fit un de même à Branik sur la basse Moldau.
La ville de Prague ne saurait être considérée comme une place de guerre; située dans un fond, elle est entourée par des vignes et des rochers qui la dominent également de tous les côtés; ses fossés sont secs, ses ouvrages revêtus d'une maçonnerie légère, les parapets en beaucoup d'endroits trop minces, les courtines trop longues; tous ces ouvrages avaient été si fort négligés pendant la paix, qu'en différents endroits ils étaient insultables; mais la garnison ne l'était pas : pour l'attaquer en forme, il fallait une armée plus nombreuse que la prussienne, surtout après les détachements qu'on avait été obligé de<138> faire, et dont nous aurons lieu de parler incessamment. Ces raisons firent que le Roi se contenta de bloquer la ville, en essayant si l'on pourrait prendre la garnison par la famine. On se flatta de mettre le feu par un bombardement aux magasins d'abondance; on fit venir des mortiers et du canon; on établit trois grandes batteries, l'une à la montagne de Ziska, l'autre devant Saint-Michel, et la troisième du côté du maréchal Keith vers le Strahov; mais tout cela fut inutile : la ville avait des bastions casematés, où les vivres trouvèrent un abri contre tous les efforts de l'artillerie prussienne.
Pendant que ces arrangements se faisaient autour de Prague, le maréchal Daun s'était avancé avec son corps à Teutsch-Brod; d'abord le Roi lui opposa M. de Zieten, et peu de temps après le prince de Bevern, qui, se trouvant à la tête de vingt mille hommes, se porta premièrement à Kaurzim, puis à Kuttenberg, faisant toujours reculer devant lui le maréchal Daun, qui se retira jusqu'à Habr; mais chaque pas que l'Autrichien faisait en arrière, l'approchait de ses secours, et lui donnait le moyen d'attirer à lui les débris de la bataille de Prague, qui, s'étant sauvés au delà de la Sasawa, purent le rejoindre.
D'un autre côté, le Roi fit partir pour l'Empire le colonel Mayr138-a avec ses volontaires et environ cinq cents hussards, pour donner l'épouvante aux princes d'Allemagne, ralentir l'assemblée de l'armée des cercles, et en même temps pour alarmer les pédants de Ratisbonne, dont l'éloquence insultante violait toutes les règles de la bienséance. Mayr entra dans l'évêché de Bamberg; de là il s'étendit vers Nuremberg; il fit déserter de Ratisbonne ces députés arrogants qui se croyaient les juges des rois, et de là il pénétra dans le Haut-Palatinat. L'électeur de Bavière et beaucoup de princes, qui conçurent de l'inquiétude de cette irruption, députèrent vers le Roi pour traiter<139> relativement à leurs intérêts; enfin tout l'Empire aurait abandonné le parti de l'Impératrice-Reine, si une des révolutions ordinaires de la guerre et de la fortune n'eût traversé la prospérité des Prussiens. Nous verrons, dans la continuation de cette guerre, combien de ces vicissitudes arrivèrent, et renversèrent tantôt les espérances des Prussiens, tantôt celles des Impériaux.
Cependant le blocus de Prague continuait; on bombardait la ville; mais les Autrichiens faisaient des sorties fréquentes. Un jour, ils voulurent attaquer les batteries du Strahov. Le prince Ferdinand de Prusse y accourut, et les rechassa jusqu'à leur chemin couvert avec une perte de douze cents hommes. Une autre fois, ils tentèrent une sortie du côté du Wyssehrad, avec si peu de précaution et de prévoyance, que prêtant le flanc à des batteries prussiennes placées vers Podoly, le canon les mit en une telle confusion, qu'ils rentrèrent dans Prague en pleine fuite. Une autre fois, le prince de Lorraine fit avec quatre mille hommes une sortie du Petit-Côté; ces troupes prirent une flèche défendue par cinquante soldats; bientôt M. de Retzow139-a les repoussa, et les poursuivit jusqu'aux portes de la ville. Les Prussiens eurent dans ce siége les ennemis et les éléments à combattre : un orage violent et des nuages qui crevèrent, gonflèrent subitement les eaux de la Moldau; leur impétuosité brisa le pont de Branik; le courant l'entraîna vers le pont de Prague; les ennemis en enlevèrent vingt-quatre pontons; vingt autres furent assez heureux pour leur échapper, et on les rattrapa à Podoly. Tant de bombes que les Prussiens avaient jetées dans Prague, avaient considérablement endommagé certains quartiers de la ville; le feu avait même consumé une boulangerie des ennemis; les déserteurs déposaient unanimement que les vivres commençaient à manquer, et qu'au lieu de viande de boucherie, la garnison se nourrissait de chair de cheval.<140> Il était fâcheux qu'en pressant cette ville on ne pût rien gagner par la force ni par la ruse, et qu'il fallût tout attendre du bénéfice du temps; il n'y avait que la famine et le désespoir qui pût forcer le prince de Lorraine à se faire jour à travers les Prussiens l'épée à la main; car la façon dont ces quartiers étaient fortifiés, n'étant point attaquables, l'aurait obligé, après quelques efforts inutiles, à se rendre.
Le projet de prendre Prague avec l'armée qui la défendait, aurait cependant réussi, si l'on avait pu lui donner le temps de parvenir à sa maturité; mais il fallut s'opposer au maréchal Daun, il fallut se battre, et l'on fut malheureux. Nous avons laissé le prince de Bevern campé à Kuttenberg, et le maréchal Daun à Habr; ce maréchal y fut joint par tout ce que la cour put tirer des garnisons des pays héréditaires et de troupes de la Hongrie, outre les fuyards de la bataille de Prague, qui fortifièrent son armée tellement, que de quatorze mille hommes qu'elle avait été au commencement de la campagne, elle se trouvait alors composée de soixante mille combattants. L'accroissement des forces de cette armée dérangeait toutes les combinaisons précédentes des projets du Roi : il fallait nécessairement renforcer le prince de Bevern, pour qu'il pût au moins se soutenir contre une armée du triple supérieure à la sienne; d'un autre côté, il était hasardeux d'affaiblir l'armée du siége, qui avait une vaste circonférence à défendre, et qui pouvait être attaquée d'un jour à l'autre par quarante mille hommes renfermés dans cette ville. On trouva cependant moyen, en économisant les postes, en fortifiant les uns, en resserrant les autres, de faire une épargne de dix bataillons et de vingt escadrons. Ce détachement pouvait s'éloigner, mais il ne devait pas être de durée, ou le blocus en aurait souffert. Pour que l'on prît Prague et l'armée qui la défendait, il était indispensable d'éloigner le maréchal Daun de cette contrée, parce que les troupes employées à en faire la circonvallation, quoique bien postées pour repousser des sor<141>ties, n'étaient que sur une ligne, et ne pouvaient défendre leur front et leur dos en même temps; parce qu'en se laissant resserrer autour de Prague, la subsistance aurait manqué aux Prussiens, dont la cavalerie était obligée de chercher le fourrage à quatre ou cinq milles du camp. Ces considérations importantes déterminèrent le Roi à se mettre en personne à la tête de ce détachement, pour joindre le prince de Bevern, et juger sur les lieux du parti qu'il serait le plus convenable de prendre.
Le Roi partit le 13 de Prague; M. de Treskow fut détaché en même temps, pour nettoyer les bords de la Sasawa, que les troupes légères du maréchal Daun commençaient d'infester. Le Roi poursuivit sa marche par Schwarz-Kosteletz à Malotitz, où il fut joint par M. de Treskow, qui avait pris une route à droite. L'intention du Roi était d'arriver à Kolin, pour se joindre au prince de Bevern; il trouva devant lui un corps considérable, qui campait à Zasmuk; c'était M. de Nadasdy, qui avait pris cette position, par laquelle il coupait déjà en quelque manière le prince de Bevern de l'armée prussienne. Bientôt on découvrit de loin sur le chemin de Kolin deux colonnes qui prenaient la route de Kaurzim; on apprit par ceux qui furent les reconnaître, que c'était le prince de Bevern qui venait se joindre aux troupes du Roi. Le jour tombait; la nuit survint avant l'arrivée du prince, de sorte que l'on se contenta de faire camper les troupes aussi bien que l'obscurité voulut le permettre. On fut étonné du mouvement du prince de Bevern, auquel on ne s'attendait pas; il se fit à l'occasion de ce qui s'était passé la veille : il avait été attaqué le 13 à Kuttenberg par M. de Nadasdy, qu'il avait repoussé, en même temps que le maréchal Daun avait fait un mouvement sur son flanc qui l'obligea, pour ne point être tourné, de quitter sa position de Kuttenberg et de prendre celle de Kolin; là il reçut des avis que les Autrichiens, campés à Wisoka, se préparaient à l'attaquer le lendemain; pour n'en point courir le risque, il aima mieux aller au-devant<142> du détachement prussien qu'il savait en marche pour le renforcer. On voulut le lendemain reconnaître les chemins de Wisoka, pour juger de la disposition où se trouvaient les ennemis; cependant on ne put y réussir, à cause de l'épaisseur des forêts et du nombre des pandours qui les remplissaient. Le même jour, quatre mille Croates attaquèrent un convoi qui venait de Nimbourg à l'armée; il était escorté par deux cents fantassins aux ordres de M. de Billerbeck, major dans le régiment Henri : ce brave officier se défendit trois heures contre le nombre qui l'assaillait, jusqu'à l'arrivée du secours qui le dégagea, sans avoir perdu la moindre chose de son convoi, et l'on ne trouva à redire à son monde que sept blessés; ce qui est une perte peu considérable, en comparaison du corps dont il fut attaqué. D'aussi petits détails ne deviennent dignes de l'histoire qu'autant qu'ils peuvent servir d'exemple de ce que peuvent à la guerre la valeur et la fermeté, soutenues par une bonne disposition.
Le terrain où les Prussiens étaient campés, n'était pas assez avantageux pour qu'on pût y attendre l'ennemi avec sûreté : le Roi voulait se porter avec l'armée à Swoyschitz, où l'on trouve des environs susceptibles de défense; mais à peine l'armée se fut-elle mise en marche pour prendre cette position, qu'on vit paraître celle du maréchal Daun, qui se forma près de Swoyschitz en une espèce de triangle, dont la gauche tirait vers Zasmuk et la droite vers l'Elbe; le front vis-à-vis de Kaurzim et de Malotitz était couvert par une prairie bourbeuse, à travers laquelle serpentait un ruisseau marécageux. Ce mouvement des ennemis produisit un changement nécessaire dans la disposition des Prussiens : l'armée changea de direction; elle prit plus vers la gauche, et s'approcha de Nimbourg; elle se campa ayant Planian vers la gauche de son front, et à sa droite Kaurzim, où l'on jeta un bataillon pour assurer le flanc de l'armée. On rencontra près de Planian un corps d'Autrichiens, dont l'intention ne pouvait être que de s'emparer du dépôt que les Prussiens avaient à Nimbourg; on con<143>traignit ce corps à se replier, et il prit position sur une hauteur derrière Planian, où il demeura la nuit.
La situation du Roi devenait de jour en jour plus critique et plus embarrassante; sa position ne valait rien; son camp était étroit, acculé à des montagnes; son front se trouvait à la vérité inabordable par le marais et le ruisseau qui séparaient les deux armées; mais il n'en était pas de même de la droite, mal appuyée à Kaurzim, et que le maréchal Daun était maître de tourner dès qu'il le voudrait, en se portant de Zasmuk sur Malotitz : si les ennemis eussent fait ce mouvement, toute l'armée était prise en flanc et battue sans ressource. Il se présentait d'autre part une multitude d'objets à remplir, trop contraires pour qu'on les pût tous concilier ensemble, et il n'y en avait aucun à négliger sans que cela ne portât un préjudice considérable aux affaires : il fallait couvrir les magasins de Brandeis et de Nimbourg, d'où l'armée d'observation tirait son pain; il fallait protéger le blocus de Prague, en empêchant avec un corps faible une armée supérieure du double d'y détacher ou d'en approcher. Plus l'infériorité des Prussiens se découvrait aux ennemis, plus ils avaient à craindre à la longue d'essuyer quelque échec considérable : car en supposant même qu'ils eussent pu se soutenir dans le camp où ils étaient, il ne leur en était pas moins impossible d'empêcher le maréchal Daun d'envoyer un gros détachement, qui, longeant les bords de la Sasawa, serait venu à dos des corps prussiens qui campaient entre Branik et Saint-Michel; et cette armée du siége, attaquée par derrière pendant que de la ville le prince de Lorraine aurait fait une sortie, se serait trouvée entre deux feux, et aurait par conséquent été totalement battue. Si le Roi, prenant un autre parti, eût trouvé convenable de se retirer à Kosteletz ou à Teutsch-Brod, il y trouvait des camps plus avantageux; mais les inconvénients dont nous venons de parler subsistaient également : car en s'approchant de l'Elbe on couvrait les magasins, en laissant le chemin libre vers Prague; et en<144> tirant plus vers la Sasawa, on protégeait mieux le siége, et l'on découvrait les dépôts, dont la perte se serait promptement ensuivie, sans compter qu'en perdant du terrain où il y avait du fourrage, l'armée en se retirant se resserrait dans un pays mangé, où les vivres avaient été consumés d'avance. Il se présentait d'autres considérations plus fortes encore : le maréchal Daun commandait une armée de soixante mille hommes, que l'Impératrice-Reine avait rassemblée à grands frais; était-il à croire qu'on souffrît impunément à Vienne, ayant autant de troupes en Bohême, que les Prussiens fissent dans Prague le prince de Lorraine et quarante mille hommes prisonniers de guerre en présence de cette armée? On savait même que le maréchal Daun avait des ordres de tout risquer pour délivrer le prince de Lorraine. Ainsi il s'agissait proprement de se déterminer dans le choix, s'il valait mieux laisser aux ennemis la liberté d'attaquer les troupes prussiennes dans leur poste, ou s'il valait mieux les prévenir et les attaquer soi-même. Ajoutons à ces considérations que, depuis que le maréchal Daun se trouvait en force, il était impossible de prendre Prague sans gagner une seconde bataille, et qu'il aurait été honteux pour l'honneur des armes d'en lever le siége à l'approche de l'ennemi, vu que tout ce qui pouvait arriver de pis était d'abandonner cette entreprise, au cas que l'ennemi remportât la victoire. Outre tout ce que nous venons de dire, une raison plus importante encore obligeait d'en venir à une décision; c'est qu'en gagnant encore une bataille le Roi prenait sur les Impériaux une entière supériorité. Les princes de l'Empire, déjà incertains et indécis, l'auraient conjuré de leur accorder la neutralité; les Français se seraient trouvés dérangés et peut-être arrêtés dans leurs opérations en Allemagne; les Suédois en seraient devenus plus pacifiques et plus circonspects; la cour de Pétersbourg même aurait fait des réflexions différentes, parce que le Roi se serait vu dans une situation à pouvoir envoyer sans risque des secours à son armée de Prusse, et même à celle du duc de Cumber<145>land. Voilà quels furent les motifs importants qui engagèrent le Roi à attaquer le lendemain le maréchal Daun dans son poste.
On se mit en marche le 18 de grand matin. M. de Treskow avec l'avant-garde délogea d'abord ce corps des ennemis qui s'était campé la veille sur les hauteurs derrière Planian; ce début était nécessaire pour nettoyer le chemin de Kolin, sur lequel l'armée devait marcher en deux colonnes. Elle défila sur deux lignes par la gauche vis-à-vis celle des ennemis. Le maréchal Daun, qui découvrit le mouvement, changea aussitôt son front, et, marchant par sa droite, longea la croupe des montagnes qui vont vers Kolin. M. de Nadasdy s'était placé devant l'armée du Roi avec quatre à cinq mille hussards, qu'un corps de cavalerie poussait d'espace en espace; ce qui ralentit la marche des colonnes. On continua de presser ainsi ces troupes légères, jusqu'à ce qu'on eût gagné une éminence qu'il fallait occuper nécessairement pour attaquer l'ennemi.
Comme les troupes n'arrivèrent pas aussi promptement pour le bien des affaires qu'il aurait été à désirer, le Roi employa ce temps pour assembler les officiers généraux, et pour convenir avec eux de la disposition de la bataille. Une auberge se trouvait sur le chemin que tenaient les troupes, d'où l'on découvrait distinctement l'ordre dans lequel le maréchal Daun avait rangé ses troupes, et toutes les parties du terrain sur lequel il fallait agir. Ce fut dans ce lieu qu'on prit les mesures suivantes : il fut résolu d'attaquer la droite de l'ennemi, parce qu'elle était mal appuyée, et parce que c'était l'endroit le plus facile; le front des Autrichiens s'étendait sur des rochers âpres et escarpés, au pied desquels quelques villages semés dans la plaine étaient farcis de pandours; plus ils étaient inexpugnables dans cette partie, moins ils l'étaient à leur droite : l'endroit par lequel la gauche des Prussiens devait attaquer, était une hauteur qu'ils occupaient déjà; de là se présentait un cimetière isolé, garni de Croates, et qu'il fallait emporter; ensuite, en tournant un peu plus à gauche on prenait l'ar<146>mée du maréchal Daun à dos et en flanc. Pour soutenir cette attaque, il fallait la nourrir de toute l'infanterie prussienne qui se trouvait dans l'armée; par cette raison, le Roi se proposa de refuser entièrement sa droite aux ennemis, et il défendit sévèrement aux officiers qui la commandaient de dépasser le grand chemin de Kolin; cela était d'autant plus sensé, que la partie de l'armée autrichienne exposée vis-à-vis de cette droite occupait un terrain inabordable : si la position que le Roi avait prescrite à ses troupes avait été observée, il aurait été maître durant l'action de faire filer, selon le besoin, des bataillons, pour soutenir les brigades qui avaient la première attaque. Outre ce que nous venons de dire, M. de Zieten eut ordre de tenir tête à M. de Nadasdy avec quarante escadrons, pour qu'il ne troublât pas l'infanterie prussienne dans ses opérations; Je reste de la cavalerie fut placé en réserve derrière les lignes.
Lorsque tout fut réglé, M. de Hülsen146-a partit à la tête de sept bataillons et de quatorze pièces d'artillerie, pour engager l'action; des vingt et un bataillons qui restaient, six formèrent la seconde ligne, et les quinze autres la première. Telle fut cette disposition, qui aurait rendu les Prussiens victorieux, si elle avait été suivie; mais voici ce qui arriva. M. de Zieten attaqua le corps de Nadasdy; il le mit dans une déroute générale et le poursuivit jusqu'à Kolin, de sorte qu'il fut séparé des Autrichiens, et que de cette journée-là il ne pouvait plus nuire aux entreprises du Roi. A une heure de l'après-midi, M. de Hülsen attaqua le cimetière et le village de la hauteur, où il ne rencontra pas grande résistance; il se rendit ensuite maître de deux batteries, chacune de douze pièces de canon.
Tout succédait aux vœux des Prussiens dans cette première attaque; mais voici les fautes qui causèrent la perte de la bataille. Le<147> prince Maurice, qui conduisait la gauche de l'infanterie, au lieu de l'appuyer derrière ce village que M. de Hülsen venait d'emporter, la forma à mille pas de cette hauteur : cette ligne était en l'air;147-a le Roi s'en aperçut, et la mena près du pied de cette hauteur; en même temps on entendit un feu assez vif qui se faisait à la droite. Il fallut qu'il se dépêchât, et ne pouvant faire autrement, il remplit les vides qui se trouvaient dans sa ligne, par les bataillons de la seconde; il se rendit de là en hâte vers la droite, pour savoir de quoi il était question; il trouva que M. de Manstein, qui avait engagé sa brigade si mal à propos à la bataille de Prague, venait de retomber dans la même faute. M. de Manstein avait aperçu des pandours dans un village proche du chemin que la colonne tenait; la fantaisie le prend de les en déloger : il entre contre ses ordres dans le village, il en chasse l'ennemi, le poursuit, et se trouve sous le feu de mitraille des batteries autrichiennes; à son tour on l'attaque, et la droite de l'infanterie marche à son secours.
Lorsque le Roi arriva sur les lieux, l'affaire était si sérieusement engagée, qu'il n'y avait plus moyen de retirer les troupes sans être battu; bientôt la gauche entra également en jeu, ce que les généraux auraient pu cependant empêcher. Alors la bataille devint générale, et ce qu'il y avait de fâcheux, c'est que le Roi n'en pouvait être que spectateur, n'ayant pas un bataillon de reste dont il pût disposer. Le maréchal Daun profita en grand général des fautes des Prussiens : il fit filer derrière son front sa réserve, qui vint à son tour attaquer M. de Hülsen, jusqu'alors victorieux; il se soutint néanmoins, et si l'on avait pu lui fournir quatre bataillons frais, la bataille était gagnée; il repoussa encore cette réserve autrichienne; les dragons de Nor<148>mann148-a donnèrent alors dans l'infanterie ennemie, la dispersèrent et lui prirent cinq drapeaux; ils attaquèrent ensuite les carabiniers saxons, qu'ils chassèrent jusqu'à Kolin. Pendant ces entrefaites l'infanterie prussienne du centre et de la droite avait gagné quelque terrain, sans cependant avoir emporté d'avantage considérable. Ces bataillons, qui tous avaient beaucoup souffert du canon et du feu des petites armes, étant fondus à moitié, faisaient entre eux des intervalles du triple plus spacieux qu'ils ne devaient l'être, et puisqu'il n'y avait ni seconde ligne ni réserve, il fallut y suppléer par des régiments de cuirassiers qu'on plaça à quelque distance derrière ces ouvertures. Le régiment de Prusse cavalerie148-b attaqua même un gros de l'infanterie ennemie, et l'aurait détruit, si une batterie chargée à mitraille n'eût pas été exécutée à propos contre lui; il rebroussa chemin en confusion, et renversa les régiments de Bevern et de Henri qui étaient derrière lui; l'ennemi s'aperçut de ce désordre; il lâcha aussitôt sa cavalerie, qui, profitant de ce moment, rendit le désordre général. Le Roi voulut faire charger des cuirassiers qui étaient à portée, et qui auraient pu réparer les choses en partie; il lui fut impossible de les mettre en mouvement : il eut recours à deux escadrons de Truchsess,148-c qui prirent la cavalerie ennemie en flanc, et la ramenèrent au pied de ses montagnes. Il n'y avait de cette ligne d'infanterie que le premier bataillon des gardes qui tînt encore à la droite; il avait repoussé quatre bataillons d'infanterie et deux régiments de cavalerie qui avaient voulu l'entourer; mais un bataillon, quelque brave qu'il soit, ne saurait seul gagner une bataille. M. de Hülsen, avec son infanterie, et quelque cavalerie qu'on lui avait envoyée, maintenait encore son terrain, savoir, cet emplacement dont il avait chassé les Autri<149>chiens au commencement de l'action; il y resta jusqu'au soir à neuf heures, qu'il fut obligé de se retirer, de même que l'armée. Le prince Maurice mena les troupes à Nimbourg, où il passa l'Elbe, sans qu'un seul hussard de l'ennemi le suivît.
Cette action coûta au Roi huit mille hommes de sa meilleure infanterie;149-a il y perdit seize pièces de canon, qui ne purent se transporter, les chevaux en ayant été tués. Après que le Roi eut donné ses ordres aux généraux pour la retraite des troupes, il accourut au plus pressé; il se rendit à son armée de Prague, où il ne put arriver que le lendemain au soir, et l'on fit les dispositions pour lever le blocus de la ville, que le funeste événement de Kolin ne permettait plus de continuer.
Ce qu'il y eut de singulier dans l'action que nous venons de rapporter, fut que déjà l'infanterie autrichienne commençait à se retirer, que la cavalerie devait en faire autant, lorsqu'un colonel d'Ayasassa149-b de son propre mouvement attaqua l'infanterie prussienne avec ses dragons, au moment que les cuirassiers de Prusse l'avaient mise en désordre, et que les succès firent révoquer les premiers ordres. Sans doute que le dérangement où se trouvaient les Autrichiens après une affaire aussi opiniâtre, les empêcha de poursuivre les Prussiens; cependant ils étaient victorieux. Sans doute que si le maréchal Daun avait eu plus de résolution et d'activité, son armée aurait pu arriver le 20 devant Prague, et les suites de la bataille de Kolin seraient devenues plus funestes pour les Prussiens que leur défaite même.
Le 20, de grand matin, les Prussiens levèrent le blocus de Prague.<150> Le corps qui avait campé du côté de Saint-Michel, se retira au delà de l'Elbe par Alt-Bunzlau et Brandeis, pour se joindre à l'armée de Kolin, qui campait à Nimbourg. Le corps du maréchal Keith devait se replier sur Welwarn, pour couvrir les magasins de Leitmeritz et d'Aussig; des contre-temps s'en mêlèrent, les ponts ne furent pas relevés assez vite, on fut obligé d'attendre, et le maréchal Keith ne put quitter son camp qu'à onze heures. Les Prussiens de Saint-Michel étaient partis à trois heures du matin. Le prince de Lorraine, qui eut d'abord des avis de la bataille que le maréchal Daun venait de gagner, se prépara à faire une sortie sur les troupes du maréchal Keith prêtes à lever le piquet. Il sortit du Petit-Côté, et canonna vivement les deux colonnes prussiennes qui se retiraient par le couvent de la Victoire; les grenadiers de l'arrière-garde calmèrent l'impétuosité des ennemis, et le prince de Prusse prit une position à Russin, d'où il protégea la retraite des troupes. Les Prussiens ne perdirent que deux cents hommes de tués et de blessés dans cette affaire; le prince de Lorraine y gagna deux pièces de trois livres dont les chevaux furent tués, seul trophée qu'il remporta de son expédition.
Le corps avec lequel le Roi avait marché à Brandeis, prit le lendemain le camp de Lissa, où il se joignit avec les débris des troupes de Kolin. L'on supposait que le maréchal Daun agirait contre l'armée du Roi, et le prince de Lorraine contre celle du maréchal Keith, et l'on se trompa. Les Autrichiens perdirent beaucoup de temps à faire avancer leurs magasins; après huit jours, les deux armées autrichiennes se joignirent à Brandeis. Le prince de Prusse prit le commandement de l'armée de Lissa, avec laquelle il marcha à Jung-Bunzlau, et bientôt à Böhmisch-Leipa. Le Roi prit le chemin de Melnik, pour se joindre au maréchal Keith avec un renfort qu'il lui mena; il passa l'Elbe à Leitmeritz : pour ne pas perdre cependant la communication avec le prince de Prusse, il laissa le prince Henri avec un<151> détachement à Trebotschan,151-a à la rive droite de l'Elbe. L'armée du Roi s'étendait dans la plaine entre Leitmeritz et Lowositz; quelques bataillons occupaient le Paschkopole et le défilé de Welmina; les gorges de la Saxe étaient gardées par de nouvelles levées. La ville de Leitmeritz avait servi de dépôt pour le siége de Prague; c'était le grand magasin et l'hôpital de l'armée : cette ville, située dans un fond, ne pouvait se défendre que par les camps qui occupaient les montagnes qui l'environnent; on travailla, du moment que les troupes y arrivèrent, à la déblayer des amas de malades, des munitions et de l'artillerie qu'on y gardait; quelque activité qu'on mît pour presser ces transports, on ne put les finir que le 20 de juillet.
Au commencement de ce mois, M. de Nadasdy s'était approché de l'armée; il se campa à Gastorf vis-à-vis du corps du prince Henri, et le Hongrois mit tout en œuvre pour interrompre la communication que les Prussiens entretenaient entre le camp de Leitmeritz et celui de Leipa; en quoi il n'eut pas de peine à réussir, en répandant ses pandours dans les forêts et les défilés abondants qui se trouvent dans cette partie de la Bohême. A la rive gauche de l'Elbe, il ne parut qu'un petit corps autrichien commandé par le sieur Loudon. Ce partisan, à la tête de deux mille pandours, s'était niché au pied du Paschkopole, d'où il infestait les grands chemins, inquiétait les détachements, et faisait des coups peu considérables. Celui qui lui réussit le mieux devint funeste à M. de Manstein,151-b célèbre pour avoir engagé la bataille de Prague, et avoir causé la perte de celle de Kolin. Ce général se faisait transporter en Saxe, pour y chercher la guérison de ses blessures; il était escorté par deux cents hommes de nouvelles levées : Loudon l'attaque en chemin, l'escorte se met en désordre, Manstein sort de sa voiture, prend son épée, se défend<152> en désespéré, et, refusant le quartier qu'on lui offre, se fait tuer sur la place.
La guerre se faisait avec plus de vigueur du côté du prince de Prusse. Après la jonction du prince de Lorraine et du maréchal Daun, ils quittèrent Brandeis, ils suivirent le prince de Prusse; ils se campèrent à Niemes, où ils tournaient son flanc gauche, et gagnaient sur les Prussiens une marche sur Gabel. Le général Puttkammer152-a défendait le château de cette ville, où le prince de Prusse l'avait envoyé avec quatre bataillons, pour faciliter les convois que son armée tirait de Zittau. Si le prince de Prusse eût pris le parti de marcher incontinent à Gabel, les Autrichiens n'auraient rien gagné par leur mouvement; mais le prince, qui n'en sentit pas d'abord les conséquences, demeura tranquille dans son camp, et laissa faire à l'ennemi ce qu'il lui plut. Le maréchal Daun fit partir un détachement de vingt mille hommes, qui attaqua M. de Puttkammer à Gabel; ce général, après une vigoureuse résistance et trois jours de tranchée ouverte, n'étant point secouru, fut obligé de se rendre prisonnier de guerre. Le prince de Prusse comprit l'importance de ce poste après l'avoir perdu : le droit chemin de son camp à Zittau passe par Gabel; ce chemin lui était interdit; celui qui lui restait passe par Rumbourg, et fait un détour de quelques milles; on ne peut y passer que sur une colonne. L'armée fut obligée de le prendre : elle y perdit du bagage, et des pontons qui se brisèrent dans des chemins étroits entre des rochers. Le prince arriva à Zittau en décrivant un arc, et le maréchal Daun par la corde. M. de Schmettau, qui commandait l'avant-garde des Prussiens, trouva en approchant de Zittau les Autrichiens établis sur l'Eckartsberg; c'est le poste le plus important de cette contrée; il domine sur la ville et commande aux environs. L'armée du prince de Prusse occupa une hauteur opposée au camp des ennemis, la ville de Zittau devant sa droite entre les deux armées; il étendit sa<153> gauche sur la montagne de Hennersdorf. Le prince pouvait soutenir la ville, sans qu'il pût néanmoins empêcher les Impériaux de l'insulter. Le maréchal Daun, instigué par le prince Charles de Saxe, fit bombarder la ville. Zittau a des rues étroites, la plupart des toits sont en bardeaux : le feu y prit, ces bardeaux communiquèrent l'incendie aux différents quartiers de la ville à la fois, les maisons s'écroulèrent, les passages furent comblés par les débris. Le prince de Prusse se vit obligé d'en retirer la garnison; les troupes qui occupaient l'extrémité opposée, ne purent se faire des routes pour regagner l'armée, ne trouvant que des flammes et des ruines sur leur passage, de sorte que le colonel Diericke avec cent cinquante pionniers, et le colonel Kleist avec quatre-vingts soldats du margrave Henri, tombèrent entre les mains des ennemis. La ville de Zittau n'est en soi-même d'aucune conséquence : on ne fut sensible au malheur qui y arriva que par rapport à la perte du magasin considérable qui y fut brûlé. Après la perte de ce magasin, l'armée du prince de Prusse ne pouvait tirer sa subsistance et son pain que de Dresde; il aurait fallu transporter ce pain de douze milles, pour qu'il arrivât au camp. Il se rencontrait des difficultés insurmontables à ce transport, qui obligèrent le prince de se rapprocher de ses vivres; il décampa de Zittau sans être suivi par l'ennemi, et prit une position pour l'armée à l'entour de Bautzen.
Dès que le Roi fut informé de la perte de Gabel, il se proposa d'évacuer Leitmeritz, pour retourner en Saxe. La ville de Leitmeritz était vide; les munitions de guerre et de bouche étaient déjà arrivées à Dresde, et comme il n'y avait point de temps à perdre, le prince Henri passa l'Elbe; après qu'il eut rejoint le Roi, l'armée alla se camper entre Sulowitz et Lowositz. M. de Nadasdy, qui avait suivi l'arrière-garde de S. A. R., attaqua les grand'gardes du camp; on le reçut vertement; il fut repoussé avec perte, et repassa promptement l'Elbe. Les jours suivants, l'armée se replia sur Linay, de là sur Nol<154>lendorf et sur Pirna. Un détachement de deux cents hommes de nouvelles levées qui gardait le Schreckenstein, fut attaqué et pris par M. Loudon; les postes d'Aussig et de Tetschen furent évacués sans perte. Le Roi laissa le prince Maurice à Gieshübel; il lui donna quatorze bataillons et dix escadrons pour défendre cette gorge, et se mit en marche avec le reste de ses troupes pour joindre le prince de Prusse à Bautzen. Ce prince, qui était devenu malade, quitta l'armée et ne fit depuis que languir. Le Roi s'avança d'abord avec un détachement de Bautzen au Weissenberg; il en délogea M. de Beck, qui se replia vers Bernstadt. Les arrangements qu'il fallut faire pour rétablir l'ordre dans les vivres et préparer de nouveaux caissons, arrêtèrent le Roi quinze jours.
Ce prince était pressé par les progrès des Français à sa droite et des Russes à sa gauche; il était obligé de détacher; ce qui lui inspira le dessein de marcher aux Autrichiens, et d'essayer si l'on pourrait s'en délivrer, avant que de s'affaiblir par des détachements. Il se mit en marche le 15 pour Bernstadt; le Roi menait la colonne de la gauche, le prince de Brunswic celle de la droite. Ils pensèrent entourer M. de Beck sur une montagne près de Sohland, et ce partisan ne se sauva qu'en perdant une partie de son monde. On apprit à Bernstadt qu'un détachement des ennemis s'assemblait à Ostritz; M. de Werner154-a y fut aussitôt envoyé; il manqua de peu M. de Nadasdy, dont il prit le bagage et les troupes qui l'escortaient. On trouva parmi ses papiers des lettres originales de la reine de Pologne, qui donnait des avis à ce général de tout ce qu'elle savait des Prussiens, et lui suppéditait quelques projets de surprise; le Roi envoya ces originaux à M. de Finck,154-b commandant de Dresde, pour les mon<155>trer à la Reine, afin qu'elle comprît qu'on était au fait de toutes ses manigances.
Le Roi détacha cinq bataillons de Bernstadt pour prendre poste à Görlitz, et avec le gros de l'armée il marcha droit aux Autrichiens. Le maréchal Daun campait encore à l'Eckartsberg; il ne fit faire qu'un mouvement à ses troupes, pour qu'elles présentassent le front aux Prussiens. Ce poste était inattaquable : à la gauche, une montagne taillée en forme de bastion, hérissée de soixante pièces de douze livres, flanquait la moitié de son armée; devant son front s'étend dans un bas-fond le village de Wittgenau, au long duquel coule un ruisseau entre des rochers escarpés. Trois chemins se présentaient pour traverser ce village, qui menaient à l'ennemi, dont le plus large pouvait contenir une voiture. La droite du maréchal s'appuyait à la Neisse; au delà de cette rivière campait M. de Nadasdy, avec la réserve de l'armée, sur une hauteur d'où il pouvait, avec trente pièces de gros calibre, balayer tout le front de l'armée impériale. Les deux armées n'étaient séparées que par le fond de Wittgenau; toute la journée se passa à se canonner réciproquement. Le lendemain, on fit passer la Neisse à Hirschfeld à un corps aux ordres de M. de Winterfeldt, pour reconnaître s'il n'y aurait pas moyen d'engager une affaire avec M. de Nadasdy; ce qui aurait engagé le maréchal Daun à le secourir, et aurait donné lieu à un combat général : mais la difficulté du terrain s'opposa encore à cette entreprise, et il fallut y renoncer. Ç'aurait été d'un grand avantage si, dans ces circonstances, le Roi avait pu engager une affaire décisive : il n'avait aucun temps à perdre; un gros de Français était à Erfurt; l'armée du duc de Cumberland était recognée à Stade; le duché de Magdebourg et la Vieille-Marche, exposés aux incursions des Français; une armée suédoise avait passé la Peene près d'Anclam; les troupes des cercles étaient en mouvement pour s'avancer en Saxe. Mais l'impossibilité de combattre dans ce terrain difficile et impraticable, et la nécessité de faire de<156> prompts détachements, obligèrent le Roi à se retirer. L'infanterie se replia par ligne, sans que l'ennemi fît mine de s'en apercevoir.
L'armée marcha à Bernstadt, et se campa sur les hauteurs de Jauernick jusqu'à la Neisse; au delà de cette rivière, le corps de M. de Winterfeldt s'étendit jusqu'à Radmeritz. On envoya un détachement pour relever la brigade de Görlitz, avec laquelle M. de Grumbkow156-a eut ordre de se rendre en Silésie, pour nettoyer les frontières des partis ennemis qui y commettaient des désordres, et pour veiller en même temps à la sûreté de la forteresse de Schweidnitz. Le Roi remit le commandement de l'armée au prince de Bevern, en lui adjoignant M. de Winterfeldt, qui était proprement son homme de confiance; il leur recommanda surtout de couvrir avec soin les frontières de la Silésie; après quoi il partit avec dix-huit bataillons et trente escadrons, pour s'opposer aux entreprises des Français et des troupes de l'Empire. Pour ne point interrompre les faits de cette campagne, tous liés les uns aux autres, nous n'avons pas fait mention de la campagne de l'armée alliée, commandée par le duc de Cumberland; la connexion des choses exige que nous en fassions à présent une courte récapitulation.
Dès le commencement d'avril, les Français occupèrent les villes de Clèves et de Wésel, où ils ne rencontrèrent aucune résistance. Le comte de Gisors s'empara de Cologne, dont les Français avaient dessein de faire leur place de guerre. M. d'Estrées, qui devait prendre le commandement de l'armée, y arriva les premiers jours du mois de mai; il s'avança le 26 et campa avec toutes ses troupes à Münster. Le duc de Cumberland rassembla les siennes à Bielefeld, d'où il avait poussé un détachement à Paderborn à l'approche de M. d'Estrées, dont l'armée se campa à Rhéda. Le duc se retira à Herford, sur quoi les Français envoyèrent un détachement en Hesse, qui, n'y trouvant aucune opposition, s'empara de tout le pays; Cassel même,<157> la capitale du Landgraviat, se rendit après une faible résistance. Le duc de Cumberland ne voulait tenir ferme que derrière le Wéser, selon le projet des ministres de Hanovre, qui regardaient le passage de cette rivière comme plus difficile que celui du Rhin; le prince la fit passer à ses troupes sur les ponts qu'il avait fait préparer dans les villages de Rehme et de Vlotho; il donna en même temps des ordres pour qu'on travaillât à fortifier les villes de Münden et de Hameln : c'était y penser bien tard.
Les Français de leur côté se portèrent sur Corbie; un de leurs détachements, ayant passé le Wéser, donna lieu au duc de changer sa position, et il se campa, la droite à Hameln, la gauche à Afferde. Le duc d'Orléans fit en même temps établir des ponts à Münden pour y passer le Wéser. Le duc de Cumberland, qui s'attendait à être attaqué dans peu, rappela à lui tous ses détachements, et les rassembla à Hastenbeck, dont on lui avait dépeint la position comme étant admirable. La droite de son armée s'y trouvait bien appuyée, au centre les troupes se repliaient en forme de coude, devant elles se trouvait un bois, et dans ce bois un ravin assez considérable. L'armée française s'approcha de celle des alliés; le 25 se passa en reconnaissances de la part de M. d'Estrées, et en canonnades de la part du duc de Cumberland.
Le lendemain, les Français attaquèrent sa gauche en se glissant par ce ravin au fond du bois; ils emportèrent la batterie du centre des alliés. Le prince héréditaire de Brunswic157-a la reprit l'épée à la main, et fit connaître par ce coup d'essai que la nature le destinait à devenir un héros. En même temps, un colonel hanovrien, nommé Breitenbach, se détache de lui-même, rassemble les premiers bataillons qu'il<158> rencontre, entre dans le bois, prend les Français à dos, les chasse; il leur prend leurs canons et leurs drapeaux : tout le monde croit la bataille gagnée par les alliés; M. d'Estrées, qui voit ses troupes en déroute, ordonne la retraite; le duc d'Orléans s'y oppose; enfin, au grand étonnement de toute l'armée française, on apprend que le duc de Cumberland est en pleine marche, et qu'il se replie sur Hameln. Le Prince héréditaire fut obligé d'abandonner cette batterie qu'il avait reprise avec tant de gloire, et cette retraite se fit avec tant de précipitation, qu'on oublia même ce brave colonel Breitenbach qui avait si bien mérité cette journée : ce digne officier demeura seul maître du champ de bataille; il partit la nuit pour joindre l'armée; il apporta ses trophées au duc, qui pleura de désespoir de s'être trop précipité la veille à quitter un champ de bataille dont on ne lui disputait plus la possession. Quelques représentations que lui fissent le duc de Brunswic et des généraux de son armée, on ne put jamais le dissuader de continuer sa retraite. Il marcha d'abord à Nienbourg, ensuite à Verden, d'où il prit par Rotenbourg et Bremervörde le chemin de Stade. Par cette manœuvre malhabile il abandonna tout le pays à la discrétion des Français : Hameln fut d'abord occupé par le duc de Fitzjames; mais ce qu'il y eut de singulier et de remarquable, fut que M. d'Estrées fut rappelé pour avoir remporté une victoire.
Le duc de Richelieu, auquel la cour donna le commandement de cette armée, arriva le 7 à Münden; il prit Hanovre, le duc d'Ayen, Brunswic, et M. Le Voyer, Wolfenbüttel. Il envoya le prince de Soubise avec un détachement de vingt-cinq mille hommes à Erfurt, où il devait être joint par l'armée des cercles et un détachement d'Autrichiens. Le duc de Richelieu se mit de son côté aux trousses des alliés; il passa l'Aller, et se campa à Verden. M. d'Armentières s'empara en même temps de Brême le 1er de septembre. L'armée française s'avança vers Rotenbourg, dans l'intention d'attaquer le duc de Cumberland;<159> elle ne l'y trouva plus; ce prince s'était déjà replié sur Bremervörde, et évitait depuis la journée de Hastenbeck tout engagement avec l'ennemi. Dès que le Roi eut remarqué par les manœuvres du duc de Cumberland qu'il se bornait à défendre le Wéser, il prévit tout ce qui en résulterait, et rappela les six bataillons qu'il avait dans cette armée, pour les jeter dans Magdebourg, ce qui se fit très-à propos, comme nous le verrons dans la suite.
On voit par le tableau que nous venons de présenter, que le duché de Magdebourg était menacé de l'invasion des Français, et la ville, d'un siége; que la Saxe allait devenir la proie de cette armée qui s'assemblait à Erfurt; que les garnisons de Dresde et de Torgau allaient être perdues; enfin, que Berlin, cette capitale sans défense, était sur le point d'être envahie par les Suédois, qui avaient pénétré dans la Marche-Ukraine, et qui ne trouvaient qu'une poignée de monde qui s'opposât à leurs progrès. Dans ces conjonctures, les raisons les plus pressantes demandaient qu'un corps de troupes fît tête à tant d'ennemis. Le Roi se chargea de ce commandement, et se mit à la tête de peu de monde, pour ne point affaiblir son armée de Silésie, qui avait à combattre l'ennemi le plus redoutable.
Le prince de Bevern, auquel il restait cinquante bataillons et cent dix escadrons, se campa après le départ du Roi à la Landeskrone, près de Görlitz. M. de Winterfeldt plaça son détachement de l'autre côté de la Neisse sur le Holzberg,159-a proche du village de Moys. Le prince fit transporter son magasin de Bautzen à Görlitz. Le maréchal Daun et le prince de Lorraine se campèrent vis-à-vis de lui à Ossig, et ils détachèrent M. de Nadasdy à Schönberg, pour observer M. de Winterfeldt. Le comte de Kaunitz venait d'arriver à l'armée autrichienne, pour s'aboucher avec les généraux et régler les opérations ultérieures de la campagne. M. de Nadasdy, pour lui faire une galanterie, se proposa d'attaquer le poste de M. de Winterfeldt au Holzberg.<160> Ce poste n'était garni que de deux bataillons; les dix autres du même corps campaient à trois mille pas en arrière plus près de Görlitz. Le jour que l'attaque se fit, M. de Winterfeldt était pour sa personne auprès du duc de Bevern, avec lequel il avait quelques arrangements à prendre; on vint lui dire que l'ennemi attaquait son poste; il y accourut : le Holzberg était emporté avant qu'il y arrivât; il voulut en déloger l'ennemi; il s'avança à la tête de quatre bataillons, et eut le malheur d'être blessé mortellement. M. de Nadasdy, content de l'avantage qu'il venait de remporter, se retira de lui-même à Schönberg; les Prussiens perdirent douze cents hommes à cette affaire, et nombre de braves officiers. M. de Winterfeldt mourut de sa blessure,160-a et fut d'autant plus regretté dans ces circonstances, qu'il était l'homme le plus nécessaire à l'armée du prince de Bevern, et que le Roi n'avait compté que sur lui dans les mesures qu'il avait prises pour la défense de la Silésie.
Le lendemain de cette affaire, le prince de Bevern leva son camp; il se rendit par Catholisch-Hennersdorf et Naumbourg à Liegnitz, et négligea de prendre le camp de Löwenberg ou celui de Schmuckseiffen, par lesquels il aurait couvert la Silésie; et non content d'abandonner les frontières, il acheva de s'affaiblir en détachant quinze mille hommes, qu'il jeta dans les différentes places : ces fautes entraînèrent les fatalités qui l'accablèrent à la fin de la campagne.
Le maréchal Daun suivit les Prussiens; il marcha par Löwenberg et Goldberg, et se campa sur les hauteurs de Wahlstatt. Les Prussiens étaient dans un fond, la droite à Liegnitz, la Katzbach à dos, et la gauche au village de Beckern :160-b ils avaient tout à craindre dans ce terrain, un ennemi entreprenant en eût profité; le maréchal Daun<161> ne l'était pas. Cependant une après-midi, animé par le vin et par les discours du chevalier de Montazet, le prince de Lorraine voulut emporter quelque avantage sur l'ennemi; il fit avancer huit à dix bataillons de grenadiers et du canon, avec lesquels il fit attaquer le village de Beckern. Ce détachement était trop faible contre une armée; il n'était point soutenu : il fut repoussé par les troupes que le prince de Bevern fit avancer de la ligne pour soutenir le village; le régiment de Prusse infanterie161-a se distingua surtout à cette action. Cet essai fit comprendre au prince de Bevern que sa position était vicieuse, son camp mal pris, sa situation hasardée. Appréhendant d'être attaqué le lendemain avec des forces plus considérables, il repassa la nuit même la Katzbach, et marcha à Parchwitz; y ayant trouvé un corps d'Impériaux qui lui disputait le passage de la Katzbach, il fit des ponts sur l'Oder, passa la rivière, et se rendit par la rive droite de ce fleuve à Breslau, où il arriva le 1er d'octobre. Il repassa la rivière sur le pont de la ville, et prit position derrière le petit ruisseau de la Lohe, où il se retrancha; les Autrichiens se placèrent vis-à-vis de lui à Lissa. La cour de Vienne avait négocié des troupes de l'électeur de Bavière et du duc de Würtemberg,161-b qu'elle envoya alors en Silésie; ces corps se joignirent à la réserve de M. de Nadasdy aux environs de Schweidnitz, dont on les destinait de faire le siége. Nous suspendrons pour quelques moments le récit de la campagne de Silésie, pour suivre le Roi dans son expédition contre les Français.
Le Roi se rendit161-c d'abord à Dresde, d'où il détacha M. de Seydlitz161-d avec un régiment de hussards et un régiment de dragons pour<162> Leipzig, afin de donner la chasse à M. de Turpin, qui avec des troupes légères rôdait du côté de Halle. Les Français se retirèrent à l'approche des Prussiens, de sorte que M. de Seydlitz, devenant inutile dans cette partie, vint rejoindre le Roi entre Grimma et Rötha. De Rötha les troupes marchèrent à Pégau; l'ennemi y avait détaché deux régiments de hussards impériaux, Szeczini et Esterhazy. Cette ville est située de l'autre côté de l'Elster, sur laquelle un pont de pierre aboutit à la porte. L'ennemi avait garni cette porte et quelques toits des maisons voisines, pour en défendre l'entrée. M. de Seydlitz fit mettre pied à terre à une centaine de hussards, qui forcèrent la porte; le gros du régiment les suivit et entra dans Pégau en pleine carrière; MM. de Székely162-a et de Kleist162-a la traversèrent; en sortant par la porte opposée, ils trouvent ces deux régiments ennemis postés derrière un chemin creux; ils les attaquent, les renversent, les poursuivent jusqu'à Zeitz, et en ramènent trois cent cinquante prisonniers.
Le lendemain, l'armée du Roi se porta sur Naumbourg; l'avant-garde y rencontra six escadrons de ceux qu'elle avait battus la veille; ils furent bientôt dissipés, et perdirent surtout beaucoup de monde en passant le pont de la Saale, proche de Schulpforte; on rétablit ce pont, et les troupes le passèrent pour se rendre à Buttstedt. Ce fut là qu'on reçut la nouvelle de cette fameuse convention signée entre le duc de Cumberland et le duc de Richelieu à Kloster-Zeven : ce traité fut négocié par un comte Lynar, ministre du roi de Danemark; il y fut stipulé que les hostilités cesseraient; que les troupes de Hesse, de Brunswic et de Gotha seraient renvoyées dans leur pays; que celles<163> de Hanovre demeureraient tranquillement à Stade à l'autre bord de l'Elbe, dans un district qui leur fut assigné; rien ne fut réglé touchant l'électorat de Hanovre, ni des contributions, ni des restitutions, de sorte que cet État se trouvait abandonné à la discrétion des Français. A peine cette convention fut-elle conclue, que, sans en attendre la ratification, le duc de Cumberland s'en retourna en Angleterre, et le duc de Richelieu se prépara de son côté à faire une invasion dans la principauté de Halberstadt.
Dans ce temps, on intercepta dans l'armée prussienne des lettres du comte Lynar au comte de Reuss; ces deux hommes, de la secte qu'on nomme piétistes, avaient l'esprit abruti par le fanatisme. Le comte de Lynar, en parlant à son ami de cette négociation, lui dit : « L'idée qui me vint de faire cette convention, était une inspiration céleste; le Saint-Esprit m'a donné la force d'arrêter les progrès des armes françaises, comme autrefois Josué arrêta le soleil; Dieu tout-puissant, qui tient l'univers en ses mains, s'est servi de moi indigne, pour épargner ce sang luthérien, ce précieux sang hanovrien qui allait être répandu. »163-a Le malheur a voulu que le comte Lynar s'est applaudi tout seul : nous le laisserons entre Josué et le soleil, pour en revenir à des objets plus intéressants.
Cette indigne convention acheva de déranger les affaires du Roi; sa soi-disant armée était de dix-huit mille hommes, et il se trouvait réduit à faire un détachement pour couvrir Magdebourg, ou pour en renforcer la garnison. Cependant, comme M. de Soubise se trouvait à Erfurt, il voulut tenter les moyens de l'en éloigner, afin de pouvoir s'affaiblir ensuite avec moins de danger. Le Roi s'avança pour cet effet à Erfurt avec deux mille chevaux, un bataillon franc<164> et deux bataillons de grenadiers; sa surprise fut extrême lorsqu'il vit l'armée française décamper de la Cyriaksbourg en sa présence. M. de Soubise, ne se croyant pas en sûreté à Erfurt, se retira effectivement à Gotha. A peine fut-il parti, qu'on somma la ville de se rendre, et l'on convint par la capitulation que le fort de Saint-Pierre demeurerait neutre, que la ville serait occupée par les Prussiens, et que l'ennemi évacuerait la Cyriaksbourg.
Dès que les troupes eurent pris une espèce de position auprès d'Erfurt, le prince Ferdinand de Brunswic partit de l'armée avec cinq bataillons et sept escadrons, pour couvrir Magdebourg et tenir tête à l'armée de M. de Richelieu. Ce prince pouvait encore se renforcer de six bataillons qu'il pouvait tirer de la place; mais ces mesures, les seules que l'on pût prendre dans ces conjonctures, étaient faibles, et insuffisantes pour résister à cinquante mille Français, surtout s'ils avaient voulu agir avec vigueur. Le prince Ferdinand, bien résolu de suppléer par son habileté au peu de moyens qu'on lui fournissait, prit un détour pour se rendre à Magdebourg; en marchant par Égeln, il donna sur le régiment de Lusignan, dont il fit quatre cents hommes prisonniers; de là il vint se poster fièrement à Wanzleben, d'où il semblait défier M. de Richelieu, qui campait à Halberstadt. Les partis prussiens eurent de la supériorité sur les Français pendant tout ce bout de campagne, et il se passa peu de jours sans qu'ils n'amenassent des prisonniers au prince.
Dans l'état où se trouvait le Roi, il fallait avoir recours à tout, employer la ruse et la négociation, enfin tous les moyens possibles, pour adoucir la situation des affaires; d'ailleurs on ne perdait, en faisant des tentatives, que la peine d'avoir imaginé des expédients frivoles. Dans cette intention, le colonel Balbi partit déguisé en bailli, pour se rendre auprès du duc de Richelieu; il connaissait ce duc, pour avoir fait quelques campagnes en Flandre avec lui. Balbi devait faire des propositions pour ramener la cour de Versailles à des sentiments<165> plus doux et plus pacifiques; il s'aperçut que le duc de Richelieu, se défiant de son crédit, ne croyait pas avoir assez d'influence auprès du ministère et du Roi, pour leur faire changer de système et d'opinion sur l'alliance avec la maison d'Autriche, qui, étant récemment conclue, plaisait par sa nouveauté même. Cet émissaire, voyant que tout ce qu'il pourrait dire sur ce sujet ne mènerait à rien, se rabattit à demander au duc qu'il voulût au moins avoir quelques ménagements pour les provinces du Roi où il faisait la guerre. En même temps, on régla avec lui les contributions; et il n'est pas douteux que les sommes qui passèrent entre les mains du maréchal, ne ralentirent dans la suite considérablement son ardeur militaire.
Bientôt le Roi fut encore obligé d'affaiblir son armée par un nouveau détachement : il envoya le prince Maurice à Leipzig avec dix bataillons et dix escadrons; il s'y tint comme dans une position centrale, d'où il fût à portée de se joindre dans le besoin au Roi ou au prince Ferdinand, et d'où il pût avoir l'œil sur M. de Marschall, campé à Bautzen avec quinze mille Autrichiens : ce corps de M. de Marschall inquiétait avec d'autant plus de raison, que, la Lusace étant ouverte, tout était à craindre qu'il ne fît une irruption dans l'Électorat et même à Berlin. Cette capitale était également menacée du côté de la Poméranie par les Suédois, dont M. de Manteuffel avec cinq cents hussards et quatre bataillons retardait les progrès. Après que ces deux corps eurent quitté le camp d'Erfurt, il ne resta plus au Roi que huit bataillons et vingt-sept escadrons. Si l'ennemi s'était aperçu de la faiblesse de ce corps, il n'est pas douteux qu'il ne se fût mis en action; c'est ce qu'il fallait empêcher sur toute chose, et ce qui fit recourir à différents expédients pour en imposer au peuple d'Erfurt et aux Français mêmes : par cette raison, les troupes ne campèrent point; l'infanterie était répandue dans les villages voisins de la ville; on lui fit changer à différentes reprises de quartiers, et comme chaque fois les régiments changeaient de nom, cela multipliait l'ordre<166> de bataille, que les espions recueillaient avec soin pour en instruire le prince de Soubise.
Deux jours après que les Prussiens eurent pris Erfurt, le Roi fit une reconnaissance vers Gotha avec vingt escadrons de hussards et de dragons, pour éprouver si l'on n'en pourrait pas déloger ces deux régiments de hussards impériaux si souvent battus; cela réussit au delà de ce qu'on devait espérer : l'appréhension que ces hussards avaient des Prussiens, précipita leur retraite; proche de Gotha, ils avaient un défilé à passer, où ils perdirent cent quatre-vingts hommes; on les poursuivit même jusqu'à la vue d'Eisenach, où campait M. de Soubise, qui venait d'être joint par le prince de Hildbourghausen, général en chef de l'armée des cercles. La maison ducale fut charmée de se voir débarrassée de ces hôtes indiscrets; elle avait également à se plaindre des Français et des Autrichiens : les Français avaient commis des violences au château, dont ils avaient enlevé les canons par force; et les officiers autrichiens, peu mesurés dans leurs propos, s'étaient comportés avec une arrogance peu convenable envers des princes souverains d'une des plus anciennes maisons de l'Empire.
M. de Seydlitz demeura avec cette cavalerie à Gotha, pour veiller de là sur les mouvements de l'ennemi, et avertir à temps la petite armée d'Erfurt, pour que dans le besoin elle pût se replier avant l'approche de l'armée d'Eisenach. Peu de jours après, M. de Seydlitz fut attaqué par un corps bien supérieur au sien. Le prince de Hildbourghausen voulut signaler son commandement par un coup d'éclat : il proposa au prince de Soubise de déloger les Prussiens de Gotha. Tous deux se mirent en marche avec les grenadiers de leur armée, la cavalerie autrichienne, Loudon et ses pandours, et toutes les troupes légères de l'armée française. M. de Seydlitz fut averti à temps du projet que les ennemis formaient contre lui; bientôt il les vit paraître : une colonne de cavalerie embrassait Gotha par la droite, en cheminant sur la crête des hauteurs qui vont vers la Thuringe; une autre<167> colonne de cavalerie, ayant les hussards devant elle, venait à gauche du côté de Langensalza; les pandours à la tête des grenadiers formaient la colonne du centre. M. de Seydlitz s'était mis en bataille à une certaine distance de Gotha, les hussards en première ligne, les dragons de Meinike167-a en seconde; il avait envoyé les dragons de Czettritz167-b à un défilé qui était à un demi-mille derrière lui, avec ordre de se mettre sur un rang, pour former un front étendu qui pût en imposer aux ennemis; cela n'empêchait pas que ce régiment ne fût très-à portée de protéger sa retraite, s'il s'était vu obligé de céder au nombre. Cette manœuvre habile et rusée fit prendre le change au prince de Hildbourghausen; il crut que l'armée prussienne, qu'il croyait considérable, était en marche pour soutenir M. de Seydlitz, et que cette grande ligne de cavalerie qu'il découvrait, allait incessamment fondre sur lui. M. de Seydlitz s'aperçut, par la contenance mal assurée des hussards autrichiens, que son stratagème faisait impression; il les poussa insensiblement, et de choc en choc gagnant toujours du terrain, il les obligea à repasser ce défilé où ils avaient peu de jours auparavant tant souffert; la colonne de cavalerie qui faisait la droite des ennemis, se retira en même temps. M. de Seydlitz alors envoya quelques hussards et dragons dans Gotha; ils y entrèrent précisément comme le prince de Darmstadt167-c avec les troupes<168> des cercles commençait à s'en retirer, et y firent nombre de prisonniers. La précipitation avec laquelle le prince de Darmstadt abandonna Gotha, pensa devenir funeste à M. de Soubise; il était au château, et ne s'attendait pas à une aussi prompte évacuation; il n'eut que le temps de se jeter à cheval pour s'enfuir bien vite; cent soixante soldats et trois officiers de marque furent pris dans cette journée par les Prussiens. Tout autre officier que M. de Seydlitz se serait applaudi de se tirer de ce mauvais pas sans perte; M. de Seydlitz n'aurait pas été satisfait de lui-même, s'il ne s'en fût pas tiré avec avantage. Cet exemple prouve que la capacité et la résolution d'un général décident plus à la guerre que le nombre des troupes : un homme médiocre qui se fût trouvé dans de pareilles circonstances, découragé par l'appareil imposant des ennemis, se serait retiré à leur approche, et aurait perdu la moitié de son monde dans une affaire d'arrière-garde, que cette cavalerie supérieure aurait engagée au plus vite. Le bon emploi de ce régiment de dragons étendu et montré de loin à l'ennemi procura à M. de Seydlitz le moyen de se tirer avec autant de gloire d'une affaire aussi épineuse.
Le Roi n'avait pu jusqu'alors que tenir les choses en suspens; il ne pouvait rien entreprendre, et devait tout attendre du bénéfice du temps. Il se tint tranquillement à Erfurt, jusqu'à ce qu'il apprit qu'un détachement français de l'armée de Westphalie était en chemin pour se rendre par la Hesse à Langensalza. Comme il ne devait pas attendre l'arrivée de ce corps, qui pouvait lui tomber à dos, il résolut de se retirer avant son approche. Le bruit se répandant d'ailleurs que M. de Hadik traversait la Lusace pour pénétrer dans le Brandebourg, le prince Maurice avait été obligé de gagner Torgau à tire-d'aile; il devait vraisemblablement pousser de là jusqu'à Berlin. Le Roi, n'ayant donc aucun secours à attendre, ne jugea pas à propos de prolonger davantage son séjour à Erfurt, et pour ne rien hasarder mal à propos, il se replia sur l'Eckartsberg; des courriers fréquents<169> y arrivèrent de Dresde; M. de Finck marquait que le corps de Marschall était sur le point de quitter Bautzen pour suivre celui de Hadik : il était certain que le prince Maurice n'était pas assez fort pour résister à ces deux généraux; cela fit résoudre le Roi à lui mener un renfort, Les troupes repassèrent la Saale à Naumbourg; le maréchal Keith se jeta avec quelques bataillons dans Leipzig; le Roi passa l'Elbe à Torgau, et marcha sur Annabourg, où il apprit que Berlin en avait été quitte pour une contribution de deux cent mille écus qu'elle avait payée aux Autrichiens; que M. de Hadik n'avait pas attendu l'arrivée du prince Maurice pour se retirer, et que M. de Marschall était demeuré immobile dans son camp de Bautzen. La première idée qui lui vint alors, fut de couper la retraite à M. de Hadik; il se rendit en conséquence à Herzberg. Le prince Maurice était déjà sur son retour; le Roi voulut l'attendre, parce que Hadik avait déjà repassé Cottbus; il demeura quelques jours dans cette position, pour s'éclaircir sur les projets ultérieurs des Français, qui devaient décider du parti qu'il avait à prendre, soit de s'opposer à leurs entreprises, soit, au cas que la campagne de Thuringe fût finie, de tourner vers la Silésie, pour dégager Schweidnitz, dont M. de Nadasdy commençait à former le siége.
Mais les événements entraînèrent le Roi dans des opérations qu'il ne pouvait pas prévoir alors. Le départ des Prussiens d'Erfurt engagea M. de Soubise à passer la Saale et à s'approcher de Leipzig; le maréchal Keith en donna avis, et demanda avec empressement des secours : il fallut accourir au plus pressé. Le Roi prit sur-le-champ avec sa petite troupe le chemin de Leipzig; il nettoya d'abord la rive droite de la Mulde, où M. de Custine s'était avancé avec quelques brigades; après quoi il entra à Leipzig, où il fut joint par le prince Maurice et par le prince Ferdinand de Brunswic. On se rendit d'abord maître de la grande chaussée qui mène à Lützen. Le 30, l'ar<170>mée se trouvant rassemblée, elle alla se camper à Alt-Ranstädt, d'où M. de Retzow fut détaché en avant pour garder le défilé de Rippach. La nuit même, le Roi se mit en marche pour tomber sur les quartiers ennemis dispersés à l'entour de Weissenfels; la plupart se sauvèrent, hors celui de Weissenfels. On attaqua les trois portes de la ville, avec ordre aux officiers de gagner sans délai le pont de la Saale, pour qu'on fût maître de ce passage important. La ville fut forcée, on y prit cinq cents hommes; mais ceux de la garnison qui s'étaient sauvés, avaient mis le feu au pont couvert, qui étant tout de charpente s'embrasa facilement; il n'y eut pas moyen déteindre l'incendie, parce que l'ennemi, embusqué derrière des murs à l'autre bord, faisait un si gros feu de mousqueterie, que tous ceux qui s'empressaient à sauver le pont, étaient tués ou blessés. Bientôt de nouvelles troupes parurent de l'autre côté de la rivière, dont le nombre, allant toujours en grossissant, convainquit de l'impossibilité de tenter le passage de la Saale à cet endroit. Mais comme ce n'était que la tête de l'armée qui était arrivée à Weissenfels, et que la partie la plus considérable des troupes était encore en pleine marche, on leur fit prendre la direction de Mersebourg, dans l'espérance de pouvoir se servir du pont de cette ville.
Lorsque le maréchal Keith y arriva, il trouva que les Français y étaient établis, et que le pont était rompu; il ne balança pas sur le parti qui lui restait à prendre : il prit quelques bataillons, et se rendit à Halle, dont il délogea les Français, et rétablit le pont qu'ils y avaient également détruit. L'armée du Roi se trouvait donc alors avoir sa droite à Halle, son centre vis-à-vis de Mersebourg, et sa gauche à Weissenfels, couverte par la Saale, assurant sa communication derrière cette rivière par des corps détachés, qui veillaient également sur les démarches des ennemis. Le maréchal Keith passa le premier cette rivière proche de Halle; sur ce mouvement, qui ne pouvait être d'aucune conséquence pour les Français, M. de Soubise abandonna<171> tous les bords de la Saale, et se replia sur le village de Saint-Michel.171-a Les Prussiens employèrent ce jour et la nuit suivante à rétablir les ponts de Weissenfels et de Mersebourg. Le 3, de grand matin, le Roi et le prince Maurice passèrent ces ponts; leurs colonnes et celle du maréchal Keith se dirigèrent sur Rossbach, où elles avaient ordre de se joindre. Le Roi se détacha de la marche avec quelque cavalerie, pour reconnaître la position des ennemis : elle était des plus mauvaises. Les hussards, par étourderie, poussèrent dans le camp, et enlevèrent des chevaux de la cavalerie, et des soldats qu'ils arrachèrent de leurs tentes; ces circonstances, jointes au peu de précautions des généraux français, déterminèrent le Roi à marcher le lendemain pour les attaquer.
L'armée quitta son camp avant la pointe du jour; toute la cavalerie faisait l'avant-garde. Comme elle arriva sur les lieux d'où on avait la veille reconnu le poste des ennemis, elle ne les y trouva plus; sans doute que M. de Soubise, ayant fait réflexion sur la défectuosité de son camp, en avait changé la nuit même; il avait étendu ses troupes sur une hauteur devant laquelle régnait un ravin : sa droite s'appuyait à un bois qu'il avait fortifié d'un abatis et de trois redoutes garnies d'artillerie; sa gauche était environnée par un étang assez spacieux pour qu'on ne le pût pas tourner. L'armée du Roi se trouvait trop faible en infanterie pour brusquer un poste aussi formidable : pour peu que la défense eût été opiniâtre, on ne l'aurait emporté qu'en y sacrifiant vingt mille hommes. Le Roi jugea que cette entreprise surpassait ses forces, et il envoya des ordres à l'infanterie de passer un défilé marécageux qui se trouvait près de là, pour prendre le camp de Braunsdorf; la cavalerie la suivit, faisant l'arrière-garde. Dès que les Français virent que les troupes prussiennes se repliaient, ils firent avancer leurs piquets avec de l'artillerie, et canonnèrent beaucoup, mais sans effet. Tout ce qu'ils avaient de musiciens<172> et de trompettes faisaient des fanfares; leurs tambours et leurs fifres faisaient des réjouissances, comme s'ils avaient gagné une victoire. Quelque fâcheux que fût ce spectacle pour des gens qui n'avaient jamais craint d'ennemi, il fallut dans ces circonstances le considérer avec des yeux indifférents, et opposer le flegme allemand à l'étourderie et à la fanfaronnade française.
On apprit, la nuit même, que l'ennemi faisait un mouvement de sa gauche à sa droite : les hussards se mirent en campagne dès la pointe du jour; ils entrèrent dans le camp que les Français venaient de quitter, et ils apprirent des paysans que les Français avaient pris le chemin de Weissenfels. Peu après, un corps assez considérable se forma vis-à-vis de la droite des Prussiens; il avait l'aspect d'une arrière-garde, ou d'une troupe qui couvre la marche d'une armée. Les Prussiens tenaient peu de compte de ces mouvements, parce que leur camp était couvert, tant le front que les deux ailes, par un marais impraticable, et qu'il n'y avait que trois chaussées étroites par lesquelles on pût venir à eux. On ne pouvait donc prêter que trois desseins à l'ennemi : celui de se retirer, par Freybourg, dans la haute Thuringe, parce que les subsistances lui manquaient; celui de prendre Weissenfels, mais les ponts en étaient détruits; ou celui de gagner Mersebourg avant le Roi, pour lui couper le passage de la Saale : or, l'armée prussienne en était beaucoup plus près que celle des Français; cette manœuvre était d'autant moins à craindre, qu'elle menait à une bataille dont on pouvait se promettre un succès heureux, puisqu'on n'aurait point de poste à forcer. Le Roi envoya beaucoup de partis en campagne, et attendit tranquillement dans son camp jusqu'à ce que les intentions des ennemis se fussent plus clairement développées; car un mouvement fait à contre - temps ou précipité aurait gâté toutes les affaires. Des nouvelles, tantôt fausses, tantôt vraies, que rapportaient les batteurs d'estrade, entretinrent cette incertitude jusque vers midi, qu'on aperçut la tête des colonnes françaises, qui,<173> à une certaine distance, tournaient la gauche des Prussiens. Les troupes des cercles se perdirent aussi insensiblement de leur vieux camp, de sorte que ce corps qu'on prenait pour une arrière-garde, et qui était en effet la réserve de M. de Saint-Germain, demeura seul vis-à-vis des Prussiens. Le Roi fut lui-même reconnaître la marche de M. de Soubise, et il fut convaincu qu'elle était dirigée sur Mersebourg : les Français marchaient très-lentement, parce qu'ils avaient formé différents bataillons en colonnes, qui les arrêtaient chaque fois que les chemins étroits les obligeaient de se rompre.
Il était deux heures lorsque les Prussiens abattirent leurs tentes; ils firent un quart de conversion à gauche et se mirent en marche. Le Roi côtoya l'armée de M. de Soubise; ses troupes étaient couvertes par le marais qui vient de Braunsdorf, et qui, s'étendant à un gros quart de lieue de là, se perd à deux mille pas de Rossbach. M. de Seydlitz faisait l'avant-garde du Roi avec toute la cavalerie; il eut ordre de se glisser par des bas-fonds dont cette contrée est remplie, pour tourner la cavalerie française, et fondre sur les têtes de leurs colonnes avant qu'elles eussent le temps de se former. Le Roi ne put laisser au prince Ferdinand, qui commandait ce jour-là la droite de l'armée, que les vieilles gardes de la cavalerie, qu'il mit sur un rang pour en faire montre; ce qui se pouvait d'autant mieux, qu'une partie du marais de Braunsdorf couvrait cette droite. Les deux armées, en se côtoyant, s'approchaient toujours davantage. L'armée du Roi tenait soigneusement une petite élévation qui va droit à Rossbach; celle des Français, qui ne connaissait pas apparemment le terrain, marchait par un fond. Le Roi fit établir une batterie sur cette hauteur, dont les effets devinrent décisifs dans l'action : les Français en établirent une vis-à-vis dans un fond, et comme elle tirait de bas en haut, elle ne produisit aucun effet.
Pendant qu'on prenait ces arrangements de part et d'autre, M. de Seydlitz avait tourné la droite des ennemis, sans qu'ils s'en aper<174>çussent; il fondit alors avec impétuosité sur cette cavalerie; les deux régiments autrichiens formèrent un front et soutinrent le choc; mais se trouvant abandonnés par les Français, à l'exception du régiment de Fitzjames, qui donna, ils furent presque entièrement détruits. L'infanterie des deux armées était encore en marche, et leurs têtes n'étaient qu'à la distance de cinq cents pas : le Roi aurait voulu gagner le village de Reichartswerben; mais comme il restait encore six cents pas pour y arriver, et qu'on s'attendait d'un moment à l'autre de voir engager l'action, il y détacha le maréchal Keith avec cinq bataillons, en quoi consistait toute sa seconde ligne; le Roi s'avança en même temps à deux cents pas des deux lignes françaises, et il s'aperçut que leur ordre de bataille était composé de bataillons en colonnes alternativement enlacés dans des bataillons étendus. Cette aile de M. de Soubise était en l'air, la cavalerie prussienne encore occupée à poursuivre celle des ennemis, de sorte qu'on ne put se servir que de l'infanterie pour la déborder : pour cet effet, le Roi mit en ligne deux bataillons de grenadiers qui faisaient un crochet à son flanc gauche; ils eurent ordre, au moment que les Français avanceraient, de faire une demi-conversion à droite, ce qui les portait nécessairement sur le flanc de l'ennemi. Cette disposition fut exécutée ponctuellement : aussi, dès que les Français avancèrent, ils reçurent le feu de ces grenadiers en flanc, et, après avoir essuyé tout au plus trois décharges du régiment de Brunswic, on vit que leurs colonnes se pressaient vers leur gauche; elles eurent bientôt resserré ces bataillons étendus qui les séparaient; la masse de cette infanterie devenait de moment en moment plus grosse, plus lourde et plus confuse; plus elle se précipitait sur sa gauche, plus elle était débordée par le front des Prussiens. Et tandis que le désordre allait en s'accroissant dans l'armée de M. de Soubise, le Roi fut averti qu'un corps de cavalerie ennemie se présentait à dos de ses troupes : il fit rassembler en hâte les premiers escadrons que l'on put trouver; à peine les eut-il<175> opposés à ceux qui se montraient derrière son front, que ces derniers se retirèrent avec promptitude; alors les gardes du corps et les gendarmes furent mis en œuvre contre l'infanterie française, qui se trouvait dans le plus grand dérangement; la cavalerie l'attaqua, et l'ayant facilement dispersée, elle fit un nombre considérable de Français prisonniers. Il était six heures du soir quand ce choc se donna; le temps était couvert, et l'obscurité si grande, qu'il y aurait eu de l'imprudence à poursuivre l'ennemi, quelle que fût la confusion dans laquelle il poursuivait sa déroute. Le Roi se contenta d'envoyer à ses trousses différents partis de cuirassiers, de dragons et de hussards, dont aucun ne passait trente maîtres. Pendant cette action, dix bataillons de la droite des Prussiens avaient gardé le fusil sur l'épaule sans charger; le prince Ferdinand de Brunswic, qui les commandait, n'avait pas quitté le marais de Braunsdorf, qui couvrait une partie de son front; il avait chassé les troupes des cercles qui lui étaient opposées, par quelques volées de canon qui leur firent lâcher pied. Il n'y eut que sept bataillons de l'armée du Roi qui furent dans le feu, et tout l'engagement du combat, jusqu'à la décision, ne dura qu'une heure et demie.
Le lendemain, le Roi partit dès la pointe du jour avec les hussards et les dragons; il suivit les traces des ennemis, qui s'étaient retirés par Freybourg. L'infanterie eut ordre de prendre le même chemin; l'arrière-garde française y était encore; les dragons mirent pied à terre, et chassèrent des jardins quelques détachements ennemis; ensuite on fit des dispositions pour attaquer le château; mais l'ennemi n'en attendit pas l'exécution : il repassa l'Unstrut en hâte et brûla ses ponts. Les détachements que le Roi avait faits la veille, arrivèrent alors successivement : les uns amenaient des officiers, d'autres des soldats, d'autres des canons; enfin aucun d'eux ne revint les mains vides. On travailla cependant avec tant de diligence à rétablir le pont de l'Unstrut, qu'en moins d'une heure il fut en état de servir.<176> L'armée de M. de Soubise s'était répandue par tant de chemins, qu'on ne savait par lequel la suivre. Les paysans assuraient que le plus grand nombre des fuyards avait pris la route de l'Eckartsberg, et le Roi y marcha avec ses troupes. Toute cette journée ne s'employa qu'à augmenter le nombre des prisonniers : les détachements qui s'envoyèrent en différents lieux en amenèrent tous. Cependant on trouva l'Eckartsberg garni par un corps des cercles, qui pouvait être de cinq à six mille hommes. Le Roi, qui n'avait d'autre infanterie que les volontaires de Mayr, les embusqua avec des hussards dans un bois voisin de ce camp, avec ordre d'alarmer l'ennemi toute la nuit : les cercles, mécontents de ce qu'on troublait leur sommeil, abandonnèrent leur poste, et ils y perdirent quatre cents hommes, avec dix pièces de canon. M. de Lentulus,176-a qui les suivit le lendemain jusqu'à Erfurt, leur enleva encore huit cents hommes, qu'il ramena au Roi.
La journée de Rossbach avait coûté dix mille hommes à l'armée de M. de Soubise. Les Prussiens en prirent sept mille prisonniers; ils y gagnèrent de plus soixante-trois canons, quinze étendards, sept drapeaux et une paire de timbales. Il est certain qu'en considérant la conduite des généraux français, on aura de la peine à l'approuver : leur intention était sans contredit de chasser les Prussiens de la Saxe; mais l'intérêt de leurs alliés ne demandait-il pas plutôt qu'ils se bornassent simplement à contenir le Roi vis-à-vis d'eux, pour donner au maréchal Daun et au prince de Lorraine le temps d'achever la conquête de la Silésie? Pour peu qu'ils eussent encore arrêté le Roi en Thuringe, cette conquête était non seulement faite, mais la saison devenait de plus si rude et si avancée, qu'il aurait été impossible aux Prussiens de faire en Silésie les progrès dont nous aurons incessam<177>ment occasion de parler; et quant à la bataille qu'ils engagèrent si mal à propos, il est certain que M. de Soubise, par son incertitude et par sa disposition, mit de la possibilité à ce qu'une poignée de monde vînt à bout de le vaincre. Mais la manière dont la cour de France distinguait le mérite de ses généraux, parut plus surprenante que le reste : M. d'Estrées, pour avoir gagné la bataille de Hastenbeck, fut rappelé; M. de Soubise, pour avoir perdu celle de Rossbach, fut déclaré peu après maréchal de France. La bataille de Rossbach ne valait proprement au Roi que la liberté d'aller chercher de nouveaux dangers en Silésie. Cette victoire ne devint importante que par l'impression qu'elle fit sur les Français et sur les débris de l'armée du duc de Cumberland. D'un côté, M. de Richelieu, dès qu'il en reçut la nouvelle, quitta son camp de Halberstadt et se retira dans l'électorat de Hanovre; de l'autre, les troupes alliées, prêtes à mettre les armes bas, reprirent courage et relevèrent leurs espérances.
Un changement avantageux, arrivé à peu près en même temps dans le ministère britannique, dont nous parlerons bientôt, donna un nouveau nerf au gouvernement anglais. Ces ministres, honteux de l'affront que la convention de Kloster-Zeven imprimait à leur nation, résolurent avec d'autant plus de justice de la rompre, qu'elle n'avait été ratifiée ni par le roi d'Angleterre ni par le roi de France; ils travaillèrent d'abord à remettre l'armée de Stade en activité. Le roi d'Angleterre, dégoûté du duc de Cumberland, qui avait perdu la confiance des troupes, voulut mettre un autre général à leur tête; il demanda au Roi le prince Ferdinand de Brunswic, dont la réputation justement acquise s'était répandue en Europe : quoique les Prussiens perdissent par son absence un bon général dont ils avaient besoin, il était toutefois si important de relever cette armée des alliés, que le Roi ne put refuser la demande qu'on lui faisait.177-a Le prince Ferdinand<178> partit, se rendit à Stade par des chemins détournés, et il y trouva répandu aux environs un corps de trente mille hommes, que les Français, par inconséquence et par légèreté, avaient négligé de désarmer.
Pendant cette campagne de Thuringe, on découvrit qu'un Français nommé Fraigne, qui se tenait à la cour de Zerbst, envoyait des quincailliers et d'autres gens déguisés dans l'armée prussienne, pour rapporter ce qu'ils pouvaient y apprendre aux généraux français. On envoya un détachement à Zerbst, qui saisit cet aventurier, et le mena à la forteresse de Magdebourg.178-a Il se trouva que, par une de ces bizarreries de l'amour dont on ne saurait rendre raison, la princesse douairière de Zerbst avait épousé cet homme en secret. Elle fit grand bruit de cet événement, et se retira par dépit à Paris. Cette affaire pouvait avoir des suites par l'impression qu'elle aurait pu faire sur l'esprit de la grande-duchesse de Russie, fille de la princesse de Zerbst. Elle ignora ou désapprouva peut-être les engagements que sa mère avait pris avec cet aventurier, et il n'en résulta rien de fâcheux pour le Roi.
Ce prince revint de l'Eckartsberg à Freybourg, en même temps qu'un détachement que le maréchal Keith avait envoyé à Querfurt, retourna de la poursuite des Français. Jusqu'aux paysans des environs amenaient des prisonniers; ils étaient outrés des sacriléges que les soldats de M. de Soubise avaient commis dans les églises luthériennes : les choses auxquelles le peuple attache le plus de vénération,<179> avaient été profanées avec une indécence grossière, et la fougue effrénée des Français avait mis tous les paysans de la Thuringe dans les intérêts de la Prusse.
Cependant le Roi était sur son départ : les affaires de la Silésie demandaient sa présence et des secours; il se proposa de marcher droit à Schweidnitz, pour en faire lever le siége à M. de Nadasdy. Il partit pour la Silésie le 12 de novembre, de Leipzig, à la tête de dix-neuf bataillons et de vingt-huit escadrons. Le maréchal Keith marcha en même temps avec un petit corps pour pénétrer en Bohême du côté de Leitmeritz, afin de faciliter au Roi le passage de la Lusace, et d'obliger par cette diversion M. de Marschall à quitter les environs de Bautzen et de Zittau. Le maréchal Keith prit un magasin considérable que les ennemis avaient à Leitmeritz, d'où il fit mine de s'avancer vers Prague. Le Roi entra en même temps en Lusace; il délogea M. de Hadik de Grossenhayn, et M. de Marschall à son approche se replia sur Lobau; en marche de Bautzen au Weissenberg, on fit tourner une tête de colonne vers Löbau, et à son aspect M. de Marschall se replia sur Gabel : le Roi poursuivit ensuite sa route sans empêchement. En arrivant à Görlitz, il reçut la fâcheuse nouvelle de la reddition de Schweidnitz. Cette place fut prise de la manière suivante : M. de Nadasdy avait ouvert la tranchée le 27 d'octobre, entre le fort de Bögendorf et la tuilerie; sa troisième parallèle était achevée le 10 de novembre. La garnison avait fait quelques sorties avec succès; quoique les bombes eussent ruiné une partie de la ville, l'ennemi n'avait encore emporté aucun ouvrage; impatient d'être aussi peu avancé, M. de Nadasdy se détermina à risquer un coup de main : la nuit du 11, il fit donner un assaut général à toutes les redoutes qui environnent le corps de la place, et deux furent emportées. Ce malheur fit tourner la tête à M. de Seers,179-a qui en était gouverneur, et<180> à M. de Grumbkow, qui lui était adjoint : ils capitulèrent et se rendirent prisonniers de guerre avec leur garnison, consistant en dix escadrons de hussards et dix bataillons d'infanterie. Les Autrichiens désarmèrent ces troupes, et comme elles étaient la plupart silésiennes, ils leur donnèrent des passe-ports et la liberté de retourner à leurs villages. Cet événement ne pouvait pas arriver plus mal à propos pour déranger les projets du Roi. Toutefois sa jonction avec le prince de Bevern en devenait d'autant plus nécessaire, qu'il était aisé de prévoir que M. de Nadasdy, ayant pris Schweidnitz, joindrait le maréchal Daun, pour accabler ce qui restait de Prussiens auprès de Breslau.
Le Roi avait à la vérité ordonné au prince de Bevern d'attaquer l'ennemi, et de ne pas souffrir qu'on prît Schweidnitz pour ainsi dire à sa vue : la chose était très-faisable, vu la position des Autrichiens à Lissa; le prince de Bevern n'avait qu'un mouvement à faire pour se porter sur le flanc de l'ennemi, qu'il aurait battu probablement; alors le siége de Schweidnitz était levé, et les Impériaux déconcertés : au lieu qu'en demeurant dans l'inaction, M. de Nadasdy ne pouvait pas manquer à la longue de prendre une place qui n'avait point de secours à espérer; et toutes ces troupes ennemies, venant à fondre sur les Prussiens, auraient enfin forcé les retranchements de la Lohe. Le malheur voulut que ce prince ne comprît pas la force de ces raisons; les généraux le déterminèrent cependant un jour à tenter cette entreprise; il sortit de son camp, et battit les troupes légères qui couvraient le flanc droit des Autrichiens : alors, au lieu d'attaquer l'armée et de la pousser dans l'Oder, comme cela serait arrivé, son incertitude, sa timidité, le peu de confiance qu'il avait en lui-même, et la crainte d'une entreprise dont l'événement n'est jamais d'une sûreté évidente, le retinrent; il crut en avoir fait assez, et il ramena les troupes dans ses retranchements.
Le Roi arriva à Naumbourg-sur-le-Queis le 24 de novembre; il y apprit la victoire des Autrichiens sur le prince de Bevern, et la<181> perte de Breslau. Tout ce dont on avait averti le prince de Bevern était malheureusement arrivé trop exactement : M. de Nadasdy avait joint le prince de Lorraine et le maréchal Daun, et les ennemis, impatients d'achever leur conquête, ne perdirent point de temps pour mettre leur projet en exécution. La nuit du 21 au 22 de novembre, ils construisirent devant le front des Prussiens quatre grandes batteries de grosses pièces de canon; les emplacements qu'ils prirent étaient entre Pilsnitz et Gross-Mochber. Le prince de Bevern se contenta d'être spectateur de cet ouvrage, qu'il leur laissa achever tranquillement, tandis que ces apprêts annonçaient les desseins du maréchal Daun sur les retranchements prussiens. M. de Nadasdy longea la Lohe et se forma vers Gabitz; le prince de Bevern crut que c'était pour lui venir à dos, quoique cela fût difficile, et il s'affaiblit encore par un détachement, qui marcha à Gabitz aux ordres de M. de Zieten, pour s'opposer de ce côté aux entreprises des ennemis. Le front du camp prussien derrière la Lohe était couvert par des redoutes ouvertes par les gorges, mal placées, dont quelques-unes même étaient dominées de l'autre rive. Le prince de Bevern n'avait pas même eu l'attention d'y faire distribuer suffisamment de canon; la plupart de son artillerie demeura dans un retranchement qu'il avait fait faire dans un bas-fond, pour couvrir son flanc de la Lohe vers le faubourg de Breslau. Le maréchal Daun, qui avait eu le temps de bien voir et de bien examiner toutes ces négligences et toutes ces bévues, les fit tourner à son avantage.
L'attaque commença le 22, à neuf heures du matin; quelques redoutes furent prises et reprises alternativement; on fit agir la cavalerie prussienne dans un marais, où elle ne pouvait pas combattre, et où elle fut foudroyée par soixante canons que les Autrichiens avaient en batterie au delà du ruisseau. Cependant, malgré tant de fausses mesures, les Prussiens soutenaient encore leur terrain. A la gauche, vers Gabitz, M. de Zieten non seulement repoussa les at<182>taques, mais il poursuivit M. de Nadasdy jusqu'au delà de la Lohe, et les ennemis en déroute se retirèrent au delà du ruisseau de Schweidnitz. Pendant ce temps-là, les Autrichiens qui attaquaient le prince de Bevern, avaient passé la Lohe sous la protection de leur artillerie; ils prirent aussitôt les redoutes prussiennes par les gorges; les troupes se défendirent bien, et les Prussiens les en délogèrent même à diverses fois : le prince Ferdinand de Prusse repoussa même une partie des ennemis jusqu'à la Lohe; mais ils étaient trop en force, le camp était perdu et la nuit close.182-a Quoiqu'il y eût encore des ressources, le prince de Bevern ne les vit pas; il repassa l'Oder dans la première consternation, et jeta M. de Lestwitz avec huit bataillons dans Breslau; il perdit ainsi quatre-vingts pièces de canon et près de huit mille hommes, que l'attaque du camp de Lissa ne lui aurait pas coûtés. Les Autrichiens prétendirent que cette action leur avait mis dix-huit mille hommes hors de combat, et il est vrai que les villages des environs étaient remplis de leurs blessés. Le lendemain, ou pour mieux dire la nuit, le prince de Bevern s'avisa d'aller reconnaître le corps de M. de Beck, qui campait près de lui; il était seul, et se laissa prendre par des pandours. M. de Kyau, qui était après lui le plus ancien des généraux, prit le commandement des troupes, et sans aviser à ce qu'il y avait à faire, il prit le chemin de Glogau. A peine M. de Lestwitz se crut-il isolé dans Breslau, qu'il perdit la tramontane : les Autrichiens s'approchèrent de cette capitale, et M. de Lestwitz, qui jusqu'alors avait eu la réputation d'un brave officier, sans attendre que l'ennemi tirât un seul coup de canon contre les remparts, demanda à capituler, et obtint la libre sortie avec armes et bagages; il suivit, deux jours après, avec sa garnison dont la moitié déserta, le chemin que M. de Kyau avait pris.
<183>Le Roi reçut à la fois toutes ces nouvelles accablantes; sans s'appesantir sur les désastres qui venaient d'arriver, il ne songea qu'au remède, et il força de marche pour gagner les bords de l'Oder. En chemin, il se détourna de Liegnitz, que les Autrichiens avaient fait fortifier, et poussant droit à Parchwitz, son avant-garde donna à l'improviste sur un détachement des ennemis, qui fut bien battu et dont trois cents hommes furent pris prisonniers, et il arriva à Parchwitz le 28, ayant fait le chemin de Leipzig à l'Oder en douze jours.183-a Le Roi voulait que M. de Kyau passât l'Oder à Köben; mais il ne put pas y réussir, parce que la plupart des troupes avaient déjà gagné Glogau. Dans ces conjonctures, le temps était ce qu'il y avait de plus précieux; il n'y avait point de moment à perdre : il fallait ou attaquer incessamment les Autrichiens à tout prix, et les mettre hors de la Silésie, ou il fallait se résoudre à perdre cette province pour jamais.
L'armée qui repassa l'Oder à Glogau, ne put joindre les troupes du Roi que le 2 de décembre; cette armée était découragée et dans l'accablement d'une défaite récente. On prit les officiers par le point d'honneur; on leur rappela le souvenir de leurs anciens exploits; on tâcha de distraire les idées tristes dont l'impression était fraîche, par la gaieté; le vin fut même une ressource pour ranimer ces esprits abattus. Le Roi parla aux soldats; il leur fit distribuer des vivres gratis; enfin on épuisa tous les moyens que l'imagination pouvait fournir et que le temps permettait, pour réveiller dans les troupes cette confiance sans laquelle l'espérance de la victoire est vaine. Déjà les physionomies commençaient à s'éclaircir, et ces troupes qui venaient de battre les Français à Rossbach, persuadèrent à leurs com<184>pagnons qu'ils devaient prendre bon courage. Quelque peu de repos refit le soldat, et l'armée se trouva disposée à laver, aussitôt que l'occasion s'en présenterait, l'affront qu'elle avait reçu le 22. Le Roi chercha cette occasion, et bientôt elle se trouva. Il avança le 4 à Neumarkt; il était avec l'avant-garde des hussards, et apprit que l'ennemi établissait sa boulangerie dans cette ville, qu'elle était garnie de pandours, et qu'on y attendait dans peu l'armée du maréchal Daun. La hauteur située au delà de Neumarkt donnait un avantage considérable à l'ennemi, si on lui permettait de l'occuper : la difficulté était de prendre ce lieu; l'infanterie n'était point arrivée, et ne pouvait joindre l'avant-garde qu'au soir; on n'avait point de canon; les seules troupes dont on pouvait tirer parti étaient des hussards : on se résolut à faire de nécessité vertu. Le Roi, ne voulant pas souffrir que le prince de Lorraine vînt se camper à sa barbe vis-à-vis de lui, fit mettre pied à terre à quelques escadrons de hussards; ils enfoncèrent la porte de la ville; un régiment qui les suivait à cheval, y entra en pleine carrière; un autre régiment qui fit le tour par des faubourgs, gagna la porte de Breslau, et l'entreprise réussit au point que huit cents Croates furent pris prisonniers par les hussards. On occupa aussitôt l'emplacement du camp, et l'on y trouva des piquets, et les traces que les ingénieurs autrichiens y avaient laissées pour marquer la position de leurs troupes. Le prince de Würtemberg prit le commandement de l'avant-garde; on le renforça le soir de dix bataillons, avec lesquels il se campa à Kammendorf. Le même jour, la cavalerie passa encore le défilé; le gros de l'infanterie cantonna dans la ville de Neumarkt et dans les villages voisins. Des nouvelles positives arrivèrent alors au Roi, par lesquelles il apprit que le prince de Lorraine avait quitté le camp de la Lohe, et s'était avancé au delà de Lissa; que son armée avait sa droite appuyée au village de Nippern, sa gauche à Gohlau, et à dos le petit ruisseau de Schweidnitz. Le Roi se réjouit de trouver l'ennemi dans une telle position, qui facili<185>tait son entreprise; car il était obligé et déterminé d'attaquer les Autrichiens partout où il les trouverait, fût-ce même au Zobtenberg.
On travailla d'abord à la disposition de la marche, et l'armée se mit en mouvement le 5, avant l'aube du jour; elle était précédée par une avant-garde de soixante escadrons et de dix bataillons, à la tête de laquelle le Roi s'était mis en personne; les quatre colonnes de l'armée la suivaient à une petite distance; l'infanterie formait celles du centre, et celles des ailes étaient composées de cavalerie. L'avant-garde, en approchant du village de Borne, découvrit une grande ligne de cavalerie, dont la droite tirait vers Lissa, et dont la gauche, qui était plus avancée, s'appuyait à un bois que l'armée du Roi avait à sa droite. Du commencement, on crut que c'était une aile de l'armée autrichienne, dont on ne découvrait pas le centre; ceux qui en firent la reconnaissance, assurèrent que c'était une avant-garde; on apprit même qu'elle était commandée par le général Nostitz, et que le corps consistait en quatre régiments de dragons saxons et deux de hussards impériaux. Pour jouer à jeu sûr, on fit glisser les dix bataillons dans le bois qui couvrait le flanc gauche de M. de Nostitz; sur quoi la cavalerie prussienne, qui s'était formée, fondit dessus avec beaucoup de vivacité : dans un moment ces régiments furent dissipés et poursuivis jusque devant le front de l'armée autrichienne; on leur prit cinq officiers et huit cents hommes, qu'on renvoya le long des colonnes à Neumarkt, pour animer le soldat par l'exemple de ce succès. Le Roi eut de la peine pour arrêter la fougue des hussards, que leur ardeur transportait : ils étaient sur le point de donner au milieu de l'armée autrichienne, lorsqu'on les rassembla entre les villages de Heydau et de Frobelwitz, à une portée de canon de l'ennemi. On distinguait si bien de là l'armée impériale, qu'on aurait pu la compter homme par homme; sa droite, qu'on savait à Nippern, était cachée par le grand bois de Lissa; mais du centre jusqu'à la gauche, rien n'échappait à la vue. A la première inspection de ces<186> troupes, on jugeait par le terrain qu'il fallait porter les grands coups à l'aile gauche de cette armée : elle était étendue sur un tertre chargé de sapins, mais mal appuyée. Dès qu'on avait forcé ce poste, on gagnait l'avantage du terrain pour le reste de la bataille, parce que de là il va toujours en descendant et en baissant vers Nippern; au lieu qu'en s'attachant au centre, les troupes de l'aile droite autrichienne auraient pu, en traversant le bois de Lissa, tomber en flanc des assaillants, et qu'il aurait fallu toutefois finir par l'attaque de ce tertre, qui dominait sur toute cette plaine. C'aurait été réserver la besogne la plus dure et la plus difficile pour la fin, lorsque les troupes, harassées et fatiguées du combat, ne sont plus propres aux grands efforts; au lieu qu'en commençant par l'opération la plus rude, on profitait de la première ardeur du soldat, et le reste de l'ouvrage devenait aisé. Par une suite de ces raisons, on disposa incessamment l'armée pour l'attaque de la gauche. Les colonnes qui étaient dans l'ordre du déploiement furent renversées; on les mit sur deux lignes, et les pelotons par quart de conversion se mirent à défiler par la droite. Le Roi avec ses hussards côtoya la marche de son armée sur une chaîne de tertres qui cachait à l'ennemi les mouvements qui se faisaient derrière; et le Roi, se trouvant entre les deux armées, observait celle des Autrichiens et dirigeait la marche de la sienne. Il envoya des officiers de confiance, les uns pour observer la droite du maréchal Daun, les autres vers Canth pour veiller aux démarches de M. de Draskovics, qui y avait son camp. Des reconnaissances se firent en même temps le long du ruisseau de Schweidnitz, pour être sûr que rien ne vînt à dos de l'armée, lorsqu'elle s'engagerait avec l'ennemi.
Le projet que le Roi se préparait d'exécuter, était de porter toute son armée sur le flanc gauche des Impériaux, de faire les plus grands efforts avec sa droite, et de refuser sa gauche avec tant de prévoyance, qu'il n'eût point à craindre des fautes semblables à celles qui arri<187>vèrent à la bataille de Prague, et qui causèrent la perte de celle de Kolin. Déjà M. de Wedell,187-a qui devait avoir avec ses dix bataillons de l'avant-garde la première attaque, s'était rendu à la tête de l'armée; déjà les têtes des colonnes avaient gagné le ruisseau de Schweidnitz, sans que l'ennemi s'en aperçût. Le maréchal Daun prit le mouvement des Prussiens pour une retraite, et dit au prince de Lorraine : « Ces gens s'en vont, laissons-les faire. » Cependant M. de Wedell s'était formé devant les deux lignes d'infanterie de la droite; son attaque était soutenue par une batterie de vingt pièces de douze livres, dont le Roi avait dépouillé les remparts de Glogau. La première ligne reçut ordre d'avancer en échelons, les bataillons à cinquante pas de distance en arrière les uns des autres, de sorte que, la ligne étant en mouvement, l'extrémité de la droite se trouvait avancée de mille pas de plus que l'extrémité de la gauche, et cette disposition la mit dans l'impossibilité de s'engager sans ordre. Sur cela, M. de Wedell attaqua le bois où commandait M. Nadasdy; il n'y trouva pas grande résistance, et l'emporta assez vite. Les généraux autrichiens, se voyant tournés et pris en flanc, essayèrent de changer de position; ils voulurent, mais trop tard, former une ligne parallèle au front des Prussiens : tout l'art des généraux du Roi consista à ne leur en pas donner le temps. Les Prussiens s'établissaient déjà sur une hauteur qui commande le village de Leuthen; dans l'instant que l'ennemi voulut y jeter de l'infanterie, une seconde batterie de vingt pièces de douze livres s'exécuta sur eux si à propos, qu'ils en perdirent l'envie et se retirèrent. Du côté de l'attaque de M. de Wedell, les Autrichiens se saisirent d'une butte voisine du ruisseau, pour l'empêcher de balayer leur ligne d'une aile à l'autre; M. de Wedell ne les y souffrit pas long<188>temps, et après un combat plus long et plus opiniâtre que le précédent, il les força à lui céder le terrain. M. de Zieten, en même temps, chargea la cavalerie ennemie et la mit en déroute; quelques escadrons de sa droite reçurent une décharge à mitraille dans le flanc, des broussailles qui bordaient le ruisseau : ce feu reçu à l'improviste les ramena, et ils se reformèrent auprès de l'infanterie.
Les officiers qui avaient eu la commission d'observer la droite du maréchal Daun, vinrent sur cela avertir le Roi qu'elle traversait le bois de Lissa, et allait paraître incessamment dans la plaine; sur quoi M. de Driesen188-a reçut ordre d'avancer avec l'aile gauche de la cavalerie prussienne. Lorsque les cuirassiers autrichiens commencèrent à se former près de Leuthen, la batterie du centre de l'armée du Roi les salua par une décharge de toute son artillerie; M. de Driesen, en même temps, les attaqua : la mêlée ne fut pas longue; les Impériaux furent dispersés et s'enfuirent à vau-de-route. Une ligne d'infanterie qui s'était formée à côté de ces cuirassiers derrière Leuthen, fut prise en flanc par le régiment de Baireuth, qui, la rejetant sur les volontaires de Wunsch,188-b en prit deux régiments entiers avec officiers et drapeaux. Alors, la cavalerie ennemie étant tout à fait dissipée, le Roi fit avancer le centre de son infanterie sur Leuthen. Le feu fut vif et court, parce que l'infanterie autrichienne n'était qu'éparpillée entre les maisons et les jardins. En débouchant du village, on aperçut une nouvelle ligne d'infanterie que les généraux autrichiens formaient sur une éminence près du moulin à vent de Sagschütz : l'armée du Roi eut quelque temps à souffrir de leur feu; mais les ennemis ne s'étaient<189> pas aperçus dans cette confusion que le corps de M. de Wedell était dans leur voisinage; ils furent tout à coup pris en flanc et à dos par ce brave et habile général, et sa belle manœuvre, en fixant la victoire, termina cette importante journée.
Le Roi, ramassant les premières troupes qui se présentèrent, se mit à la poursuite des ennemis avec les cuirassiers de Seydlitz et un bataillon de Jeune-Stutterheim;189-a il s'avança dirigeant sa marche entre le ruisseau de Schweidnitz et le bois de Lissa. L'obscurité devint si grande, qu'il poussa quelques cavaliers en avant pour reconnaître les forêts et pour donner des nouvelles; de temps à autre, il fit tirer quelques volées de canon vers Lissa, où le gros de l'armée autrichienne s'était enfui : en approchant de ce bourg, l'avant-garde essuya une décharge d'environ deux bataillons, dont personne ne fut blessé; elle y répondit par quelques volées de canon, en poursuivant toujours sa marche. Chemin faisant, les cuirassiers de Seydlitz amenaient des prisonniers par bandes. En arrivant à Lissa, le Roi trouva toutes les maisons pleines de fuyards et de gens débandés de l'armée impériale; il s'empara d'abord du pont, où il plaça ses canons, avec ordre de tirer tant qu'il y aurait de la poudre. Sur le chemin de Breslau, où l'ennemi avait pris sa retraite, il fit jeter des pelotons d'infanterie dans les maisons les plus voisines du ruisseau de Schweidnitz, pour tirer, tant que la nuit dure, sur l'autre bord, tant pour entretenir la terreur chez les vaincus, que pour les empêcher de jeter quelques troupes de l'autre bord pour en disputer le passage le lendemain. Cette bataille avait commencé à une heure de l'après-midi; il en était huit lorsque le Roi avec son avant-garde arriva à Lissa.<190> Son armée était forte de trente-trois mille hommes lorsqu'elle entra en action avec celle des Impériaux, qu'on disait monter à soixante mille combattants. Si le jour n'eût pas enfin manqué aux Prussiens, cette bataille aurait été la plus décisive de ce siècle.
Les troupes n'eurent pas le temps de se reposer : elles partirent de Lissa qu'il était encore nuit, elles amassèrent en marche nombre de traîneurs des ennemis, et elles arrivèrent vers les dix heures sur les bords de la Lohe, où, malgré une forte arrière-garde, commandée par M. de Serbelloni, postée auprès de Gross-Mochber, dix bataillons passèrent ce ruisseau; on les forma dans un ravin à l'abri du canon des Autrichiens, et l'on embusqua les hussards derrière des villages et des censes, où ils étaient couverts et à portée d'agir aussitôt que cela deviendrait nécessaire. M. de Serbelloni hâta sa retraite autant qu'il put, et se replia vers les deux heures de l'après-midi sur Breslau; M. de Zieten, avec tous les hussards, vingt escadrons de dragons et seize bataillons, le suivit sur le pied. Une partie du monde de l'Autrichien se jeta sans ordre dans Breslau. Cette arrière-garde, pleine de terreur et se retirant en confusion, perdit beaucoup de soldats dans sa marche. M. de Zieten poursuivit l'armée du maréchal Daun par Borau, Reichenbach, Kunzendorf, à Reichenau, où il fut joint par M. de Fouqué, qui venait avec quelques troupes de Glatz. Ces deux généraux poussèrent les Autrichiens jusqu'en Bohême.
Le Roi, de son côté, forma le 7 la circonvallation de Breslau; on prit poste au faubourg de Saint-Nicolas, à Gabitz, aux Lehmgruben, à Hube et Dürrjentsch;190-a et comme la raison de guerre voulait qu'on enfermât la ville également de l'autre côté de l'Oder, le Roi envoya ordre à M. de Wied, qui avait été malade à Brieg, d'en sortir avec trois bataillons, auxquels on joignit cinq escadrons, pour se poster sur la grande chaussée qui mène de Breslau à Hundsfeld : il s'y retrancha le mieux qu'il put, pour empêcher la garnison de se sauver<191> en Pologne, au cas qu'elle l'eût voulu tenter. On se prépara à faire le siége de la ville : le Roi tira les munitions, les canons, les mortiers dont on avait besoin, des forteresses de Brieg et de Neisse. Ces préparatifs étant achevés le 10, six bataillons prirent possession du faubourg d'Ohlau; ces troupes s'établirent au couvent des frères de la Miséricorde, dont ils chassèrent les pandours. M. de Forcade191-a s'établit au cimetière de Saint-Maurice, où l'on construisit une batterie sous l'abri des murailles qui couvraient les travailleurs; et pour distraire l'attention du commandant et de la garnison, le prince Ferdinand de Prusse établit au faubourg de Saint-Nicolas une batterie et un bout de tranchée, qui firent croire à l'ennemi que c'était de ce côté-là que les Prussiens voulaient pousser leurs attaques, tandis que M. de Balbi191-b faisait sa parallèle du cimetière de Saint-Maurice jusque vis-à-vis de la porte de Schweidnitz; de cette parallèle, deux grandes batteries en croisière dirigeaient leur feu sur le Taschenbastion et sur le cavalier qui le commande. Les assiégés se défendirent mollement; ils tentèrent par le faubourg polonais, du côté de M. de Wied, une faible sortie, où ils perdirent trois cents hommes. Le 16, une bombe mit par hasard le feu au magasin de poudre du Taschenbastion; l'épaule sauta, et ses décombres formèrent une espèce de brèche. Le froid devint si violent, que le commandant craignit que malgré ses précautions, les fossés étant gelés, les Prussiens ne donnassent un assaut à la place; il craignit d'être pris d'emblée : il savait d'ailleurs que, l'armée impériale étant rechassée en Bohême, il n'avait aucun secours à en attendre. Ces différentes considérations le portèrent à capituler, et il se rendit lui et toute sa garnison prisonniers de guerre; il se trouva que quatorze mille hommes en avaient assiégé<192> dix-sept mille. Mais il fallait considérer qu'une partie de cette garnison était des fuyards de Leuthen, et qu'en général ni les fortifications ni le nombre des soldats ne défendent une ville, mais que tout dépend de la tête plus ou moins forte et du courage déterminé de celui qui y commande.
Nous avons rapporté sans interruption les événements de cette expédition de Silésie; peut-être ne serez-vous pas fâché de trouver ici le résumé des pertes qu'y firent les deux parties belligérantes.
Les Prussiens ne perdirent à la bataille de Leuthen, en morts et blessés, que deux mille six cent soixante hommes,192-a à cause qu'ils eurent, en exceptant la première attaque, un terrain qui les favorisa.
Les Autrichiens y perdirent trois cent sept officiers, vingt et un mille soldats, cent trente et un canons, cinquante et un drapeaux. MM. de Zieten et de Fouqué leur firent deux mille cinq cents prisonniers dans la poursuite. La prise de Breslau leur coûta treize généraux, six cent quatre-vingt-cinq officiers, et dix-sept mille six cent trente-cinq soldats;192-b somme totale : quarante et un mille quatre cent quarante-deux hommes, dont l'armée impériale fut affaiblie à son retour en Bohême.
Quoique cette campagne eût été longue, dure et pénible; quoique sa fin fût aussi heureuse qu'on eût pu l'espérer, il restait encore une expédition à faire, tant les dérangements arrivés en Silésie étaient considérables : il fallait reprendre la ville de Liegnitz, à laquelle les Impériaux avaient ajouté des inondations et des ouvrages. Le Roi y avait envoyé M. de Driesen, qui, avec un corps de cavalerie, tenait<193> cette ville investie depuis le 16. Le prince Maurice y arriva le 25 avec un détachement d'infanterie, pour en faire le siége dans les règles. Les apprêts s'en firent, le canon arriva. M. de Bülow, que le maréchal Daun y avait établi en qualité de commandant, préféra la conservation de sa garnison à une défense qu'il n'aurait pu soutenir à la longue : il demanda à capituler, et la libre sortie pour ses troupes; ce qu'on lui accorda volontiers, parce que les troupes étaient fatiguées à l'excès, et la gelée si forte, que les pelles et les pioches ne pouvaient plus ouvrir la terre. Les ouvrages et les écluses de la ville furent rasés, pour que, si les ennemis s'en emparaient une seconde fois, ils ne pussent pas si vite la remettre en état de défense et en faire une place de guerre. Toute la cavalerie fut employée ensuite à former le blocus de Schweidnitz; on réserva le siége de cette place pour le printemps prochain. Le corps de M. de Zieten forma un cordon qui prit de Schmiedeberg par Landeshut, Friedland, Braunau, et se terminait à Glatz. Les troupes entrèrent le 6 de janvier en quartier d'hiver, et le Roi demeura à Breslau, pour veiller lui-même à tout, et pour préparer ce qui était nécessaire pour que l'armée rétablie et en bon état pût de bonne heure ouvrir la campagne prochaine.
Pour terminer tous les événements de cette année, il nous reste à rapporter ce qui se passa en Prusse entre MM. de Lehwaldt et d'Apraxin, et ce que firent les Suédois en Poméranie. Le maréchal Apraxin s'approcha au mois de juin des frontières de la Prusse. Il se trouvait à la tête de cent mille hommes : le gros de son armée marcha vers Grodno, capitale de la Lithuanie polonaise; M. de Fermor, avec un corps de vingt mille hommes, secondé de la flotte russe, mit le siége devant Memel. La ville fut rendue par capitulation le 5 de juillet. M. de Lehwaldt s'était proposé de défendre les bords du Prégel, et s'était campé à Insterbourg, d'où il observait M. d'Apraxin. Après la<194> prise de Memel, l'armée ennemie pénétra en Prusse, en s'approchant d'Insterbourg; M. de Fermor s'avança, de son côté, vers le Prégel. Il semble que c'était le moment où le maréchal Lehwaldt aurait dû prendre un parti décisif pour se battre avec un de ces généraux; il n'en trouva peut-être pas l'occasion favorable. Le corps de M. de Fermor, qui arriva à Tilsit, lui donna des jalousies; il craignit d'être tourné, et se retira à Wehlau. Il avait dans son armée deux régiments de hussards qui faisaient au plus deux mille quatre cents hommes, et ces hussards non seulement résistèrent à douze mille Tartares et Cosaques que les Russes traînaient avec eux, mais remportèrent de plus, durant toute cette campagne, des avantages signalés contre ces barbares. Après la retraite du maréchal Lehwaldt, M. d'Apraxin, n'étant gêné par personne, se joignit à Insterbourg avec M. de Fermor; ils s'avancèrent tous les deux en côtoyant l'Alle, et vinrent se camper à Jägersdorf,194-a à un mille et demi de l'armée prussienne.
Le Roi avait donné carte blanche à M. de Lehwaldt194-b pour prendre tel parti qu'il jugerait à propos, tant à cause de l'éloignement des lieux, que des partis qui souvent rôdaient autour de l'armée du Roi, et qui auraient pu intercepter des dépêches de cette conséquence. M. de Lehwaldt, qui craignait qu'un corps de Russes ne s'approchât de Königsberg, dont les ouvrages sont trop vastes pour être défendus, et ne prît cette capitale, où il avait ses magasins, pendant qu'il serait contenu par le maréchal Apraxin, crut qu'il ne pouvait empêcher l'ennemi de tenter une pareille entreprise qu'en lui livrant bataille, et résolut d'aller l'attaquer dans son camp de Jägersdorf. Il se mit en marche le 29, et se porta dans un bois où il était précisé<195>ment dans le flanc des Russes; s'il avait attaqué cette armée tout de suite, il y a apparence qu'il l'aurait fait avec succès. Quoique son corps ne montât qu'à vingt-quatre mille hommes, il pouvait s'attendre à remporter des avantages, parce que les Russes furent surpris de le voir arriver, qu'ils ne s'attendaient pas à être attaqués, et qu'il régnait une grande confusion dans leur camp; ils étaient, outre cela, mal postés, et rien ne l'empêchait de marcher droit à eux. Il est impossible de dire quelles raisons le retinrent, et lui firent différer au lendemain ce qu'il pouvait exécuter sur-le-champ.
Il engagea l'affaire le 30. D'abord les hussards et les dragons prussiens firent plier devant eux la cavalerie russe et les Cosaques qui leur étaient opposés, et les rechassèrent jusqu'à leur camp. Les ennemis avaient changé, la nuit, de position, d'où il résulta que les dispositions que le maréchal de Lehwaldt avait faites la veille pour les attaquer dans le terrain où il les avait trouvés, ne cadraient plus avec l'emplacement actuel où il les trouvait alors; sa cavalerie de la gauche attaqua néanmoins celle des Russes, et la rejeta derrière son front; mais elle y essuya un feu si violent d'artillerie et de mitraille, qu'elle fut obligée de rejoindre l'infanterie prussienne. C'était dans le moment que M. de Lehwaldt attaquait un bois rempli d'abatis, dans lequel les Russes avaient placé leurs grenadiers; le bois était au centre de l'armée de M. d'Apraxin; ces grenadiers furent battus et presque tous détruits; mais le terrain fourré où cette action se passa, cachait aux Prussiens une manœuvre que faisaient alors les ennemis, et qui leur devint funeste : M. de Romanzoff s'avançait avec vingt bataillons de la seconde ligne des Russes, pour soutenir ces grenadiers; il se porta en flanc et à dos de l'infanterie prussienne; elle perdit insensiblement du terrain, et fut enfin obligée de se retirer. Cela se fit avec bonne contenance; les dragons et les hussards couvrirent sa retraite. Ce corps, qui ne fut point poursuivi par l'ennemi, revint à Wehlau re<196>prendre son ancien camp. Le maréchal ne perdit dans cette affaire en morts, blessés et prisonniers que quatorze cents hommes, et treize canons.
M. d'Apraxin demeura encore quelques jours dans son camp de Jägersdorf. Le 7 de septembre, il fit mine de vouloir passer l'Alle pour se porter en droiture sur Königsberg : il fallait bien qu'il ne prît pas cette expédition fort à cœur; car ayant trouvé un corps prussien qui lui disputait le passage de cette rivière, il se désista de son entreprise. Dix jours après, il décampa subitement de Jägersdorf, et se retira vers les frontières de la Pologne. Le maréchal de Lehwaldt le suivit pour la forme jusqu'à Tilsit, moins dans le dessein d'engager quelque affaire d'arrière-garde que pour en imposer au public. La disproportion des forces était trop grande entre ces deux armées, et l'échec qu'il avait reçu était trop récent; d'ailleurs il obtenait son but sans courir de risques; car l'ennemi se retirant de soi-même en Pologne, il n'y avait qu'à le laisser tranquillement poursuivre sa marche : M. d'Apraxin évacua toute la Prusse, à l'exception de Memel, dont les Russes demeurèrent en possession.
L'armée prussienne s'arrêta aux environs de Tilsit, trop heureuse de s'être débarrassée d'un ennemi aussi formidable, à si bon marché. Mais si elle avait échappé aux malheurs qui la menaçaient dans cette campagne, il n'était pas probable qu'elle jouît à la longue de la même fortune. Quand même le maréchal de Lehwaldt eût possédé tous les talents du prince Eugène, comment pouvait-il dans la suite de la guerre résister avec vingt-quatre mille Prussiens à cent mille Russes? Le Roi avait tant d'ennemis à combattre, et ses troupes étaient si considérablement fondues, qu'il lui était impossible d'envoyer des secours à son armée de Prusse; il était à craindre, et l'on pouvait même le prévoir, que les Russes, étendant leurs connaissances et leurs vues, ne corrigeassent les fautes qu'ils avaient faites, et ne déta<197>chassent, en ouvrant la campagne suivante, un corps considérable vers la Vistule, qui mettrait M. de Lehwaldt au risque d'être coupé de la Poméranie. On avait tout lieu de croire qu'étant entouré par des ennemis aussi nombreux, il aurait le même sort que le duc de Cumberland, avec la différence que les Russes, moins polis que les Français, l'auraient contraint de mettre les armes bas.
D'une autre part, les Suédois n'avaient fait des progrès en Poméranie que parce qu'ils n'avaient rencontré aucune résistance; ils étaient en possession d'Anclam, de Demmin, et du fort de Peenemünde, qu'ils avaient pris après un siége de quinze jours. La garnison de Stettin consistait en dix bataillons de milice, que les états de la Poméranie avaient levés. M. de Manteuffel,197-a à la tête de quatre bataillons, n'était pas en état de former de grandes entreprises. En laissant la distribution des armées telle qu'elle était alors, le Roi courait les plus grands hasards pour celle de Prusse, et risquait en même temps de voir la Poméranie envahie par les Suédois. Ces raisons le déterminèrent à concentrer davantage ses forces pour procéder avec plus de sûreté, et d'abandonner les extrémités de ses États, que le nombre de ses ennemis ne lui permettait plus de défendre. Ces motifs firent rappeler de Tilsit M. de Lehwaldt avec son armée; il marcha d'abord en Poméranie contre les Suédois, qu'il délogea promptement d'Anclam et de Demmin; il les poussa bientôt sous le canon de Stralsund, où ces troupes ne se croyant pas en sûreté, se réfugièrent dans l'île de Rügen. Une grande gelée qui survint ensuite, fit prendre tout le trajet, ou pour mieux dire, ce bras de mer qui sépare la Poméranie de cette île. Le maréchal de Lehwaldt aurait pu profiter de l'occasion, si son grand âge ne l'en eût empêché, pour passer avec son armée sur la glace à Rügen, où il aurait détruit toutes ces troupes<198> suédoises : au moins un coup pareil aurait-il délivré le Roi pour un temps d'un ennemi qui faisait une diversion fâcheuse. Quoique le maréchal de Lehwaldt n'eût pas entrepris tout ce qui était faisable, il fit toutefois dans cette courte expédition trois mille prisonniers sur les Suédois. Un détachement qu'il envoya assiéger le fort de Peenemünde, ne le reprit qu'au mois de mars de l'année suivante.
La multitude d'objets qu'il y avait à remplir pendant cette campagne, était immense; et comme on se trouvait pressé de faire de tous les côtés des efforts, on ne pouvait y réussir qu'en employant les mêmes troupes en différents endroits. Le prince Ferdinand de Brunswic avait trop peu de cavalerie dans son armée; il lui en fallait nécessairement pour l'entreprise qu'il méditait. Il importait au Roi que les Français fussent chassés de la Basse-Saxe et du Bas-Rhin, et pour y contribuer de sa part autant que sa situation le lui permettait, il détacha dix escadrons de dragons et cinq escadrons de hussards de l'armée du maréchal de Lehwaldt, avec ordre de joindre le prince Ferdinand de Brunswic à Stade. Ce prince tenta d'abord une entreprise sur Celle, qui ne réussit pas, d'un côté, parce que le maréchal de Richelieu, l'ayant prévenu, l'empêcha de passer l'Aller, et de l'autre, parce que ce pays aride, où il n'y a que des bruyères, ne put fournir à sa subsistance. Nonobstant que cette entreprise était manquée, il se rendit pourtant peu après maître de Haarbourg. Le Roi convint ensuite avec le prince Ferdinand du projet de sa campagne. Son avis allait à ce que les alliés se portassent sur le Wéser, par deux raisons, dont la première était pour ne point ruiner les capitales de l'électorat de Hanovre et du duché de Brunswic par les siéges qu'il faudrait y mettre pour les reprendre; la seconde raison portait sur ce que la crainte d'être coupés du Rhin porterait les Français à évacuer d'eux-mêmes ces provinces, surtout si un détachement des troupes prussiennes se montrait en même temps du côté de Brunswic. Le<199> prince Henri, qui était demeuré en Saxe pour se faire guérir d'une blessure qu'il avait reçue à Rossbach, devait commander ce détachement. On convint de tout, le concert fut bien pris, et nous verrons, au commencement de la campagne prochaine, les succès qui accompagnèrent le prince Ferdinand dans l'exécution de cette entreprise.
129-a Bernard-Asmus de Zastrow, général-major et chef du régiment d'infanterie no 20, fut tué le 25 avril 1757.
129-b La relation officielle de l'expédition des armées royales, publiée dans les deux gazettes de Berlin du 14 mai 1757, no 58, porte Penitz, nom que les éditeurs de 1788 ont reproduit. Nous n'avons pu le trouver, non plus que celui de Penich, ni sur les cartes ni dans les topographies de la Bohême. Peut-être faut-il lire Peruc ou Perutz.
131-a Frédéric-Eugène duc de Würtemberg-Stuttgart naquit en 1732; il devint général-major le 17 octobre 1756, lieutenant-général le 4 décembre 1757, et quitta l'armée le 18 mai 1769. Le 6 mai 1795, il reçut le titre de feld-maréchal de l'armée prussienne. Il mourut en 1797.
131-b C'est le régiment d'infanterie no 12, dont le lieutenant-général Louis prince héréditaire de Hesse-Darmstadt était le chef. Les mots commandé par le colonel de Hertzberg, ajoutés ici par les éditeurs de 1788, n'existent pas dans le manuscrit, quoiqu'il soit constaté que ce colonel commandait le régiment dans cette action.
132-a Le a mai. Hartwig-Charles de Wartenberg était général-major et chef du régiment de hussards no 3 de la Stammliste de 1806. Voyez t. III. p. 115.
135-a Joachim-Chrétien de Treskow fut nommé lieutenant-général et chevalier de l'ordre de l'Aigle noir, en récompense de la valeur qu'il avait montrée à la bataille de Prague.
135-b C'est le régiment d'infanterie no 19. Voyez t. II, p. 85.
135-c Il s'agit ici du régiment d'infanterie no 39, dont les chefs, depuis sa formation en 1740, furent les princes Ferdinand, Albert et François de Brunswic. Après la mort de ce dernier, la charge de chef du régiment Jung-Braunschweig resta vacante depuis la bataille de Hochkirch jusqu'en 1763, époque où le prince Guillaume de Brunswic en fut revêtu. Le régiment d'infanterie du prince Ferdinand, no 5, s'appelait Alt-Braunschweig.
135-d George-Louis de Puttkammer, colonel, chef du régiment de hussards no 4.
136-a Au village de Michle ou Michele.
137-a La bataille de Prague coûta la vie à cinq généraux, qui sont : le feld-maréchal comte de Schwerin et le général-major d'Amstel, qui restèrent sur la place; le lieutenant-général de Hautcharmoy, le général-major Emmanuel de Schöning et le général-major Chrétien-Frédéric de Blanckensee, qui furent blessés à mort.
Le baron Balthasar-Frédéric de Goltz était colonel et commandeur du régiment d'infanterie Fouqué.
Le duc Frédéric-Guillaume de Holstein-Beck était colonel au régiment d'infanterie du duc de Würtemberg, no 46.
Le colonel George-Frédéric de Manstein avait le grade de commandeur du régiment d'infanterie du prince François d'Anhalt-Dessau, no 3.
138-a Jean de Mayr, chef d'un bataillon franc, le premier que l'armée prussienne ait eu, devint général-major le 5 septembre 1758, et mourut à Plauen en Saxe, le 3 janvier 1759. Voyez t. II, p. 48, et ci-dessus, p. 108.
139-a Wolf-Frédéric de Retzow, général-major, fut nommé lieutenant-général le jour même de la victoire de Leuthen, en récompense de la conduite distinguée qu'il y avait tenue.
146-a Jean-Didier de Hülsen, né dans la province de Prusse en 1693; en 1754, il devint général-major; en 1758, lieutenant-général et chevalier de l'Aigle noir; et le 23 août 1763, gouverneur de Berlin.
147-a Voyez, au sujet du reproche adressé au prince Maurice, (de Retzow) Charakteristik der wichtigsten Ereignisse des siebenjährigen Krieges. Berlin, 1802, t. I, p. 122-134.
Maurice prince d'Anhalt-Dessau, né le 31 octobre 1712, était depuis 1741 chef du régiment d'infanterie no 22, et fut promu au grade de feld-maréchal sur le champ de bataille de Leuthen. Il mourut le 11 avril 1760. Voir t. III, p. 186.
148-a No 1 de la Stammliste de 1806, aujourd'hui le second régiment de dragons.
148-b C'est le régiment de cuirassiers no 2. Voyez t. III, p. 154.
148-c Le troisième régiment de dragons de la Stammliste de 1806, qui est resté jusqu'aujourd'hui le troisième régiment. Voir t. II, p. 83.
149-a Chrétien-Sigefroi de Krosigk, général-major et commandeur en chef du régiment de cuirassiers no 5, resta parmi les morts sur le champ de bataille.
149-b Ce n'est pas le colonel Ayasassa, mais le lieutenant-colonel de Benkendorf, commandeur d'un régiment de dragons saxons, qui attaqua de son propre mouvement l'infanterie prussienne. Voyez G. F. von Tempelhof, Geschichte des siebenjährigen Krieges in Deutschland. Berlin, 1783, in-4, t. I, p. 207 et 216, et (de Retzow) Charakteristik der wichtigsten Ereignisse des siebenjährigen Krieges. 1802, t. I, p. 138.
151-a Trzebautitz.
151-b Le général-major de Manstein fut blessé grièvement près de Kolin. Il périt atteint d'une balle, le 27 juin 1757, près de Welmina. Voyez ci-dessus, p. 97, 135 et 147.
152-a Nicolas-Laurent de Puttkammer, général-major d'infanterie.
154-a Le colonel Paul de Werner devint général-major le 17 septembre 1758, et lieutenant-général le 20 février 1761. De 1757 à 1785, il fut chef du régiment des hussards bruns, no 6.
154-b Le Roi nomma le colonel Frédéric-Auguste de Finck commandant de Dresde le 30 août 1757, et général-major le 10 novembre de la même année. Le 25 février 1759, cet officier fut promu au grade de lieutenant-général.
156-a Philippe-Guillaume de Grumbkow, général-major d'infanterie.
157-a Charles-Guillaume-Ferdinand, né le 9 octobre 1735; après la mort de son père, arrivée en 1780, il devint duc régnant de Brunswic-Wolfenbüttel, et mourut à Ottensen près d'Altona, le 10 novembre 1806. Il entra dans l'armée prussienne le 11 janvier 1773 en qualité de général de l'infanterie, et fut nommé feld-maréchal le 1er janvier 1787.
159-a Le nom de Jäckelsberg est plus usité que celui de Holzberg.
160-a Hans-Charles de Winterfeldt, lieutenant-général, né en Poméranie le 4 avril 1707, mourut à Görlitz le 8 septembre 1757.
160-b Au lieu de Beckern il faut lire ici, ainsi qu'à la page suivante, Barsdorf, et mieux encore Barschdorf. Voyez Berlinische Nachrichten von Staats- und gelehrten Sachen, 1757, no 124. p. 497.
161-a Le régiment d'infanterie Prince de Prusse est le régiment no 18 de la Stammliste de 1806. Le prince Auguste-Guillaume, depuis prince de Prusse, en devint le chef après la mort du général-major de Derschau, vers la fin de l'année 1742.
161-b Le duc Charles-Eugène de Würtemberg est le même dont il a déjà été fait mention t. III, p. 28.
161-c Le 29 août.
161-d Frédéric-Guillaume de Seydlitz, né à Calcar dans le duché de Clèves le 3 février 1721. Le 20 juin 1757, il devint général-major et chef du régiment de cuirassiers no 8; après la bataille de Rossbach, il fut fait chevalier de l'Aigle noir, et quinze jours plus tard, le 20 novembre, lieutenant-général.
162-a Ce colonel Székely était chef du régiment de hussards no 1.
Le major Frédéric-Guillaume-Godefroi-Arnd de Kleist servait alors dans le même régiment, et en devint le chef, le 11 mai 1759, lorsque Michel de Székely, général-major depuis le 25 mars 1758, eut demandé sa démission.
163-a L'authenticité de cette lettre est mise en doute dans l'ouvrage intitulé : Des Grafen Rochus Friedrich zu Lynar Hinterlassene Staatsschriften. Hambourg, 1797, t. II, p. VIII et IX.
Ce comte de Lynar est le frère cadet du comte Maurice-Charles de Lynar dont le Roi fait mention t. II, p. 73, 90 et 112.
167-a Pierre de Meinike, né à Rathenow, devint le 19 mars 1757 général-major et chef du troisième régiment de dragons. En 1761, il donna sa démission à cause de ses blessures, et il mourut en 1775, âgé de soixante-quinze ans.
167-b C'est le no 4 de la Stammliste de 1806, à présent le troisième régiment de dragons. Voyez t. II, p. 83. Dans une lettre adressée à Ferdinand duc de Brunswic et datée du lendemain de l'affaire de Gotha, c'est-à-dire, du 20 septembre 1757, le Roi nomme plus exactement ce régiment « le régiment de dragons de Katte; » c'est aussi le nom qu'il porte dans le rapport officiel des deux gazettes de Berlin (1757, no 115) : et en effet, à cette époque le général-major Charles-Émile de Katte en était encore le chef; une maladie grave le força de prendre sa retraite le 24 octobre 1757. Le colonel baron de Czettritz-Neuhauss devint alors le chef de ce régiment, qu'il avait probablement déjà commandé à la mémorable journée de Gotha.
167-c George-Guillaume prince de Hesse-Darmstadt était le frère cadet du prince Louis dont il a été parlé à la page 131. Général-major d'infanterie au service de la Prusse, il le quitta en 1747 pour devenir feld-maréchal de l'Empire. Il servait contre la Prusse dans la guerre de sept ans.
171-a La petite ville de Mücheln.
176-a Robert-Scipion baron de Lentulus, fils du général autrichien mentionné t. II, p. 75 et 101, naquit à Vienne en 1714 Après la victoire de Rossbach, il devint général-major, et en 1758, commandeur en chef du troisième régiment de cuirassiers, appelé Leibregiment.
177-a Le 9 novembre 1757, le Roi, dans son quartier général de Mersebourg, fit connaître au duc Ferdinand qu'il venait d'être nommé chef de l'armée alliée. Le 20 du même mois, le duc partit de Leipzig pour sa destination. Il arriva à Stade dans la soirée du 23. Voyez Denkwürdigkeiten für die Kriegskunst und Kriegsgeschichte, 6e cahier, p. 1 et 2.
Ferdinand duc de Brunswic-Wolfenbüttel naquit le 12 janvier 1721. Il avait fait les deux guerres de Silésie presque constamment attaché à la personne du Roi, et s'était fort distingué à la bataille de Soor (t. III, p. 154). Le 29 juin 1740, il devint colonel et chef du régiment d'infanterie no 39; au mois de décembre 1744, commandeur du premier bataillon de la garde, et en 1755, chef du régiment d'infanterie no 5. En 1743, il fut promu au grade de général-major, en 1750, à celui de lieutenant-général; le 6 mars 1758, il devint général de l'infanterie, et le 8 décembre de la même année, feld-maréchal.
178-a Le 23 février 1758.
179-a Philippe-Loth de Seers, général-major et chef des ingénieurs. Il avait bâti la forteresse de Schweidnitz.
182-a La patrie eut à déplorer dans cette journée la perte de trois généraux d'infanterie : le général-major Frédéric-Louis de Kleist, qui resta sur le champ de bataille; puis le général-major Jean-Louis d'Ingersleben et le lieutenant-général Gaspard-Ernest de Schultz, qui furent mortellement blessés.
183-a Dans une lettre adressée au prince Henri, à Parchwitz, le 1er décembre 1757, le Roi dit avec plus d'exactitude : « Je suis ici depuis le 28, à attendre les autres; j'ai fait depuis le 12, départ de Leipzig, quarante-deux milles d'Allemagne avec les troupes. » Voyez Militair-Wochenblatt, 1838, no42, p. 168, et ci-dessus, p. 179.
187-a Charles-Henri de Wedell, frère cadet de George-Vivigenz de Wedell (t. III, p. 78), né le 12 juillet 1712 à Malchow dans la Marche-Ukraine, colonel en 1756, général-major le 6 décembre 1757, et le 26 février 1759, lieutenant-général. C'est le même qui eut le malheur de perdre la bataille de Kay.
188-a George-Guillaume de Driesen, né dans la province de Prusse en 1700, lieutenant-général depuis le 1er décembre 1757, mourut à Dresde le 2 novembre 1758.
188-b Jean-Jacques de Wunsch était en 1756 capitaine dans le bataillon franc d'Angenelli; dès l'année suivante, il fut promu au grade de major, puis à celui de lieutenant-colonel, et il forma lui-même un bataillon franc, qui se distingua pendant cette guerre et devint bientôt un régiment. De Wunsch obtint en 1759 les grades de colonel et de général-major, et en 1771, il fut nommé lieutenant-général.
189-a Othon-Louis de Stutterheim, frère cadet du général Joachim-Frédéric de Stutterheim, né dans la Lusace en 1718, obtint en avril 1759, avec le grade de général-major, le régiment d'infanterie no 20. Il fut nommé lieutenant-général en 1767, et jusqu'au commencement de la guerre de succession de Bavière, il resta à la tête de ce même régiment, dont, avant lui, le général-major Auguste-Gottlieb de Bornstedt avait eu le commandement, et auquel le Roi donne le nom du chef qui le commandait au moment où il composa cette histoire.
190-a Dürgoy.
191-a Frédéric-Guillaume-Quirin de Forcade de Biaix, né à Berlin en 1699, devint lieutenant-général d'infanterie le 10 février 1757.
191-b Jean-Frédéric de Balbi, colonel et chef des ingénieurs, mourut à Berlin en 1779, âgé de soixante et dix-neuf ans.
192-a Les deux généraux-majors d'infanterie Gaspard-Frédéric de Rohr et Laurent-Ernest de Münchow y furent blessés mortellement.
192-b Le nombre des Autrichiens faits prisonniers par les Prussiens à la suite de la capitulation de Breslau du 20 décembre 1757, se montait en tout à dix-sept mille six cent trente-cinq hommes, savoir : treize généraux, six cent quatre-vingt-cinq officiers, neuf cent soixante et dix-sept sous-officiers et simples soldats de cavalerie, quatorze mille huit cent soixante et dix-neuf sous-officiers et simples soldats d'infanterie, mille quatre-vingt et une personnes de l'Unterstab, y compris les valets. Voyez Berlinische Nachrichten von Staats- und gelehrten Sachen, 1758, no 1.
194-a Gross-Jägersdorf.
194-b Hans de Lehwaldt naquit dans la province de Prusse au mois de juin 1685; il fut promu au grade de feld-maréchal le 22 décembre 1751, et mourut à Königsberg le 16 novembre 1768. Voyez t. III, p. 147, 158 et 186.
197-a Henri de Manteuffel, né en Poméranie en 1696, a déjà été nommé t. II, p. 168. Il devint général-major en 1756, et en 1758, lieutenant-général.