<123> qu'elle soit susceptible! Si les bons auteurs étaient traduits en notre langue, j'en recommanderais la lecture, comme celle d'une chose importante et nécessaire. Par exemple, pour les logiciens, rien ne les formerait mieux que le Commentaire de Bayle sur les comètes, et sur le Contrains-les d'entrer. Bayle est, selon mes faibles lumières, le premier des dialecticiens de l'Europe : il raisonne non seulement avec force et précision, mais il excelle surtout à voir d'un coup d'œil tout ce de quoi une proposition est susceptible, son côté fort, son côté faible, comment il faut la soutenir, et comment on pourra réfuter ceux qui l'attaqueront. Dans son grand Dictionnaire, il attaque Ovide sur le débrouillement du chaos; il y a des articles excellents sur les manichéens, sur Épicure, sur Zoroastre, etc. Tous méritent d'être lus et étudiés, et ce sera un avantage inestimable pour les jeunes gens qui pourront s'approprier la force du raisonnement et la vive pénétration d'esprit de ce grand homme.
Vous devinez d'avance les auteurs que je recommanderai à ceux qui étudient l'éloquence. Pour qu'ils apprennent à sacrifier aux Grâces, je voudrais qu'ils lussent les grands poëtes, Homère, Virgile, quelques odes choisies d'Horace, quelques vers d'Anacréon. Afin qu'ils prissent le grand goût de l'éloquence, je mettrais Démosthène et Cicéron entre leurs mains; on leur ferait remarquer en quoi diffère le mérite de ces deux grands orateurs. Au premier on ne saurait rien ajouter, au second il n'y a rien à retrancher.a Ces lectures pourraient être suivies des belles oraisons funèbres de Bossuet et de Fléchier, du Démosthène et du Cicéron français, et du Petit Carême de Massillon, rempli de traits de la plus sublime éloquence. Afin de leur apprendre dans quel goût il faut écrire l'histoire, je voudrais qu'ils lussent Tite-Live, Salluste, Tacite; on leur ferait remarquer en même temps la noblesse du style, la beauté de leur narration, en condamnant toute
a Quintilien dit, au contraire, en parlant de Démosthène et de Cicéron : « Illi nihil detrahi potest, huic nihil adjici. » Institutio oratorio, lib. X, 1, 106.