<138> peu importantes. Ce qu'il y eut de plus fâcheux, c'est que la vanité pédantesque de ces messieurs aspirait aux applaudissements de toute l'Europe : en partie pour faire parade de leur belle latinité, en partie pour être admirés des pédants étrangers, ils n'écrivaient qu'en latin; de sorte que leurs ouvrages étaient perdus pour presque toute l'Allemagne. De là il résulta deux inconvénients : l'un, que la langue allemande, n'étant point cultivée, demeura chargée de son ancienne rouille; et l'autre, que la masse de la nation, qui ne savait pas le latin, ne pouvant s'instruire, faute d'entendre une langue morte, continua de croupir dans la plus crasse ignorance. Voilà des vérités auxquelles personne ne pourra répondre. Que messieurs les savants se souviennent quelquefois que les sciences sont les aliments de l'âme : la mémoire les reçoit comme l'estomac; mais elles causent des indigestions, si le jugement ne les digère. Si nos connaissances sont des trésors, il faut, non pas les enfouir, mais les faire profiter, en les répandant généralement dans une langue entendue par tous nos concitoyens.

Ce n'est que depuis peu que les gens de lettres ont pris la hardiesse décrire dans leur langue maternelle, et qu'ils ne rougissent plus d'être allemands. Vous savez qu'il n'y a pas longtemps qu'a paru le premier dictionnaire de la langue allemande qu'on ait connu;a je rougis de ce qu'un ouvrage aussi utile ne m'ait pas devancé d'un siècle. Cependant on commence à s'apercevoir qu'il se prépare un changement dans les esprits : la gloire nationale se fait entendre, on ambitionne de se mettre de niveau avec ses voisins, et l'on veut se frayer des routes au Parnasse, ainsi qu'au temple de Mémoire; ceux qui ont le tact fin le remarquent déjà. Qu'on traduise donc les ouvrages classiques anciens et modernes dans notre langue. Si nous voulons que l'argent circule chez nous, répandons-le dans le public, en rendant communes les sciences qui étaient si rares autrefois.


a Le dictionnaire d'Adelung a paru depuis 1774.