<139>Enfin, pour ne rien omettre de ce qui a retardé nos progrès, j'ajouterai le peu d'usage que l'on a fait de l'allemand dans la plupart des cours d'Allemagne. Sous le règne de l'empereur Joseph, on ne parlait à Vienne qu'italien; l'espagnol prévalut sous Charles VI; et durant l'empire de François Ier, né Lorrain, le français se parlait à sa cour plus familièrement que l'allemand; il en était de même dans les cours électorales. Quelle pouvait en être la raison? Je vous le répète, monsieur, c'est que l'espagnol, l'italien et le français étaient des langues fixées, et la nôtre ne l'était pas. Mais consolons-nous : la même chose est arrivée en France. Sous François Ier, Charles IX, Henri III, dans les bonnes compagnies on parlait plus l'espagnol et l'italien que le français; et la langue nationale ne fut en vogue qu'après qu'elle devint polie, claire, élégante, et qu'une infinité de livres classiques l'eurent embellie de leurs expressions pittoresques, et, en même temps, fixé sa marche grammaticale. Sous le règne de Louis XIV, le français se répandit dans toute l'Europe, et cela en partie pour l'amour des bons auteurs qui florissaient alors, même pour les bonnes traductions des anciens qu'on y trouvait. Et maintenant cette langue est devenue un passe-partout qui vous introduit dans toutes les maisons et dans toutes les villes. Voyagez de Lisbonne à Pétersbourg, et de Stockholm à Naples, en parlant le français vous vous faites entendre partout. Par ce seul idiome, vous vous épargnez quantité de langues qu'il vous faudrait savoir, qui surchargeraient votre mémoire de mots à la place desquels vous pouvez la remplir de choses, ce qui est bien préférable.
Voilà, monsieur, les différentes entraves qui nous ont empêchés d'aller aussi vite que nos voisins. Toutefois ceux qui viennent les derniers, surpassent quelquefois leurs prédécesseurs; cela pourra nous arriver plus promptement qu'on ne le croit, si les souverains prennent du goût pour les lettres, s'ils encouragent ceux qui s'y appliquent, en louant et récompensant ceux qui ont le mieux réussi : que nous ayons