<158> à celle des souverains. Toutefois, pour ne point s'exposer à ce flux et reflux de fortune, ils imaginèrent des ressorts qui, une fois montés, devaient, en assurant leur règne, augmenter leur despotisme. Le lecteur prévoit sans doute que nous avons en vue le projet des croisades. Pour assembler des fanatiques, on publiait des indulgences; ce qui était promettre l'impunité de tous les crimes à ceux qui se dévoueraient au service de l'Église et du saint-père. Pour se battre en Palestine, où l'on n'avait rien à prétendre, pour conquérir la terre sainte, qui ne valait pas les frais de l'expédition, des princes, des rois, des empereurs, suivis d'une multitude de peuple innombrable de toutes les parties de l'Europe, abandonnant leur terre natale, allaient s'exposer, dans des contrées éloignées, à des infortunes inévitables. A la suite de desseins aussi mal concertés, les papes, en riant de pitié du fol aveuglement des hommes, s'applaudissaient de leur succès. Durant cet exil volontaire de tant de souverains, Rome ne rencontra aucune opposition à ses volontés, et tant que cette frénésie dura, les papes gouvernèrent l'Europe despotiquement. Lorsqu'on s'apercevait à Rome que les nations se décourageaient par le mauvais succès des croisades, on avait grande attention de les ranimer par l'espérance que leur donnait quelque imposteur tonsuré d'une meilleure fortune. Saint Bernard fut l'instrument dont le saint-siége se servit en différentes occasions : son éloquence était propre à nourrir le poison de ce mal épidémique; il envoyait des victimes en Palestine, mais il était trop prudent pour y aller lui-même. Que résulta-t-il de tant d'entreprises? Des guerres qui dépeuplèrent l'Europe, des conquêtes aussitôt perdues que faites. Enfin les chrétiens ouvrirent la brèche par où les Turcs entrèrent à Constantinople et y établirent le siége de leur puissance.
Le mal moral que les croisades produisirent, fut plus considérable. Tant d'indulgences publiées, la rémission des crimes vendue au plus offrant, causèrent un relâchement général dans les mœurs; les esprits