<53> autant désastreuse qu'inopinée! Hélas! nous nous flattions tous, chacun tâchait à se faire illusion, nous écartions de nos esprits les images funestes dont l'impression douloureuse blessait la délicatesse de nos sentiments; ces hommes réduits, par leur art borné, à n'être que les témoins des maladies, nous entretenaient dans cette sécurité trompeuse, quand tout à coup les accents d'une voix lugubre vinrent tarir nos espérances et nous plonger dans la douleur la plus profonde.
Souvenez-vous, messieurs, de ce jour funeste où la renommée, qui divulgue tout, répandit subitement ces tristes paroles : Le prince Henri est mort!a Quelle consternation! que d'inutiles et sincères regrets! que de larmes répandues! Ce n'était point le sentiment feint d'une douleur affectée, mais l'affliction sincère d'un public éclairé, qui connaissait la grandeur de ses pertes. Les jeunes gens disaient : Comment est mort celui sur lequel nous avions fondé tant d'espérances! Les vieillards disaient : C'était à lui de vivre, à nous de mourir. Chacun croyait avoir perdu en lui un parent, un ami, un exemple, un bienfaiteur. Marcellus, enlevé dans la fleur de son printemps, fut moins regretté; Germanicus mourant coûta moins de larmes aux Romains; et la perte d'un jeune homme devint une calamité publique.
O pompe fatale! ta marche fut arrosée par des torrents de larmes, et tu ne parvins au tombeau qu'à travers les gémissements, les pleurs, les cris du peuple, et les symboles du désespoir qui t'environnaient!
Tel, messieurs, est le privilége de la vertu quand elle brille dans toute sa pureté : les hommes, quelque adonnés qu'ils soient eux-mêmes au vice, sont, pour leur propre avantage, contraints de l'aimer et forcés de lui rendre justice. Les suffrages sincères de toute une nation, le témoignage universel de l'estime publique, ces louanges du prince
a Le prince Henri mourut le 26 mai 1767, au village de Protzen, près de Ruppin, où il était tombé malade en se rendant de Kyritz à Potsdam avec son régiment. Voyez t. V, p. 83, et t. VI, p. 17.