<71> vous trouvez l'émule de Sophocle; là, vous le voyez répandre des fleurs sur ses traces; ici, il chausse le brodequin comique; mais il semble que l'élévation de son esprit ne se plaisait pas à borner son essor à égaler Térence ou Molière : bientôt vous le voyez monter sur Pégase, qui, en étendant ses ailes, le transporte au haut de l'Hélicon, où le dieu des muses lui adjuge sa place entre Homère et Virgile.
Tant de productions différentes et d'aussi grands efforts de génie produisirent à la fin une vive sensation sur les esprits, et l'Europe applaudit aux talents supérieurs de M. de Voltaire. Il ne faut pas croire que la jalousie et l'envie l'épargnassent : elles aiguisèrent tous leurs traits pour l'accabler. Cet esprit d'indépendance inné dans les hommes, qui leur inspire une aversion contre l'autorité la plus légitime, les révoltait avec bien plus d'aigreur contre une supériorité de talents à laquelle leur faiblesse ne put atteindre. Mais les cris de l'envie étaient étouffés par de plus forts applaudissements; les gens de lettres s'honoraient de la connaissance de ce grand homme. Quiconque était assez philosophe pour n'estimer que le mérite personnel, plaçait M. de Voltaire bien au-dessus de ceux dont les ancêtres, les titres, l'orgueil et les richesses font tout le mérite. M. de Voltaire était du petit nombre des philosophes qui pouvaient dire : Omnia mecum porto. Des princes, des souverains, des rois, des impératrices le comblèrent des marques de leur estime et de leur admiration. Ce n'est pas que nous prétendions insinuer que les grands de la terre soient les meilleurs appréciateurs du mérite; mais cela prouve au moins que la réputation de notre auteur était si généralement établie, que les chefs des peuples, loin de contredire la voix publique, croyaient devoir s'y conformer.
Cependant, comme dans ce monde le mal se trouve partout mêlé au bien, il arrivait que M. de Voltaire, sensible à l'applaudissement universel dont il jouissait, ne l'était pas moins aux piqûres de ces insectes qui croupissent dans les fanges de l'Hippocrène. Loin de les punir, il les immortalisait en plaçant leurs noms obscurs dans ses ou-