<84> manqua de ces secours. On lui avait fait traduire, à la vérité, l'ingénieux roman de Quinte-Curcea pour l'amuser, et pour lui donner du goût pour le latin, qu'il n'aimait pas; ce livre a pu inspirer à notre héros le désir d'imiter Alexandre, mais il n'a pu lui apprendre les règles que le système de la guerre moderne fournit pour y réussir.
Charles ne dut rien à l'art, mais tout à la nature; son esprit n'était pas orné, mais hardi, ferme, susceptible d'élévation, amoureux de la gloire, et capable de lui tout sacrifier; ses actions gagnent autant à être examinées en détail que la plupart de ses projets y perdent. Sa constance, qui le rendit supérieur à la fortune, sa prodigieuse activité et sa valeur héroïque furent sans doute ses vertus éminentes. Ce prince suivit l'impulsion puissante de la nature, qui le destinait à devenir un héros. Dès que la cupidité de ses voisins le força à leur faire la guerre, son caractère, méconnu jusqu'alors, se développa tout de suite. Il est temps de le suivre dans ses différentes expéditions; je borne mes réflexions à ses neuf premières campagnes, qui fournissent un vaste champ.
Le roi de Danemark attaqua le duc de Holstein, beau-frère de Charles XII. Notre héros, au lieu d'envoyer ses forces dans ce duché, où les Suédois auraient achevé la ruine d'un prince qu'il voulait défendre, fait passer huit mille hommes en Poméranie; il s'embarque sur sa flotte, descend en Seeland, chasse des bords de la mer les troupes qui en défendaient l'approche, met le siége devant Copenhague, la capitale de son ennemi, et en moins de six semaines il force le roi de Danemark à conclure une paix avantageuse au duc de Holstein. Cela est admirable, tant pour le projet que pour l'exécution. Par ce premier coup d'essai, Charles égala Scipion, qui porta la guerre
a Dans le huitième chapitre de son Antimachiavel, le Roi dit que « Charles XII portait depuis sa plus tendre enfance la vie d'Alexandre le Grand sur soi. » Mais les biographes du roi de Suède s'accordent tous à dire qu'il n'avait jamais lu dans sa jeunesse Quinte-Curce, qui devint sa lecture favorite pendant ses campagnes.