<90> les plus infaillibles d'accabler son puissant adversaire. Cette route certainement n'était ni celle de Smolensko ni celle de l'Ukraine : dans l'une et dans l'autre on avait à traverser de vastes marais, d'immenses déserts, de grands fleuves; après quoi il fallait cheminer par un pays moitié sauvage pour arriver à Moscou. Le Roi se privait, par cette marche, de tous les secours qu'il pouvait tirer de la Pologne et de la Suède. Plus il s'enfonçait en Russie, plus il était coupé de son royaume. Il fallait plus d'une campagne pour achever cette entreprise. D'où pouvait-il prendre les vivres? par quel chemin les recrues pouvaient-elles le joindre? de quelle bourgade cosaque ou moscovite pouvait-il faire une place de guerre? où trouver des armes de rechange, des habillements, et cette multitude de choses aussi communes que nécessaires qu'il faut renouveler sans cesse pour l'entretien d'une armée? Tant de difficultés insurmontables pouvaient faire prévoir que, dans cette expédition, les Suédois périraient de fatigue, de misère, ou que la victoire même les consumerait. Si les succès de cette guerre offraient une si triste perspective, à quoi ne devait-on pas s'attendre en cas de quelque accident! Un échec facile à réparer ailleurs devient une catastrophe décisive pour une armée aventurée dans un pays sauvage, sans établissement et par conséquent sans retraite.
Au lieu d'affronter tant de difficultés et de braver tant d'obstacles, il se présentait un projet plus naturel, qui s'arrangeait comme de lui-même : c'était de traverser la Livonie et l'Ingrie, et de marcher droit à Pétersbourg. La flotte suédoise et des vaisseaux de transport pouvaient côtoyer l'armée le long de la Baltique, et lui fournir des vivres; les recrues et les autres besoins de l'armée pouvaient arriver par mer ou par la Finlande; le Roi couvrait les plus belles provinces, il restait à portée de ses frontières, ses succès en auraient été plus brillants. Les revers ne pouvaient jamais le réduire dans une situation désespé