<91> rée : s'il prenait Pétersbourg, il ruinait le nouvel établissement du Czar, l'œil que la Russie a sur l'Europe, seul lien qui lui donne de la connexion avec la partie du monde que nous habitons; et, ce grand exploit terminé, il ne tenait qu'à lui de pousser plus loin ses avantages. Quoi qu'il pût faire, la paix, ce semble, était faite, sans qu'il fût nécessaire de la signer à Moscou.

Je vais comparer, pour mon instruction, les règles que les grands maîtres de l'art nous ont laissées, avec la conduite que le Roi tint durant ces deux campagnes. Ces règles veulent que les armées ne soient jamais aventurées, surtout que les généraux évitent de pousser des pointes.a Charles s'enfonça jusque dans la principauté de Smolensko, sans aucune attention pour assurer sa communication avec la Pologne. Nos maîtres enseignent qu'il faut établir une ligne de défense pour mettre ses derrières hors d'insulte, assurer le dépôt de ses vivres, et les couvrir avec l'armée. Les Suédois se trouvèrent proche de Smolensko, n'ayant que pour quinze jours de subsistances. Leur opération consistait à talonner les Moscovites, à battre leur arrière-garde, et à les poursuivre au hasard, sans savoir précisément où l'ennemi qui fuyait devant eux, les conduisait. L'on ne voit d'autre précaution pour la subsistance des Suédois que celle que le Roi prit de se faire suivre par Lewenhaupt, qui était chargé de la conduite d'un gros convoi. Il fallait donc ne pas laisser ce convoi si loin en arrière de l'armée, puisqu'on en avait un besoin si pressant; il fallait attendre Lewenhaupt avant de marcher en Ukraine, parce que plus on s'éloignait de lui, et plus on l'exposait. Il aurait été plus prudent de ramener les troupes en Lithuanie; la marche de l'Ukraine prépara la ruine de l'armée suédoise.

A cette conduite sans méthode, qui suffisait seule pour perdre les affaires, se joignirent des infortunes dont en partie le hasard pouvait


a Voyez t. III, p. 98.